099 Le garçon de la piscine ( 11 / 12 )
« Les sanglots longs des violons de l’automne
Blessent mon cœur d’une langueur monotone. »
« Il est parti et sans doute l’ai-je perdu à tout jamais.
Les arbres du jardin, qui d’habitude se parent de jaune et de rouge flamboyant à cette saison, sont recouverts d’une pellicule fuligineuse qui en ternit l’éclat. Mes objets favoris sont devenus gris, uniformément gris. Mon lit, en particulier, est nappé de cette grisaille épaisse qui me colle à la peau et s’insinue à l’intérieur de moi, enrobe mes organes et perturbe leur fonction. Mes tableaux, mes sculptures, ne me parlent plus. Muets, ils me laissent, indifférents, dans mon amère solitude.
Une peau de chagrin a recouvert toute chose.
Je retrouve mes amis, que j’avais délaissés. Ils ne me reconnaissent pas. Jamais ils ne m’ont vu avec ce masque de tristesse. Où est ma gaieté, où sont mes plaisanteries, mon humour, mon ironie ? Me demandent-ils. Qu’est-ce que cette léthargie soudaine chez un garçon qui prenait la vie à bras le corps et cultivait le plaisir sous toutes ses formes ? Ils me connaissent passionné mais jamais terrassé par une passion. Ils ne me connaissent pas amoureux transi. C’est un rôle qui ne me va pas du tout, paraît-il.
Que puis-je leur répondre ? Que nous ne sommes pas au théâtre. Que ce costume de tristesse, lorsque je me déshabille, laisse sur ma peau des empreintes indélébiles, comme un tatouage d’entrelacs de tourments. Même nu je suis vêtu de ce voile d’affliction qui m’oppresse et que je ne parviens pas à déchirer.
Je suis là, avec mes amis, je discute avec eux, je ris de leurs bons mots, je les aime bien, ils sont présentement ma bouée de sauvetage. Que ferais-je sans eux ? Je me trouve bien ingrat de les avoir négligés depuis plus d’un an. Je suis de nouveau avec eux mais je sens le vide d’une absence, je sens la morsure d’un manque, je sens la meurtrissure du souvenir.
Des bribes du poème de Lamartine, dont la sensiblerie romantique me faisait ricaner quand j’étais au collège, me reviennent en mémoire :
« Un seul être vous manque et tout est dépeuplé.
Que dire après ces mots si justement trouvés
Comment décrire l’ennui qui vient m’anéantir
Lorsque je dois rester si loin de ton sourire.
Je ne peux réprimer les multiples soupirs
De mon âme accablée, qui sans toi tourne et vire
Cherchant quelque intérêt à la vie qui l’entoure
Et n’en trouvant aucun…
Etendu sur le sable… le soleil m’envoie
Vers le monde des songes qui m’offre le bonheur…
La fraîcheur du soir me réveille…
Je retrouve le manque et ses tourments.
Le murmure des vagues, les caresses du vent
Me bercent comme une mère consolant son enfant. »
Le monde des songes ! J’ai vécu un rêve qui était trop grand pour moi, et qui s’est transformé en cauchemar. »