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Confidences d'Alex
Confidences d'Alex
  • Chronique de la sexualité du jeune Alex. La sexualité ambigüe de son adolescence, ses inhibitions, ses interrogations, ses rêves, ses fantasmes, ses délires, ses aventures, ses expériences.
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27 janvier 2006

Episodes 001 à 120

001 Dans les vestiaires

 

 Alex avait gardé après sa puberté une pudeur un peu exagérée. Pourtant il était assez satisfait de son corps bien proportionné, pas très grand certes, mais laissant déjà apparaître à fleur de peau une musculature toute prête à se développer.

 Il faisait du sport assez régulièrement, pour lui-même, sans aucun esprit de compétition, mais avec le désir d’améliorer ses propres performances. Le désir aussi, il faut bien le dire, de modeler ses jeunes muscles et de se sentir bien dans un corps souple. Jogging, natation, abdominaux et exercices de musculation, randonnées en montagne l’été, ski l’hiver. Il pratiquait quelquefois ces sports en groupe ou avec quelques potes mais il lui arrivait aussi d’avoir envie d’être seul.

 Comme chacun sait, quand on pratique le sport, on utilise des vestiaires et des douches. C’est là qu’Alex n’était pas à l’aise. Se déshabiller devant les autres, même en gardant un slip, le mettait toujours un peu dans l’embarras : crainte du regard des autres, de commentaires ou de propos rigolards qui ne manqueraient pas de le faire rougir et d’attirer ainsi l’attention sur sa gène. Quant aux douches c’était pire. Il essayait toujours d’y échapper sans se faire remarquer. Lorsqu’il ne pouvait pas faire autrement, il s’enveloppait dans sa serviette jusqu’au dernier moment et restait tout le temps de la douche tourné vers le mur, dans un coin de préférence, se gardant bien de lancer des regards furtifs aux corps de ses voisins, bien qu’il en ait très envie. Il n’était d’ailleurs pas le seul dans ce cas mais il enviait les garçons décontractés qui semblaient heureux de montrer leur anatomie.

 En fait la pudeur d’Alex était une fausse pudeur. Conscient, par les comparaisons qu’il avait pu faire, et par les regards qu’il avait surpris, d’être pas mal foutu et bien monté,  il aurait aimé provoquer des envies. Mais lui-même n’était pas insensible aux formes du corps des garçons. Sa grande inquiétude, dans les circonstances présentes,  était de cacher ce qui ne manquait jamais de se produire : un début d’érection.

 Pourtant il se sentait attiré par les filles et il avait eu avec elles quelques expériences qui s’étaient révélées d’une très grande intensité. Mais il savait bien que les garçons l’intéressaient tout autant. Et ce désir il le refoulait tant qu’il pouvait.

 Mais ce qu’il ne pouvait pas, c’était maîtriser les érections qu’il avait à tout moment. La plupart du temps il était le seul à s’en apercevoir. Mais à poil, ou même en slip, comment faire pour dissimuler ? Et être la risée des « copains », se faire traiter de PD, se sentir humilié !

 Il ne manquait jamais, lorsqu’il savait ne pouvoir échapper à des déshabillages communs, d’essayer de prévenir tout dérapage incontrôlé de la partie centrale de son anatomie. Il s’adonnait alors à des masturbations préventives qui lui procuraient d’ailleurs un infini plaisir. Dans ce cas ce qui provoquait le plus vite son excitation, ce n’était pas le fantasme de belles filles nues ou de beaux garçons nus, c’était le fantasme de sa propre humiliation, obligé à se dévêtir complètement, à rester ainsi intégralement nu et à se faire minutieusement ausculter devant les autres. Il appréhendait  ce moment et en même temps il le trouvait particulièrement excitant.

 Mais sa nature était ainsi faite que malgré les précautions prises le phénomène d’érection  se produisait immanquablement et Alex sentait monter la honte en même temps que son sexe.

 Evidemment les autres ne manquaient pas de remarquer qu’Alex bandait et lui lançaient des plaisanteries de plus ou moins bon goût qui achevaient de l’embarrasser. Certains lui proposaient « un petit coup de main » pour satisfaire ses besoins. Mais Alex déclinait toujours ces propositions qui risquaient de le cataloguer. Or il ne voulait absolument pas passer pour gay, bien qu’en lui-même il soit actuellement incertain sur ses orientations sexuelles. En tout cas il souhaitait donner de lui une image d’hétéro.


002 Le cours de maths

 

 Alex, tu écoutes ?

 

Non, Alex n’écoutait pas. Il avait bien suivi le début de la démonstration du prof de maths, mais à un moment donné son attention s’était complètement déplacée. Un effluve, la vue d’une belle poitrine ou tout simplement une pensée érotique errante ? Il ne savait pas ce qui avait provoqué brusquement, en plein cours de maths, un gonflement inattendu et incontestable dans son jean.

Et le fantasme ahurissant de se déshabiller là au milieu de la classe et de donner en spectacle sa jouissance solitaire !

Horreur ! Pensait-il, plein de honte.

« Suis-je normal ? Je sais bien que tous les garçons, presque tous les garçons de mon âge se branlent, mais jamais ils ne le font en public. Il n’y a que sur les sites gays pornos du net qu’on voit ça et c’est plus à gerber qu’excitant. Peut-être en parlerai-je à Marc ».

Marc était son copain préféré. Copain tout simplement. Alex aurait aimé aller plus loin avec lui, mais il n’osait tenter le geste ou la parole irréversibles de crainte de se faire jeter et traiter de pédé. Ce dont il était sûr, c’est qu’un simple frôlement de peau, plus ou moins accidentel, l’électrifiait littéralement.

Pour ce qui était du cours à moitié perdu, pas de problème. Il demanderait à Natacha, la fille forte en maths qui trouvait Alex si mignon, ce qui ne laissait pas celui-ci complètement indifférent, de lui refaire la démo du prof.

Lorsqu’il retrouva Marc pour aller faire une partie de tennis, il aborda ce sujet.

 

 Non, ça ne m’arrive jamais de bander pour rien et encore moins de vouloir décharger devant les autres. Tu devrais en parler à un médecin si ça te travaille.

 

 Ça va pas, non ! Tu me vois aller raconter ça à un toubib, me faire mettre à poil et tripoter partout par ce mec ? Et peut-être me mettre à bander devant lui ? La honte !

 

 Il s’en fout le toubib de voir ta queue. Il voit des gens à poil toute la journée et ça doit pas souvent être excitant. Et si tu bandes il te dira juste que tu fonctionnes très bien.

 

Alex n’alla pas voir le médecin. Le phénomène se reproduisit un certain nombre de fois, pas toujours pendant le cours de maths. Il s’était familiarisé avec ces manifestations impromptues mais il rejetait de toutes ses forces les pulsions exhibitionnistes qui les accompagnaient.


003  Alex, souvenir de lycée

 

La séance de gym.

 

C’était une belle mais assez froide journée d’octobre. Le prof de gym avait emmené la classe faire un cross à travers des bois assez accidentés. C’était un groupe d’une vingtaine de garçons, dont Alex, qui aimaient tous le sport et se connaissaient pour être dans la même classe de première, avec une quinzaine de filles. Ces jeunes petits mecs faisaient tout leur possible pour se donner un air viril. Même le plus chétif d’entre eux affectait d’ignorer les ronces qui lui griffaient les mollets au passage ou les branchages qui lui cinglaient le visage. La plupart étaient en short et sweat et quelques uns en survêt.

 A un endroit du parcours une petite rivière bordée d’arbres barrait le passage. Le groupe s’arrêta tout essoufflé au bord de l’eau, se demandant comment franchir cet obstacle liquide. Mais le prof avait prévu ici un exercice donnant un peu de piment à cette sortie forestière. Il sortit de son sac à dos une grande corde, grimpa à un arbre et fit passer un brin de la corde par-dessus une grosse branche qui surplombait la rivière. Une fois redescendu il rendit solidaires les deux brins de la corde. Il ne restait plus qu’à jouer à Tarzan.

 Il fallait prendre un peu d’élan, attraper au passage la corde tenue par le prof, et se balancer sur l’autre rive.

