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Confidences d'Alex
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  • Chronique de la sexualité du jeune Alex. La sexualité ambigüe de son adolescence, ses inhibitions, ses interrogations, ses rêves, ses fantasmes, ses délires, ses aventures, ses expériences.
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29 septembre 2009

120 Leçons de piano ( 1re partie )

Dans les grands arbres tout proches des fenêtres, les feuilles, martyrisées par de sauvages assauts du vent, hurlaient de douleur. La pénombre, qui s’était infiltrée jusque sur les blancs pinacles de la cathédrale, se déchirait soudain sous l’effet d’une fulgurante incandescence. Les gouttes de pluie s’écrasaient bruyamment sur les vitres. Les grondements de l’orage emplissaient l’air de stupeurs et tremblements.
Il ne viendrait pas.

Nonchalamment assis dans un profond canapé pour tenter de déjouer la tension nerveuse qui se plaisait à me parcourir, je relisais pour la troisième fois cette page de Marguerite Yourcenar dont le sens continuait à me fuir. Devant les phrases de cet auteur dont j’appréciais particulièrement le style, dansait un autre texte que je suivais contre mon gré et qui n’existait qu’à l’intérieur de moi-même.
Il ne viendrait pas.

Cette vie errante, cette quête permanente de l’exactitude, à défaut d’être la vérité, ces faiblesses de la chair, de Zénon, le héros du roman L’œuvre au noir, me fascinaient. Mais ce soir, c’était cette leçon de piano que je ne lui donnerais pas qui m’occupait tout entier. Il était impensable qu’il vînt par ce mauvais temps. Et pourtant c’est à cet impensable que je ne cessais de penser.

Il est un jardin que jamais je ne cultive, c’est celui du souvenir. Mais il est des souvenirs qui se mettent à exister sans qu’on les ait appelés. Il arrive même que certains se mettent à exister comme des êtres vivants. S’ils sont chers et s’ils sont doux, pourquoi les chasser ? Lorsque le passé s’invite à la table du présent, sans obérer le futur, et sans jeter son voile de mélancolie, ne faut-il pas l’accueillir comme un hôte amical ?
Je laissai donc glisser vers moi, sur son tapis de mousse, le flux régulier de nos rendez-vous, depuis bientôt trois mois.

Mon rôle voulait que ce soit moi qui lui propose de nous rencontrer, en dehors de ses heures de cours, et chez moi puisque c’était pour une leçon de piano. Je ne suis pas prof de piano, je suis architecte, mais il se trouve que je joue du piano, c’est une tradition familiale, et pas n’importe quel piano, un vieux Steinway à queue. Quand on dit vieux pour un Steinway, c’est comme lorsqu’on emploie ce qualificatif pour un grand cru bordelais. Comme un bon vin, un piano se bonifie en prenant de l’âge, ou plutôt il acquiert une personnalité.

Je me revis dans le cabinet, écoutant son stomato de père m’expliquer le traitement qu’il me proposait.

─ J’opère en cabinet stérile, m’avait-il dit.
─ Ah, et il faut se déshabiller complètement comme dans un bloc opératoire ?
─ Hi hi ! Ce serait trop drôle ! Dit sa jeune et jolie assistante.

Ce dentiste, je le connaissais un peu pour lui avoir fait les plans de sa villa, il y a trois ans. Il avait des opinions que je ne partageais pas, assez droite extrême, et une remarquable rigueur dans ses préjugés. Mais sa réputation professionnelle était bonne. Je l’avais un jour amené chez moi pour lui montrer une variante architecturale qui ne figurait pas sur la simulation 3D de sa maison. 

─ Magnifique piano, m’avait-il dit. Vous en jouez ?
─ C’est mon violon d’Ingres.

À suivre ...

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