083 La fontaine (3° partie)
Résumé des première et deuxième parties :
Alex, lors d'un court séjour à Rome, se dispute un soir avec son amie. Il retourne s'asseoir sur la margelle d'une fontaine dont le sujet principal, un jeune homme nu, lui paraît d'un érotisme exacerbé.
Il imagine que les chefs religieux de l'Inquisition romaine, au début du XVII° siècle, ont pousuivi et condamné le sculpteur pour outrage aux bonnes moeurs et incitation à la débauche.
« Il fut jeté dans un
cachot.
Il fallut quelque temps pour
trouver les chefs d’inculpation et fabriquer les pièces à conviction, car, tout
puissant qu’il fût, le tribunal de l’Inquisition romaine avait besoin de
preuves pour condamner. On alla donc fouiller cette grange à demi en ruine qui
servait d’atelier à ce sculpteur et on trouva exactement ce qu’on voulait, y
compris ce qui n’y était pas : des armes blanches prohibées, dagues,
poignards, épées, des ciboires en argent et autres ustensiles du culte dérobés
dans différentes églises, des esquisses à la sanguine de scènes érotiques, et
en particulier de sodomisation.
Nous avons, disent les juges,
plus d’éléments qu’il n’en faut pour le condamner à mort. Mais il nous faut
encore la liste de toute cette vermine qu’il a côtoyée, de ces petites
canailles qui vivent de rapine et de prostitution, et qui ont été ses modèles
et amants.
Qu’on le déshabille, et qu’on
l’expose nu sur ce plateau de chêne muni de sangles…
Qu’on fasse chauffer les fers...
On arrêta cinq jeunes petits vauriens sur les bords du Tibre, que l’on fit comparaître devant les Messeigneurs de l’Inquisition.
─
Qu’on les déshabille complètement. Faisons-leur ce dernier plaisir de leur
permettre une dernière fois cette tenue obscène dont ils font leur commerce.
« Seigneur, aie pitié de
nous pauvres pêcheurs. Que Ton Œuvre reste insensible au flamboiement de ces
jeunes corps, au charme diabolique de ces garçons, à la puissante invitation au
péché de chair de leur anatomie. Seigneur, aie pitié de nous. »
Arriva le jour du procès de
l’artiste débauché, sodomite et voleur, dont le talent pour propager le mal
était à la hauteur de son talent de sculpteur. Il fallait faire un exemple pour
décourager tous ses confrères, sculpteurs, peintres, fresquistes, de fréquenter
intimement la pègre immorale et sacrilège, et de se lancer dans la provocation
érotique. Il fallait effacer cette existence accueillante aux puissances du
mal, se complaisant dans les manigances du démon, soufflant sur les braises
pour incendier la terre.
Au diable ce misérable !
Qu’il périsse crucifié.
Non, ce serait trop d’honneur que
de lui réserver le sort devenu sacré de Notre Seigneur Jésus Christ. Il est
indigne de périr sur la croix. Et puis nous ne sommes pas des barbares comme l’étaient
ces mécréants de Romains, dont la justice était aussi cruelle qu’expéditive.
Qu’il soit décapité.
Mais la décapitation, pour
spectaculaire qu’elle soit et attire la foule des badauds, est réservée aux
criminels, aux comploteurs, aux brebis égarées issues de nos propres rangs. Le
corps reste entier bien qu’il soit en deux morceaux, et qui sait si sa
manipulation ne peut pas contaminer des âmes innocentes ? Et puis on ne
peut laisser ce corps sans sépulture, et on impose ainsi un voisinage
outrageant à de bons chrétiens qui reposent en paix.
Il est un moyen de purifier un
cœur gangrené, de détruire à jamais les organes infectés, d’anéantir les
liquides purulents. L’homme immolé par le feu est consumé dans sa partie
impure, profane, et son âme purifiée, débarrassée de sa gangue charnelle
contaminée par Satan, peut entrer dans une nouvelle vie illuminée. La fumée
s’élevant vers le ciel est le témoignage de l’ascension de l’âme vers le divin.
Les cendres fertilisent le sol, qui, sous les feux du soleil printanier, donne
de nouvelles et abondantes récoltes.
Il existe d’ailleurs un texte de
Paul, dans l’épître aux Corinthiens, chapitre III, versets 11 à 15, qui dit que
celui qui a mal accompli sa tâche sera sauvé « comme à travers le
feu ». Purgatorius, ce feu est ici un feu purificateur.
Oui, nous avons pour mission de
sauver cette âme prisonnière des fourches caudines du diable. Notre devoir, à
nous humbles serviteurs de Notre Sainte Mère l’Eglise Catholique et
Apostolique, est de donner des ailes pour s’envoler vers Notre Seigneur, à
celui qui se vautre dans la fange. Ce sera comme une action de grâce, que nous
accompagnerons de prières. Nous acheminerons ce damné jusqu’aux portes du
Royaume. Dieu, dans son infinie mansuétude, et son incommensurable amour, lui
ouvrira les portes pour l’accueillir.
Nous pourrons alors espérer la
reconnaissance du Seigneur pour notre éradication de cette vermine, et compter
sur l’octroi de Ses Saintes Indulgences.
Qu’il soit brûlé vif. »