 Eric passa le premier avec aisance, provoquant des bravos. Puis ce fut le tour de Christophe. Presque aussi bien. Suivant Yann. Yann était un beau petit brun musclé, vif et nerveux mais quelque peu cabotin. Il prit son élan en faisant un peu le guignol, attrapa la corde au passage, mais sans doute mal, car aux deux tiers de la rivière elle lui échappa des mains et il fit un spectaculaire plongeon.

 Cette rigolade ! Tout le monde était plié en deux de rire. Sauf lui bien entendu, qui avait regagné l’autre rive, dégoulinait de partout, et commençait à grelotter.

 

 Déshabille-toi, lui dit le prof.

 

 Yann enleva ses baskets et son survêt et se retrouva en slip. Un petit slip blanc qui avec l’eau lui collait à la peau et devenait en partie transparent.

Alex sentit immédiatement une dilatation dans son short.

 

  Enlève ton slip, ordonna le prof.

 Mais Msieur !!!

 Enlève ton slip, je t’apporte des vêtements secs.

Oui, à poil, à poil… fais nous voir ton zob… t’as un joli cul, criaient les autres  en rigolant.

 

 C’était vraiment comique de voir, là en face, ce pauvre Yann complètement à poil dans la nature, avec un petit zizi tout contracté par le froid et un air penaud, lui qui d’habitude était plutôt fanfaron.

 Le prof se précipita sur l’autre rive et tendit à Yann un survêtement d’ailleurs trop grand pour lui.

 La séquence ne dura donc que quelques instants mais elle s’imprima définitivement dans la tête d’Alex. Durant tout l’après midi les images lui revinrent sans cesse, un peu comme une vidéo qui repasse en boucle. Il eut du mal à tenir jusqu’au soir, mais là, malgré le massage plus doux, moins appuyé et moins rapide que d’habitude, il éjacula presque aussitôt, beaucoup plus vite qu’il l’aurait souhaité.


004   Alex, souvenir du lycée

 

Surf sur le web

 

 

            « Basta !» Trois clics de souris. L’ordinateur se met en veille.

 Ecoeuré Alex. Même pas envie de sa petite séance de plaisir solitaire.

 

 Ce soir, il se sentait encore tout émoustillé par la séance de cross de la veille. Il était passablement inquiet de ne pouvoir effacer les images de ce garçon nu grelottant de froid devant toute la classe hilare. Il se demandait s’il ne devait pas admettre une fois pour toutes son intérêt pour les garçons. Pourtant il aimait les filles et les quelques expériences, très peu nombreuses en fait et pas très complètes, qu’il avait eues, lui laissaient des souvenirs inoubliables auxquels Il faisait souvent appel lors de ses branlettes quotidiennes.

 

 Il avait donc décidé de s’informer un peu sur l’homosexualité, et plutôt que de risquer d’être découvert en allant acheter Têtu ou quelqu’autre revue du même genre à la Maison de la presse de sa petite ville de province, il s’était branché sur les sites gays du web. Il y en avait une multitude. Il avait choisi les plus proches géographiquement.

 

 Et là grosse déception.

 Que trouvait-il ? Les lieux de drague, les petites annonces du genre « je reçois à poil » « bcbg t’attend » (lire beau cul belle gueule évidemment), un étalage de mensurations généreuses à foutre des complexes.

 « Chat avec les mecs de ta région ». Après ce qu’il avait lu des annonces il n’avait aucune envie de dialoguer.

 On lui proposait aussi des galeries de photos et de vidéos.

Pire encore ! Une flopée de « straight boys » avec des engins à faire pâlir un taureau et dans des poses dépassant le ridicule. Des séries de pipes et d’enculades stéréotypées, des kilomètres d’obscénités, des tonnes d’exhibitions débilitantes…rien que du cul vulgaire et formaté, du cul, du cul, du cul, dans ces hypermarchés de la bite. La sensualité : connaît pas. Les sentiments : connaît pas. La douceur, la gentillesse, les caresses, les câlins : connaît pas.

 « Ces photographes ne sont que des techniciens qui n’ont aucun sens de la sensualité, qui ne savent pas montrer les garçons. Ne seraient-ils pas homophobes ? » Pensait-il. « Quant aux modèles, ce sont de mauvais acteurs qui font leur job comme des fonctionnaires zélés sans aucune inspiration ni imagination. »

 

 Ce qu’il aurait aimé, ce sont des confidences de garçons comme lui, s’interrogeant, se cherchant, se construisant une sexualité. Ce sont des photos artistiques valorisant la beauté et la sensualité du corps de l’homme. Des attitudes, des regards touchants, attendrissants. Des vidéos montrant une main caressant une joue, des lèvres… enveloppant une épaule… dessinant le contour d’un pectoral avant de titiller légèrement le téton… descendant lentement, très lentement le long des abdominaux… hésitant un instant sur le plat du ventre… ébouriffant la toison… longeant le pénis encore presque au repos… se glissant finalement entre les cuisses. Cela accompagné de séquences de regards amoureux.

 Aurait-il eu des réactions ou des sensations significatives ?

 

 Peut-être n’avait-il pas choisi les bonnes adresses. Il se promettait, d’essayer à nouveau.

 En tout cas, pour le moment, c’était chez lui la débandade !

 Il se déshabilla rapidement, prit sa douche, se coucha et heureusement s’endormit presque aussitôt.


005 Le cadeau de Noël

 

 Alex rendait régulièrement visite à la fille des voisins. Elle avait le même âge que lui mais pas la même approche de la vie : elle avait été renversée par une voiture sur un passage piéton en revenant de son cours de danse, il y a quelques années, et elle avait été gravement blessée. Atteinte à la colonne vertébrale, elle était désormais paraplégique. Elle suivait, dans son fauteuil roulant, quelques cours au lycée, ceux qui étaient au rez-de-chaussée, les étages, sans ascenseur, lui étant inaccessibles. Elle prenait des cours par correspondance et Alex venait l’aider dans son travail quand elle en avait besoin. Il s’était établi entre eux une franche camaraderie. C’était d’ailleurs une fille remarquable qui savait se montrer toujours gaie et était même capable de remonter le moral des défaitistes. Jamais envieuse ou agressive, elle était appréciée de tous. Alex l’aimait beaucoup. Il ne savait pas trop ce qui l’attirait vers elle : de l’admiration, incontestablement, pour quelqu’un qui était capable de dominer, apparemment en tout cas, un si lourd handicap ; un intérêt certain pour son esprit vif et ses reparties pétillantes souvent teintées d’humour ; pour sa gentillesse ; sans doute entrait-il aussi en jeu de la compassion, et peut-être un peu de pitié.

 

 La veille de Noël, après une bonne journée de ski, un peu courte car en décembre les jours sont très courts et les remontées mécaniques s’arrêtent tôt ; après avoir pris sa douche et s’être changé, il proposa par téléphone à Emilie de lui faire une petite visite. Il reçut une réponse enthousiaste.

 

  Alex, que je suis contente de te voir ! Raconte moi ta journée. Comment  était la neige ?

 

 Alex lui fit un bref récit, ne voulant pas s’étendre sur un plaisir inaccessible à Emilie. Il allait changer de sujet quand elle l’interpella :

 

  Alex, j’ai un service à te demander.

  OK, dis-moi

 ─ C’est quelque chose de très important pour moi, mais j’ai peur que tu  refuses.

  Tu sais bien que si je peux faire quelque chose pour toi, ce sera toujours  avec plaisir.

  Tu me promets d’accepter ?

  Si je peux faire, oui, bien sûr.

  J’ose pas te dire.

  Allez, accouche.

 

 Il regretta aussitôt ce mot tout à fait inopportun et déplacé quand on s’adresse à une paraplégique.

 

  Je n’ai jamais vu en vrai un garçon nu. Je voudrais te voir tout nu.

  Ça va pas , non ! Et tu te rends compte si tes parents rentraient ?

  Ils sont chez des amis ce soir, ils ne rentrent que vers 10, 11h. Regarde, ils  m’ont préparé un plateau repas.

  J’ai jamais fait ça !

  Alex, ce serait le plus beau cadeau de Noël que tu pourrais me faire.

  ……. !!!

  Allez, sois gentil. Tu as promis.

 

 Elle semblait tellement y tenir qu’Alex ne put se résoudre à la décevoir. Et puis pourquoi la priver de ce petit plaisir alors qu’elle avait tellement de frustrations ?

