« C’est un grand classique
que j’étais allé voir à la Comédie Française, me dit-il. Remarquablement bien
joué, je ne sais plus par qui : « On ne badine pas avec
l’amour », « badine » pour les initiés.
Ah Musset ! Ses amours
passionnées et tourmentées avec George Sand.
Ah le romantisme ! Ah les
sentiments amoureux à leur paroxysme ! Ah leur inévitable escorte :
le désir, la séduction, la jalousie, le mensonge, l’orgueil, le déchirement,…la
mort.
Ah Musset, comme tu incarnas les
rêves et les impulsions de la jeunesse, le mal du siècle,… !
Mais l’année où tu écrivis la
merveilleuse pièce « Les caprices de Marianne », tu te lâchas en
épanchant un cœur envahi par la débauche. Tu fis mourir l’amour au contact du
vice. Tu plongeas ta plume dans le dérèglement des sens pour rédiger ce petit
chef-d’œuvre de prose érotique, ou plutôt, salace et pornographique, qu’est
l’histoire de la comtesse Gamiani.
Oh Musset !»
En voici un extrait :
« La supérieure, que
j’appellerai maintenant Sainte, était la fille d’un capitaine de vaisseau. Sa
mère, femme d’esprit et de raison, l’avait élevée dans tous les principes de la
sainte religion, ce qui n’empêcha pas que le tempérament de la jeune Sainte ne
se développât de très bonne heure. Dès l’âge de douze ans, elle ressentait des
désirs insupportables, qu’elle cherchait à satisfaire par tout ce qu’un
imagination ignorante peut inventer de plus bizarre. La malheureuse se
travaillait chaque nuit : ses doigts insuffisants gaspillaient en pure
perte sa jeunesse et sa santé. Un jour, elle aperçut deux chiens qui
s’accouplaient. Sa curiosité lubrique observa si bien le mécanisme et l’action
de chaque sexe, qu’elle comprit mieux désormais ce qui lui manquait. Sa science
acheva son supplice. Vivant dans une maison solitaire, entourée de vieilles
servantes, sans jamais voir un homme,pouvait-elle espérer de rencontrer cette
flèche animée, si rouge, si rapide, qui l’avait si fort émerveillée et qu’elle
supposait devoir exister pareillement pour la femme ? A force de se
tourmenter l’esprit, ma nymphomane se remémora que le singe est, de tous les
animaux, celui qui ressemble le plus à l’homme. Son père avait précisément un
superbe orang-outang. Elle courut le voir, l’étudier, et comme elle restait
longtemps à l’examiner, l’animal, échauffé sans doute par la présence d’une
jeune fille, se développa tout à coup de la manière la plus brillante. Sainte
se mit à bondir de joie. Elle trouvait enfin ce qu’elle cherchait tous les jours,
ce qu’elle rêvait chaque nuit. Son idéal lui apparaissait réel et palpable.
Pour comble d’enchantement, l’indicible joyau s’élançait plus ferme, plus
ardent, plus menaçant qu’elle ne l’eût jamais ambitionné. Ses yeux le
dévoraient. Le singe s’approcha, se pendit aux barreaux et s’agita si bien que
la pauvre Sainte en perdit la tête. Poussée par sa folie, elle force un des
barreaux de la cage et pratique un espace facile que la lubrique bête met de
suite à profit. Huit pouces francs, bien prononcés, saillaient à ravir. Tant de
richesse épouvanta d’abord notre pucelle. Toutefois, le diable la pressant,
elle osa voir de plus près ; sa main toucha, caressa. Le singe tressaillit
à tout rompre ; sa grimace était horrible. Sainte, effrayée, crut voir
Satan devant elle. La peur la retint. Elle allait se retirer lorsqu’un dernier
regard sur la flamboyant amorce réveille tous se désirs. Elle s’enhardit
aussitôt, relève ses jupes d’un air décidé et marche bravement à reculons, le
dos penché vers la pointe redoutable. La lutte s’engage, les coups se portent,
la bête devient l’égale de l’homme. Sainte est embestialisée, dévirginisée,
ensinginée ! Sa joie, ses transports éclatent en une gamme de
« Oh ! » et de « Ah ! », mais sur un ton si élevé
que la mère l’entend, accourt, et vous surprend sa fille bien nettement
enchevillée, se tortillant, se débattant et déjectant son âme ! »
Gamiani ou deux
nuits d’excès ─ Alfred de Musset ─ 1833
NB Peut-être aurait-il fallu une illustration, mais je n'en ai pas.