 Il enleva vite fait son pull, puis ses chaussures et ses chaussettes.  

 

  Pas si vite Alex, laisse moi le temps de profiter.

  J’sais pas faire. Jamais fait de strip.

 ─ Tu enlèves très lentement ton tee-shirt…Plus lentement ! Là…Maintenant  jette-le…fais pareil avec le jean… tu vas trop vite…

 

 Alex lui fait face en boxer, passablement gêné.

 

  Enlève aussi ton slip.

  Non, j’peux pas…je bande !

  Je t’en prie…j’ai jamais vu un garçon qui bande.

 

 Alex se retourna et, prestement, enleva son boxer.

 

  Mais que tu es beau ! Laisse-moi voir…Allez, tourne-toi maintenant…ma.... gni...fique ! Reste…reste un moment comme ça…oui, j’adore…

 

 Le regard de la jeune fille était enjoué, mais Alex vit une larme couler sur sa joue.

 

  Merci, merci Alex, t’es vraiment un ami. Tu peux pas savoir le plaisir que tu   m’as fait !



006 Souvenir du pensionnat

 

 Alex, au lycée, était externe. Il n’y allait que pour les heures de cours, rentrant même chez lui pour le déjeuner. Ce régime lui convenait parfaitement car, s’il était sociable, il n’aimait pas trop la vie en groupe et les contraintes qu’elle induit, et il avait besoin de moments de solitude pendant lesquels il donnait libre cours à ses pensées, à ses fantasmes. Aussi accepta-t-il avec mauvaise humeur la décision de ses parents de l’inscrire comme interne pendant un trimestre. Ce n’était pas du tout pour l’éloigner d’eux, pour s’en débarrasser, ou pour le punir d’une mauvaise conduite ou de mauvais résultats. Au contraire la relation entre eux et leur fils unique était excellente, faite d’affection et de confiance. Mais ils devaient partir pendant trois mois en Australie pour affaires et ils ne voulaient pas laisser Alex livré à lui-même. Il passerait la semaine au lycée et irait le week-end chez sa tante à Lyon.

 Arriva le jour de son installation. Pas si vétuste que ça l’internat ! Le dortoir de seconde était fragmenté en box de deux lits, deux armoires, deux tables de chevet, fermés par un rideau sur l’allée centrale. Pas de lampes de chevet : pas moyen de lire après l’extinction générale des plafonniers à l’heure réglementaire. Pas de bureau non plus : au dortoir on dort, le travail se fait en étude. « Ça fait quand même un peu 19éme siècle, se dit Alex. C’est pour quand la rénovation des bâtiments et du règlement ? Et en plus un surveillant pour faire régner l’ordre et la discipline ! »

 Les sanitaires sont communs évidemment. « Tout de même il y a des portes aux chiottes, mais les targettes sont toutes cassées, quant aux douches, aucune fermeture. « Il va falloir s’habituer à laisser sa pudeur au vestiaire » pensa Alex, « C’est chiant car je suis le petit nouveau et je vais me faire mater à fond. Ils vont évaluer, mesurer, comparer…Allez-y, jsuis pas minus, jsuis même fier de mon cul…Seulement attention, je trique pour un oui pour un non et vraiment ça m’emmerde. Je me mets à poil : je bande. Je vois un mec à poil : je bande. Idem pour une fille, mais j’ai pas souvent l’occase de voir pour de vrai une nana à poil. Des fois je ne vois rien du tout et je bande quand même. Qu’est-ce qui se passe dans ma tête ? J’aurai l’air con si je suis le seul à avoir la queue bien raide. Sûr qu’ils vont se payer ma tête, ou se payer ma teub, et me traiter de pédé, d’enculé, parce que c’est encore l’injure suprême chez les jeunes cons. Comment ça se passe dans les internats de garçons ? Je vais bientôt le savoir. A moi de me démerder pour ne pas être une tête de Turc. »

  On lui attribua un box partagé avec un gringalet boutonneux introverti, pas vraiment le genre marrant. Alex trouvait que c’était très bien ainsi. Se déshabiller devant lui ne posait aucun problème. L’autre ne lui prêtait aucune attention et s’empressait d’enfiler un pyjama, soustrayant au regard la moindre parcelle de peau. Alex n’osait pas dormir nu comme il avait l’habitude de le faire chez lui. Il n’aimait pas avoir, dans son lit, le corps entravé par des vêtements. Il avait donc opté pour un moindre mal : le caleçon. Celui-ci était plus favorable qu’un boxer à ses érections et à ses manipulations libératrices, pendant que le voisin dormait évidemment.

 Les autres s’intéressaient un peu à Alex mais lui foutaient la paix, même aux douches. Il y avait un petit latino très brun et tout frisé, sympa et assez drôle qui s’était lié d’amitié avec lui. Cet Angelo fit des pieds et des mains, et du charme (mais pas plus semble-t-il) au surveillant pour échanger sa place et venir s’installer dans le box d’Alex. Ce garçon était plein d’optimisme et de vitalité et avait toujours une bonne blague à raconter. En plus il était vraiment beau : des yeux d’ébène pétillants de malice et d’intelligence sous d’épais sourcils noirs, des lèvres généreuses ; un visage un peu boudeur peut-être, mais qui s’éclairait vite avec un sourire charmeur ; un corps harmonieux, déjà bien formé, rayonnant de sensualité.

 Avec lui les soirées furent bien vite différentes.

 Le déshabillage du premier soir fut un véritable show, chacun espérant, guettant et surprenant le regard de l’autre au fur et à mesure de l’effeuillage. Quand ne restèrent plus que les boxers, il y eut un moment d’hésitation.

 

  Chiche que tu l’enlèves, dit  Angelo.

 

 Le cœur d’Alex battait la chamade. Il était partagé entre l’envie très forte de se mettre nu devant ce garçon qui lui plaisait et une pudeur dont il ne parvenait jamais à se départir. Et puis il sentait bien monter dans son boxer la pression caractéristique. Mais il avait l’impression qu’il se passait la même chose dans le boxer d’en face, et il éprouvait l’intense besoin de voir son nouvel ami complètement nu, là, devant lui, pour lui.

  

  OK mais on l’enlève ensemble : à trois. Je compte : Un, deux, trois.

 

 Belle toison de part et d’autre, d’un noir de jais chez Angelo, moins foncée mais tout aussi fournie chez Alex, ne dissimulant pas du tout deux belles verges qui achevèrent rapidement leur plein épanouissement. Pourtant il fallut en rester là et se mettre au lit. Attention aux regards étrangers indiscrets, aux rondes du surveillant…prudence !

 Il fallut attendre (et que ce fut long !) l’extinction des lumières et le sommeil supposé des voisins les plus proches pour se retrouver dans un seul lit et s’adonner aux délices de la découverte de ces jeunes corps encore adolescents. Les soirées furent désormais rythmées par ces rencontres charnelles, alternativement dans un lit et dans l’autre.


007  Le chantage

 

 Il y avait à peu près un mois qu’Alex vivait jour et nuit au lycée et ça se passait beaucoup mieux qu’il l’avait imaginé. Depuis qu’il vivait des soirées hyper sensuelles avec son compagnon de box, il avait beaucoup moins souvent la gaule pendant les cours. Il aurait volontiers envisagé de prolonger son statut d’interne jusqu’au terme de son année de seconde, bien que ses habitudes de confort et surtout de liberté lui manquassent. Mais un incident allait en décider autrement.

 Une nuit, alors que le dortoir était complètement silencieux, sans même un ronflement, un horrible cri retentit, aussitôt suivi d’un fracas métallique, comme si une armoire avait été défoncée ou renversée, et d’une courte cavalcade. Les trente garçons du dortoir furent réveillés. Beaucoup d’entre eux ouvrirent le rideau de leur box pour voir ce qui se passait. Le surveillant, surpris lui aussi, sortit précipitamment de sa cahute et se dirigea vers le lieu supposé de l’événement. Dans sa hâte angoissée il ne s’était pas rendu compte qu’il était complètement à poil. Peut-on avoir de l’autorité sur une trentaine de jeunes garçons quand on est à poil ? Eh bien oui ! Une inquiétude régnait dans le dortoir et personne ne broncha. Pas la moindre rigolade, pas le moindre commentaire. Pas la moindre information non plus sur ce qui c’était passé : tentative de viol, agression, vengeance, expédition punitive ? Omerta.

 Environ quinze jours après cet incident, Alex fut, un soir, convoqué par le surveillant dans sa piaule. C’était, à l’extrémité Sud, un box beaucoup plus grand que les autres, avec un bureau surchargé de bouquins et de dossiers, et des sanitaires privés. Le surveillant (il s’appelait Thomas) invita Alex à s’asseoir et commença une conversation sur le mode de la confidence, presque à voix basse, sans doute pour éviter à des oreilles indiscrètes de capter les propos.

 

  Alex, je trouve que tu t’es bien intégré dans ce dortoir. Est-ce que tu as des  problèmes avec quelques uns ?

  Non, pas du tout. De toute façon j’aime bien régler mes problèmes moi-même.

 

Thomas était un surveillant qui gardait habituellement ses distances avec les élèves. Ni sympathique, ni antipathique, il ne donnait pas l’impression d’avoir envie de lier connaissance. Sa démarche, ce soir, étonnait d’autant plus Alex. Physiquement c’était un mec assez ordinaire d’environ 25 ans. Il avait un corps un peu trop haut pour la largeur, et la poitrine plate des gens qui ne se sont jamais exercés aux activités physiques. Il avait la réputation d’être bûcheur, sérieux, sans aucun sens de l’humour, intraitable sur le règlement et peu enclin à l’indulgence. Cependant il n’était pas détesté comme peuvent l’être certains pions.

 

  Tu t’entends bien avec Angelo.

  Oui, c’est un bon copain, répondit Alex.

  Tu t’entends même très bien.

  Que voulez-vous dire ? Questionna Alex

  C’est plus qu’un copain !

  …… !?

 ─ Figure-toi que je suis parfaitement au courant de votre petit manège  chaque soir.

 

 Alex sentit le sang lui monter au visage. Il ne s’attendait pas du tout à ça. Thomas vit sa confusion et son inquiétude :

 

  Ne t’inquiète pas, ça reste entre nous. Simplement je voulais que tu saches  que je suis au courant.

  Qui est-ce qui vous a raconté ça ?

  Personne. J’ai des yeux et des oreilles, et le sommeil très léger. Mais je ne  te fais pas de reproches. C’est moi qui ai autorisé Angelo à s’installer dans ton  box. Or je sais bien que tu n’es pas le premier « copain » d’Angelo dans ce  dortoir. Evidemment si ça venait aux oreilles de l’administration ça ferait du  grabuge. Mais il n’y a pas de raisons que je lui raconte les amours des uns et  des autres. Je suis plutôt de votre côté et je sais garder un secret. Mais tu vas  m’aider à garder ce secret, en étant très gentil avec moi. Si tu veux je peux  t’apprendre plein de choses que tu ne connais pas, et tu n’auras pas à le regretter.

  C’est du chantage ?

 ─ Mais non ce n’est pas du chantage, je voudrais t’aider pour que tu   connaisses mieux les choses de la vie.

  C’est dégueulasse ce que vous dites, et je n’ai pas peur de vos racontars. Je me défendrai. Je dirai que vous vous baladez à poil dans le dortoir, j’ai au  moins vingt témoins. Je dirai à tout le monde que vous m’avez fait des  propositions. J’ai la cote, on me croira et vous l’aurez dans le pif (il n’osa pas  dire dans le cul). Si je suis renvoyé, vous le serez aussi. Ça sera un gros   scandale.

  Va-t-en petit con.

 

 Alex rentra dans son box en tremblant de tous ses membres.

 

  Qu’est-ce qui t’arrive ? Lui demanda Angelo. 

 

 Alex lui raconta l’entrevue.

 

  Quel salaud ! Qu’est ce qu’on peut faire ?

  Rien. S’écraser. A mon avis il ne dira rien.

 

 En effet Thomas ne dit rien. Mais Angelo dut changer de box, et Alex se retrouva avec un voisin ténébreux avec qui il n’avait aucune affinité.


008 L’esclave

 

Quelle lecture avait-elle donc pu provoquer ce cauchemar insensé qui l’avait réveillé vers deux heures du matin, couvert de transpiration et parcouru de tremblements ? Et en même temps il avait la gaule comme jamais et ressentait une irrépressible envie de jouir. Paradoxal, non ?

Il se souvenait de cette lecture, maintenant qu’il refaisait surface dans le conscient et le rationnel : c’était un gros livre de Daniel Camus, « Les Chevaliers du Royaume ». Ce roman historico légendaire racontait l’histoire d’une aventure. Elle se passait au XII° siècle, au cœur de ce Moyen Orient des croisades. Saladin, sultan d’Egypte, de Syrie et de Mésopotamie, se fit le champion de la guerre sainte contre les chrétiens et remporta la bataille décisive de Hattin, contre les Templiers et les Hospitaliers. Cela lui permit de s’emparer de Jérusalem, ce qui provoqua la troisième croisade.

La description d’un marché aux esclaves lui revint en mémoire : «  Le Kurde commençait à s’impatienter. Quand Massala revint, il tenait une laisse de cuir passée au cou d’un jeune esclave qui avait pour tout vêtement un maigre pagne, et marchait pieds nus ». Quelques lignes plus loin était écrit quelque chose comme : « Vous avez acheté là un bien beau garçon, faites en bon usage. Quel mal y a-t-il à profiter des charmes d’un jeune homme ? »

 

Alex était accroupi, depuis la veille, dans l’arrière boutique d’un marchand. C’était une boutique mobile, qui se déplaçait de lieu en lieu. Aujourd’hui on l’avait installée sur le marché d’une petite cité fortifiée. Lors de la mise en place, Alex avait pu apercevoir les échoppes voisines, ambulantes elles aussi. A gauche, un homme chenu vendait des reliques. A droite, un couple de harpies, monstres ailés à visages de femmes et à corps d’oiseaux de proie, posait immobile devant l’étale. Etres vivants ou statues ? Alex n’avait pas eu le temps de s’en rendre compte. Il avait entendu des incantations venant de là, et remarqué l’étalage de racines de mandragores. La place était noire de monde. Pas noire, en fait, chamarrée, tant les couleurs des vêtements des femmes, et aussi des hommes, étaient vives.

Alex était donc accroupi, et il était parmi huit hommes d’âges variés, qui ne parlaient pas le même langage que lui. Il était enchaîné à eux et ses pieds étaient entravés. Tous étaient vêtus de guenilles plus ou moins crasseuses. De temps en temps le vieux marchand venait chercher deux d’entre eux, quelque fois trois, et les emmenait vers le « salon » de la roulotte. Au bout d’un moment ils revenaient tous, ou bien il en manquait un. Et le cycle recommençait et les effectifs diminuaient. Les heures passaient ainsi, dans la chaleur étouffante de cet enclos exigu, dans la promiscuité des corps dégageant des odeurs de transpiration et d’urine rance, la gorge desséchée, la peur au ventre.

Ce fut vers la fin de la matinée que le vieux manant prognathe vint le chercher. Lui tout seul. Il l’introduisit dans le « salon », espace de la roulotte tendu de velours cramoisi, ouvert d’un côté, en podium, vers la foule.

 

 Et voilà le clou de ma collection, le plus bel article du marché, cria le marchand. Venez voir de la belle marchandise, du beau, du bon, du frais, du pas cher… Approchez, approchez.

 

La foule s’agglutinait devant la roulotte.

 

 Cent pour cent garanti, satisfait ou remboursé. Ici on ne vous cache rien. Ici on vous montre tout…

Déshabille-toi, ordonna-t-il à Alex en agitant sa cravache.

Regardez, mesdames et messieurs, il a du muscle, vous avez vu ses épaules ? Ses biceps ? Ses pectoraux ? Et puis côté organes on ne fait pas mieux !!

Fais voir tes fesses et tes cuisses. C’est pas beau ça ?

Approche-toi du bord.

Vous pouvez toucher, mesdames et messieurs, tâtez comme c’est ferme, pensez à tous les usages que vous pourrez en faire…

 

Aussitôt des mains s’emparèrent des chevilles d’Alex, montèrent vers les mollets en palpant hardiment, puis vers les genoux, puis les cuisses… Et alors se produisit un phénomène extraordinaire. Etait-ce sous l’effet du fumet de mandragore qui se dégageait de l’échoppe voisine ? Toujours est-il que les mains baladeuses se transformèrent en serpents qui s’enroulaient autour des membres inférieurs d’Alex. Ils étaient de plus en plus nombreux et de plus en plus entreprenants. Franchissant les limites des cuisses, l’un d’entre eux s’enroula autour du sexe, tandis qu’un autre, s’enfilant entre les fesses, tentait de s’introduire à l’intérieur de son corps.

Alex était pétrifié. Il n’osait se défendre de peur de se faire mordre mortellement. Un serpent le pénétra entièrement. Il le sentait ramper et progresser dans son intimité. Un deuxième le suivit. Puis un troisième. C’est à ce moment qu’il s’évanouit.


008  Chez les Chtis

 

 C’est sans regret qu’au 3° trimestre de cette année de seconde Alex redevint externe. Il retrouva avec plaisir ses parents, retour d’Australie, ses amis, qu’il avait négligés par la force des choses, sa maison, sa chambre et la déco sympa qu’il y avait créée. Sa salle de bain lui parut luxueuse en comparaison des sanitaires du pensionnat, avec ses alignements de lavabos et de cabines de douches sans portes. Il savoura la liberté retrouvée d’aller et venir à sa guise, dans les limites du raisonnable bien sûr, vigilance des parents oblige.

 Et puis c’était le printemps qui met toujours de l’allégresse dans les cœurs.

Au pont du 1er mai, les parents d’Alex décidèrent d’aller rendre visite à de la famille restée dans le Nord de la France. Cette perspective ne réjouissait pas Alex et il essaya de les dissuader de l’emmener. Mais ils ne voulurent pas le laisser seul. Il monta donc à bord de la Mercedes familiale avec un air maussade, un casque de walkman sur les oreilles et un paquet de revues pour passer le temps.

 Ils furent invités un jour chez de très lointains cousins. Ces cousins avaient deux filles : la plus âgée, 19 ans, jolie comme un cœur, quitta la table à peu près au milieu du repas, sans doute impatiente d’aller retrouver son amoureux ; sa sœur, 15 ans, l’âge d’Alex, mignonne petite blonde appétissante, paraissait bien sage, un peu timide, toute de douceur et de sourires. Quand l’interminable repas s’acheva enfin, les deux jeunes eurent envie d’être un peu seuls. Le temps, bien qu’on fût au mois de mai, était exécrable : vent, pluie, froid, comme cela arrive assez souvent dans le nord. Il n’y avait qu’une chose à faire, monter dans la chambre et écouter de la musique.

 

  Ça ne te dérange pas si j’invite une copine ? demanda Delphine.

  Pas du tout. Elle est sympa ?

  On rit beaucoup avec elle.

 

 La copine arriva quelques instants plus tard. C’était une grande brune longiligne aux yeux noirs remplis d’éclats de diamant. Elle mit tout de suite une bonne ambiance, décontractée et chaleureuse. La musique douce, presque langoureuse, l’atmosphère douillette et intime de cette chambre de jeune fille, la proximité des corps nonchalamment étalés sur la moquette, l’air engageant de la copine Miry,...firent que les mains d’Alex devinrent baladeuses. Les filles semblaient tout à fait disponibles pour une petite séance de flirt. Alex n’avait pas beaucoup d’expérience et il craignait de faire une maladresse qui gâcherait la suite de ce début prometteur. Il aurait préféré s’entraîner avec une seule fille, mais il se trouvait qu’il y en eût deux, et il ne voulait pas négliger l’une d’entre elles, c’eût été de la goujaterie. Il passa ses lèvres sur les bras nus de l’une, puis de l’autre. Il s’enhardit à leur embrasser le visage, puis il tenta une approche des lèvres de Delphine, qui ne les refusa pas, et passa à Miry, qui l’accueillit avec volupté. Le parfum de cette fille ! Il s’en enivrait. Jamais il n’avait senti un parfum aussi sensuel. Il se sentait fasciné par cette nana et avait une envie folle de toucher sa peau partout. Mais il se contenta de passer la main, par-dessus les vêtements, sur ses petits seins tout fermes, sur ses hanches, sur ses cuisses, tandis qu’il léchait le cou de Delphine. Tous trois s’allongèrent l’un contre l’autre et Alex consacra sa main gauche à Delphine, et sa main droite à Miry, tandis qu’il embrassait alternativement l’une et l’autre. En retour, il regrettait de n’avoir au mieux qu’une main dans les cheveux, ou posée sur son épaule. Pas la moindre tentative vers le dos, la taille, les fesses, ou la zone scabreuse, où d’ailleurs la compression était à la limite du douloureux. Mon Dieu, comme il aurait aimé ! Ce qu’il appréciait dans les caresses, c’était beaucoup celles qu’il recevait. Mais il n’était pas mécontent de conduire les opérations, et, apparemment, il ne s’en tirait pas trop mal. Il était content d’avoir des élans aussi puissants vers les filles, lui dont les sens étaient souvent mis en éveil par des garçons. Cela le rassurait, il n’avait pas envie d’être homo, encore moins que ça se sache. Le poids de l’éducation sans doute, les quolibets encore fréquents dans les écoles : tapette, pédé, enculé,…son attirance pour les garçons le perturbait quelque part.

 

 Les jours suivants il remit le même pull, parce qu’il s’était imprégné du parfum de Miry. A chaque fois c’était le même enivrement, et aussi la sensation de manque, d’absence. Le désir faisait naître en lui les images les plus idylliques. Serait-il tombé amoureux ? Etait-ce comme cela l’amour ?

 

 Hélas, sans doute ne la reverrait-il jamais ! Il avait un espoir cependant : ces gentils cousins, chez qui s’était déroulée cette journée inoubliable, l’avaient invité à venir passer une semaine avec eux cet été, après son stage linguistique, dans la villa qu’ils avaient louée au Touquet Paris Plage. Il avait accepté avec enthousiasme, en pensant que c’était sa dernière chance de peut-être revoir Miry avant qu’elle soit à un autre que lui.


010 A rebrousse poil

 

 C’est en allant acheter son Charlie hebdo qu’il rencontra Gilles, un copain de collège, accompagné d’une blondinette Pigier. Après une 3° catastrophique, Gilles avait bifurqué vers un enseignement court (pardon ! comme irrécupérable on l’avait fourgué au LEP).

 

  Salut, qu’est-ce que tu deviens ? demanda Alex

  Salut, ça me fait plaisir de te voir. Elle c’est Vanessa.

  Hello Vanessa. Je t’ai déjà vue mais je ne sais plus où.

  Dis-moi, toi tu étais un bon, tu en chie pas trop au lycée, demanda Gilles

  Non, ça va. Et toi au LEP ?

  Tait toi, j’en ai une bonne à te raconter. Si t’as un moment on peut prendre  un pot ensemble.

  OK

 

 Une fois le trio installé et servi dans ce bistrot du centre ville, Gilles se mit à raconter son histoire.

 

  Notre prof d’art appliqué, il était super. Avec lui on avait plein de projets intéressants. Plus c’était délirant, plus ça lui plaisait. On a réalisé des super trucs, j’te dis pas. Un jour il nous dit « Je vais vous abandonner pendant quelque temps, je dois être opéré, et après j’aurai un traitement ». On a tous compris et on était sur le cul. « Vous aurez un remplaçant » qu’il nous dit, « il faudra être sympa avec lui ». On s’est cotisé et on lui a fait un cadeau avant son départ.

 Seulement son remplaçant, c’était une gonzesse. On voit débarquer une grande escogriffe à l’air paumé, genre Anémone, tu vois ? Un air de vieille pucelle coincée et effarouchée. A côté de ses pompes. Et la voix, j’te dis pas. On aurait dit une mouette ! Quand on a une voix comme ça on fait un métier où on n’a pas à s’en servir. Et voilà t’y pas qu’elle arrive avec sa méthode à la con. Au lieu de continuer ce qu’on faisait, elle fout tout par terre. « Il faut reprendre les bases » qu’elle dit. Elle nous prend à rebrousse poil et elle nous traite comme des mômes, et ça on supporte pas. Ça commence à chahuter sec, à gueuler même, parce qu’il n’y a pas que des enfants de chœur dans la classe ! Et on voit tout de suite qu’elle n’est pas fichue d’avoir de l’autorité : elle dit qu’on lui fait de la peine, elle nous la fait au sentiment, et ça passe pas du tout ce chantage. Toute la classe est remontée contre elle. Sauf un ! Qu’est-ce qui lui prend à Nico de la défendre tout le temps ? De lui lécher les bottes ? Ma parole il en pince pour cette grande bringue !

 Un jour qu’elle a passé les bornes, qu’elle nous a vraiment fait chier avec ses conneries, on se fout en rébellion. Spontanée. Rien manigancé avant. Toute la classe, sauf Nico. Braillements divers, cris d’oiseaux, tables renversées,…la prof se met à hurler aussi : « si ça continue je vais… » Mais sa voix se perd dans le brouhaha. Vaincue, elle se laisse tomber sur la première chaise venue et elle attend que ça se passe.

 Alors, tout d’un coup, on a envie de lui montrer qu’on est pas des mômes. Nico, qui se dirigeait vers elle, sans doute pour la consoler, se fait attraper par quatre mecs qui le montent sur une table et le maintiennent là. « M’dame, il est amoureux de vous. Il vous plaît ? On va vous montrer la marchandise ». Et à cinq ou six ils se mettent à le déshabiller. Nico gueule comme un putois. Il essaie de cogner mais il n’est pas le plus fort, et, en un rien de temps il se retrouve en slip, rehissé sur la table comme sur un podium. Il est fou et la prof se tient la tête dans les mains, et tout le monde est surexcité. D’un coup Mélissa, une noire qu’a pas froid aux yeux, arrive par derrière et lui descend le slip sur les chevilles. Le mec est complètement à poil sur la table au milieu de la classe et la prof est toujours prostrée sur sa chaise. « Alors Madame, il est pas beau votre amoureux ? Il vous plaît pas ? Si vous voulez on se fout tous à poil, les garçons, et vous choisissez… A moins que vous préfériez les filles ?... A poil les filles ».

 Pendant ce temps, au tableau, les mecs écrivent toutes sortes de cochonneries : « Aujourd’hui on baise gratis », « On n’est pas des puceaux », « On a tous envie de toi », etc.

 

 Elle a été délivrée par la sonnerie, parce que not’ récré, on y tient, et not’ p’tit joint aussi pour se remettre d’aplomb. Elle n’est même pas allée se plaindre au proviseur. Elle est partie et on ne l’a plus revue. Depuis on est sans prof.


011 BD nulle

 

 Alex

 Quoi ?

 Regarde, j’ai dessiné une BD. C’est un type qui pisse et qui se dégonfle comme une bouée, et il lui reste plus que la bite et les couilles, posées sur ses mains pour marcher.

 Fais voir

 C’est nul. Reiser a fait quelque chose comme ça. Mais bien !

 

 Alex

 Quoi encore ! J’écoute.

 Ça t’intéresse, les aspects contextuels du sens ?

 Non, je m’en fous, mais la prof nous regarde, on va se faire engueuler.

 T’es bien le seul à faire semblant d’écouter, regarde, tout le monde s’emmerde.

 Arrête !!

 Alex, j’ai envie de baiser.

 Ben oui, moi aussi.

 J’ai envie de baiser avec toi.

 T’es complètement malade !!!

 Tu baises bien avec Marc !

 Ça va pas, non ? Marc, c’est comme un frère, c’est mon meilleur copain. Répète ça et je te casse la gueule.

 J’croyais.

 Fais voir ta BD, je vais t’arranger ça.

.......................................


 Ouais, c’est vachement mieux !

 Alex et Lucas, apportez-moi ce papier.

 Mais Madame, on prend des notes.

 Apportez-moi ce papier.

………………………………

 

 Qui a dessiné ça ?

 C’est nous deux M’dame.

 C’est tout à fait bête. Je veux quelque chose d’intelligent et drôle. Pour le prochain cours vous me faites chacun une BD, une planche entière, mais je veux rire. Si je ne ris pas, vous aurez une colle. MDR !! LOL !!!


014 Cauchemardantesque

 

 Il était attaché de telle sorte qu’il ne pouvait pas bouger. Si, il pouvait ouvrir et fermer les yeux, la bouche, remuer les doigts des mains et des pieds. Tout le reste était entravé, le cou, les poignets, les chevilles. Solidement fixé sur quelque chose de très dur, une planche de bois sans doute, qui lui faisait mal au dos.

 Il lui semblait qu’il était entièrement nu, mais ne pouvait le vérifier. Il scrutait tout ce qu’il pouvait apercevoir. C’était uniquement le haut des murs et le plafond. Le plafond ! Il était spécial le plafond ! Pas un plafond normal avec une lampe pendue au milieu, ou des spots. Non. Sinistre. Ce qui était pendu, c’était toutes sortes de chaînes. Certaines avec poulies. Des crochets. Des instruments bizarres qu’il ne connaissait pas.

 Où diable se trouvait-il ? Dans une salle de torture, pensa-t-il, atterré ? Qu’avait-il fait pour se retrouver là ? Et pourquoi était-il seul ? L’avait-on laissé pour mort après une séance de torture ? Pourtant il ne souffrait pas, à part un peu du dos à cause de la dureté de cette planche. Il était là depuis quand, maintenu ainsi bras et jambes écartées ? Il ne devait pas y avoir très longtemps puisqu’il n’avait ni faim ni soif. Mais il avait peur. Il allait être le jouet d’il ne savait quelle puissance terrifiante qui avait tous pouvoirs sur lui. Peut-être allait-il servir de cobaye pour une expérience scientifique ? Une dissection peut-être ? Il avait bien vu au lycée qu’on attachait les souris comme ça pour les disséquer. Mais elle étaient mortes les souris, tandis que lui était bien vivant. Il se perdait en conjectures plus sordides les unes que les autres et s’apprêtait à vivre des instants d’une inouïe cruauté. Et sans doute à mourir. Angoisse extrême. Au bord du précipice, du trou noir, de la syncope.

 

 A ce moment un léger bruit se fait entendre. Une porte qu’on ouvre avec précaution semble-t-il. Puis un souffle irrégulièrement rythmé. Une respiration. Mais pas une respiration normale. Plutôt un reniflement. Oui. Un chien peut-être ? Ou quelqu’autre animal ? Une panthère ? Oui, c’est ça, il est livré à une panthère qui va le déchiqueter petit à petit. Des images atroces des « Dents de la mer » et de « Open Water » lui reviennent. Il est à nouveau au bord de l’évanouissement.

 Il sent une langue qui commence à lui lécher les pieds. Non, ce n’est pas une panthère, c’est une petite langue. Mais c’est dégueulasse : elle est poisseuse cette langue, elle laisse sa bave partout où elle passe. Alex sent la langue et sa bave monter vers les mollets, puis les cuisses. Il est consciencieusement et intégralement léché et déjà les membres inférieurs sont recouverts d’une substance visqueuse qui lui fait penser à des crachats. Pour lui qui est dégoûté par un cheveu dans son lavabo ou une trace sur un verre, c’est un supplice abominable.

 La langue s’attaque à ses testicules, les recouvrant de la même salive répugnante. Puis elle s’affaire sur le pénis. Celui-ci se soulève légèrement sous l’action de la langue et retombe, flasque, sur le côté, où il reste collé par la mélasse. Les soufflements et halètements se font de plus en plus intenses et précipités. Alex, la tête bloquée en arrière par un large collier de cuir épais, ne peut toujours pas apercevoir son bourreau.

 C’est au ventre maintenant de subir les assauts du monstre. Longuement, interminablement. Poisseux à son tour, le ventre. Les pecs et les tétons vont y passer aussi. C’est alors qu’Alex voit apparaître un énorme crâne entièrement chauve parsemé de taches brunes. La « chose » s’approche encore, survole le menton et vient se positionner au dessus de la bouche. Alors Alex voit ! Une face immonde de vieux, gras, gros, graisseux, plissée partout, des lèvres écumantes découvrant partiellement des chicots jaunes…

 C’en est trop ! Il est agité d’un brutal hoquet, son estomac se contracte violemment et projette sur cette face de mollusque avarié un puissant jet de vomi.

 Réveil instantané !

 Il y a du vomi partout dans son lit, sur lui, puant, collant, et il sent à nouveau monter l’envie de gerber…

 Il est réellement malade, Alex.


 013  Mauvais jour

 

 « L’autre jour, je prenais un pot avec Marc. C’est comme un frère Marc. C’est mon copain copain. Depuis tout môme. Point (pas d’insinuations s’il te plaît ! NDLR).

 Tout d’un coup tout le monde entend un cri d’oiseau. Etonnements, regards à droite et à gauche. C’était un portable qui sonnait. Le mec se lève et sort lentement l’engin de son jean (pas de pensée vicieuse, s’il te plaît ! NDLR), manifestement satisfait d’avoir capté l’attention et de pouvoir exhiber son originalité et sa créativité.

 Commence alors une conversation à très haute voix, frime oblige (en fait pour nous c’est un monologue), où l’originalité et la créativité ont déjà complètement disparu : t’es où ? Tu fais quoi ? T’as pas bouffé ? J’suis au « Bar du stade » avec Nico et Thierry (et la fille avec eux, elle compte que dalle ?)… Dans un moment… Aplus… Le genre de propos particulièrement inintéressants pour l’entourage (répète un peu, j’ai pas tout compris).

 Pauvre mec, qui en est réduit à se faire remarquer par un cri d’oiseau ! D’ailleurs ça te va bien. Approche-toi. Allez, n’aie pas peur, je ne te ferai pas de mal, je ne suis pas un violent (en réalité je suis un tendre, et le moindre doux regard me propulse dans les étoiles). Allez, maintenant déshabille-toi… Oui, le slip aussi. Tout nu. Ah, tu as un tout petit zizi, comme ton cerveau ! Mets-toi de profil. Je t’aplatis les cheveux. Voilà. Super. T’as un long nez, un grand cou…t’as l’estomac et le bide proéminents, si c’est pas une honte à ton âge ! T’es sûrement un bon client des Mac Do. En tout cas ça te fait un super profil, surtout avec le cul en arrière et ces grandes guibolles toutes maigres. Oui, je sais, elles te permettent de courir très vite. Prends ces quelques plumes dans les mains. Regarde, si je te fous le reste des plumes dans le cul, tu ressembles vraiment à une autruche. Tu as eu bien raison de choisir ce cri d’oiseau pour ton mobile. C’est de la morpho-psycho suggestion. Et une incoercible nécessité.

 Mais qu’est-ce qui me prends de m’acharner contre ce type qui ne m’a personnellement rien fait ? Allez, je me calme, je lui fous la paix.

 La fille ! Elle a aussi un air qui ne me revient pas. A toi maintenant. Approche… Comment tu t’appelles ? Patoue ? C’est un peu débile comme nom. C’est plutôt un nom de chienne, non ? D’ailleurs t’as de grandes oreilles… Allez, déshabille-toi. Oui, à poil !...Et mets-toi à quatre pattes…

 Mais je suis odieux aujourd’hui !!!

 Décidément je suis dans un mauvais jour ! »


014 Marc

 

 « Marc, c’est mon pote, c’est mon meilleur copain, c’est mon frère, depuis tout môme, c’est… »

 Il le martèle dans sa tête, Alex. Il applique la méthode Coué. Est-ce que ça marche ?

 Ils se voient souvent, vont au même bahut, font les mêmes sports, ont plaisir à être ensemble, ont une confiance réciproque, se font des confidences comme les filles. C’est beau cette amitié !

 Bien sûr ça n’empêche pas quelques disputes, mais jamais de haine. Il y en a toujours un qui revient vers l’autre pour se réconcilier.

 Depuis quelques jours Marc est malade. Il a une forte fièvre et de violents maux de tête qui le terrassent dans son lit, lui si dynamique. Alex est allé le voir déjà une fois, mais Marc dormait dans le noir absolu et il s’est bien gardé de le réveiller. Le verra-t-il éveillé cet après midi ?

 Marc l’accueille avec un pauvre sourire. Il est encore assiégé par les démons de la fièvre. Il a les cheveux collés par la sueur et une respiration rauque, presque un râle. Un léger drap recouvre jusqu’au cou le corps du garçon, dont il révèle en partie les formes.

 Non, il ne se l’avouera pas, Alex, qu’il meurt d’envie de se glisser sous ce drap et de s’allonger contre ce corps moite et brûlant. Qu’il est prêt à convoquer les génies magiciens pour prendre la place des démons de la fièvre, se fondre dans ce corps tant de fois désiré, le respirer de l’intérieur. Quelle est l’odeur de sa peau de l’autre côté ? L’exploration du dedans doit être d’une jouissance infinie. Que de découvertes, que d’aventures. Pénétrer dans les succions et les contractions de ses bronches, surfer sur les flux et reflux de son cœur, réveiller sa libido anéantie par des glissements dans les cartilages de son pénis, voir à travers ses yeux, sentir par ses narines, errer dans les arcanes de sa pensée, peut-être découvrir son âme… Connaître l’invisible avant de se retirer doucement en emportant le mal, le tourment de ce corps.

 Non, il ne se l’avouera jamais, cette répressible tentation de toucher ce visage, si connu et si inconnu ; d’effleurer les modelés souples ou tendus de ce corps, si proche et si lointain ; de palper les rondeurs mouvantes de ce sexe si souvent aperçu. Marc est hétéro. Diaboliquement hétéro. Il parle des filles avec des pétillements dans les yeux. Il s’enflamme à la vue d’une silhouette, du galbe d’une jambe, d’un corsage échancré, d’une épaule dénudée, d’un regard prometteur, d’une fausse indifférence,… Il a une nana attitrée en ce moment. Une fille gentille avec qui Alex s’entend très bien. Elle n’est pas la première. Mais elle est la première avec qui Marc ait fait l’amour. S’aiment-ils d’amour ? Ou bien sont-ils le jouet de leurs jeunes pulsions sexuelles ? L’illusion de l’amour ?

 « Pareil pour moi, se dit Alex, je ne suis pas amoureux, c’est une illusion. Planque ces mains qui veulent caresser sans ton autorisation. Serre ces lèvres qui frémissent sans ton accord. Baisse ce pavois qui n’en fait qu’à sa guise. Tu ne vas quand même pas gâcher une si longue amitié pour une illusion ! »


015 Le séjour linguistique ou Nice Bath !

 

 A la fin de son année de seconde, Alex fut envoyé dans une famille américaine pour se familiariser avec l’anglais et ne pas rester comme la plupart de ces petits Français qui sont incapables de s’exprimer dans une langue étrangère. Alex était assez bon au lycée dans cette discipline et il comprenait à peu près tout ce que disait le prof. Assez bon dans un lycée en France, ça veut dire médiocre dans la vie courante. Alex put le vérifier en arrivant à New York : il ne comprenait pratiquement rien de ce qu’on lui disait. Il faut dire que les Américains ont une façon à eux de prononcer l’anglais : ils font des contractions incroyables, avalent une quantité de syllabes, et parlent avec l’arrière gorge. Il était donc un peu décontenancé. Mais la famille qui l’hébergeait avait l’accueil très agréable et était parfaitement décontractée. Elle faisait tout ce qu’elle pouvait pour le mettre à l’aise.

 Cette famille était composée des parents et de leurs deux enfants : un garçon de huit ans déjà visiblement en surpoids, comme la mère, et une fille de douze ans, au contraire fine et élancée, comme le père, et apparemment assez délurée.

 Elle habitait un bel appartement, dans un immeuble résidentiel, avec gardien, donnant sur la promenade et les jardins le long de l’Hudson, à Battery Parc, au Sud de Manhattan, tout près du fameux World Trade Center.

 

 Alex fut ébloui par Manhattan, surtout par Midtown, là où il y a tous les somptueux gratte ciel de bureaux. On le fit monter au sommet de l’Empire State B. le soir pour qu’il découvrît cette extraordinaire mer de lumières tout autour. Il monta aussi au sommet d’une des deux Twin du World Trade Center. Il fut d’autant plus horrifié lors de l’abominable attentat terroriste contre les Twin qu’il savait sa famille d’accueil habiter tout près. Son gratte ciel préféré était d’ailleurs plus ancien, c’était le Chrysler B. avec sa flèche recouverte de grosses écailles brillantes. Il aima les longues promenades dans Central Park, et le pittoresque de Chinatown.

 

  Le lendemain de son arrivée, alors qu’il était tranquillement en train de prendre un bain comme on le lui avait recommandé pour se défatiguer du décalage horaire, Kayla, la gamine, entra vivement dans la salle de bain en posant une question qu’Alex ne comprit pas du tout. Pas le moins du monde effarouchée, la petite s’approcha de la baignoire et répéta sa question en s’appliquant à parler lentement et à articuler chaque syllabe. Alex était sidéré de tant d’effronterie, lui qui croyait les américains atteints de pudibonderie mania.

 « Manifestement elle le fait exprès de rentrer pendant que je prends mon bain. Elle veut se donner le plaisir de voir un garçon à poil. Ça doit commencer à la travailler, le sexe des garçons. Et puis elle doit pas bien savoir encore comment c’est fait, un garçon, surtout plus vieux qu’elle, déjà bien formé, avec des poils. » Pensa-t-il.

 Il se sentit rougir jusqu’aux oreilles : non seulement il était nu, mais comme toujours en pareil cas, il avait le sexe passablement gonflé, et qui flottait allégrement, découvrant des bourses bien roses et un peu ramollies par la chaleur. Il réprima un mouvement instinctif de ses mains pour venir cacher son paquet. C’eut été ridicule de faire la vierge effarouchée ! Il lança un regard vers la surface de l’eau, en espérant que le bain moussant dissimulerait la partie centrale de son anatomie. Mais la mousse s’était agglutinée autour de ses épaules, et au centre l’eau était parfaitement transparente.

  Se sentir observé, admiré peut-être, ne pouvait qu’amplifier son érection. Mais il n’avait pas du tout envie d’offrir le spectacle de sa zigounette en pleine expansion à cette petite effrontée. Il s’assit dans la baignoire et replia ses jambes, n’offrant plus que son dos et ses genoux aux regards de la fillette.

 

  Please, can you let me get a quiet bath ? I see you again in a few minutes,   OK ? Baragouina-t-il avec un parfait accent français.

 

 Kayla lui sourit et se décida à quitter la salle de bain, non sans prononcer quelques mots qu’à nouveau Alex ne comprit pas.

 

 Bizarrement Alex se sentait tout excité par cet incident. Il avait une forte envie d’une bonne séance de plaisir solitaire.

 « Suis-je normal, se demandait-il ? Qu’on me voie nu, à la fois je le redoute et je l’espère. Pudique et exhib en même temps. Et qu’on me voie nu me plonge dans un trouble puissamment érotique. C’est l’exposition de ma propre nudité qui me procure les plus fortes excitations. Narcissisme exacerbé, pathologique ? Est-ce que les autres garçons sont comme moi ?»  

 

 La gamine s’avéra être d’un tempérament spontané, décontracté, naturel, généreux, un peu espiègle, pas du tout vicieux.

 Alex fit d’énormes progrès en prononciation et en conversation anglaises, se prit d’affection pour cette famille sympathique et cool, revint enchanté de son séjour à New York et se promit d’y revenir à la première occasion.


016  Le Pic des Mémises

 

 Il ne savait pas donner de date, il n’était pas sûr de l’année non plus. Mais ce souvenir restait en lui comme quelque chose de lumineux.

 Il faisait beau, il faisait chaud, malgré l’heure relativement matinale. Torse nu, sac à dos, après avoir abandonné la voiture au bout de la route, au dessus de Bernex, il foulait l’herbe des alpages et inhalait un air saturé des parfums de la montagne : un mélange de terre, de roche, d’épicéas, de framboisiers, de mousse, de brume évaporée. Une euphorie s’était emparée de lui, l’envie de chanter cette profonde empathie avec la nature. Pourtant, chanter, il ne savait pas. S’épancher dans un poème non plus. Et à ce moment la conscience de son inaptitude à traduire en mélodie, où à livrer à la musique des mots son émotion, lui pesait.

 A ses côtés Mathilde babillait. Elle était mignonne en short et débardeur jaune bouton d’or, la peau bronzée et le visage rayonnant. Elle effeuillait une marguerite, je t’aime, un peu, beaucoup,…

 

  Mathilde, il ne faut pas cueillir les fleurs, elles aussi ont certainement plaisir à vivre. Et encore moins les faire souffrir.

  Tu es incorrigible, Alex, avec ta sensiblerie.

 

 Après le col de Creusaz ils atteignirent la belle falaise verticale paraissant infranchissable. Quelques vaches paissaient paisiblement dans les clairières de la forêt. Le chemin s’élevait énergiquement, en lacets, contournant la falaise. A un détour, il déboucha sur un petit col, le col de Pertuis, donnant accès à gauche à la pente de crête. Le sommet était proche.

 A couper le souffle le panorama ! Le Léman dans toute son étendue, ponctué par le Juras se noyant dans les brumes de chaleur.

 Tout est paisible ici. Les villages et les villes miniaturisées paraissent en harmonie avec la nature environnante. Aucune usine fumante, aucune industrie apparente, et si l’on se retourne, on ne voit, sur ces montagnes du Chablais, aucun pylône électrique ou de remontée mécanique, aucune travée de piste meurtrissant leurs flancs. Seul, là-haut, un bonheur !

 Quelques choucas virevoltent et planent comme pour souhaiter la bienvenue.

 

 Mais la jeunesse est espiègle, et c’est tant mieux. Au sommet des Mémises, il y a une croix de fer évidée. Pourquoi ne pas ajouter, à cette joie de l’altitude, un petit jeu érotique ? Alex enlève ses trekkings, ses chaussettes, son short, son boxer, et, complètement nu, se hisse sur la croix dans la position du crucifié.

 

  Ne bouge pas, je te prends en photo.

  Dépêche-toi, je sens que je vais bander. Je ne veux pas que tu fasses une photo provoc.

 

 Il descendit de la croix, un peu penaud d’avoir bafoué un symbole aussi fondateur. Mais fou de désir. Il entraîna Mathilde dans les buissons un peu en contrebas et ils firent l’amour comme jamais.

 Oui, à cet instant il aima cette fille. Ce ne fut pas seulement l’assouvissement de son plaisir qu’il chercha, comme d’habitude, mais le partage avec elle, et le partage avec la nature. Un don, plus qu’une jouissance, et, un court instant, la sensation d’une harmonie universelle.


017  Tempête au sommet

 

 Le cauchemar qui suivit, à la fin de l’été, l‘épisode idyllique du Pic des Mémises, fut aussi atroce que la petite course en montagne avait été sublime.

 Alex s’était retrouvé sur cette croix, nu, comme la première fois, mais crucifié. Seul.

 Autour de lui la nature était menaçante. Les épicéas se tordaient comme des flammes, nouaient leurs branches qui brandissaient de longues aiguilles agressives et vénéneuses. Les buissons dissimulaient mal une cohorte d’êtres maléfiques monstrueux, dont les multiples pattes, qu’ils agitaient dans tous les sens, étaient armées de griffes acérées. L’herbe elle-même avait revêtu l’apparence de herses, qui dressaient le rempart de leurs dards. Même les fleurs, peu nombreuses, étaient parées de couleurs diaboliques en mutation permanente. Et toutes les vipères du Chablais s’étaient donné là rendez-vous et attendaient, immobiles, têtes dressées, pupille verticale, langue intrépide, l’ordre inévitable de l’attaque.

 Il souffrait atrocement. Les liens qui le maintenaient sur cette croix entamaient profondément ses chairs et il saignait abondamment. Ce qui était pire, c’était ces milliers de vers qui couraient sous sa peau et qui le rongeaient lentement et inexorablement. Mais le plus horrible, c’était son émasculation. Lui si jeune, si prompt à obéir aux impulsions de son pénis, si désireux de décupler sa puissance sexuelle, si avide d’expériences multiples, si impatient d’assouvir ce qui n’était encore que fantasmes, ne pouvait supporter cet anéantissement. Il sentait la vie s’écouler lentement sur ses cuisses. Il souhaitait ardemment qu’elle s’écoulât plus vite. Oui, mieux valait mourir tout de suite. Ne pas risquer de survivre à la perte d’une virilité si ardente. Mourir, mutilé comme sur les gravures de Goya, dans son recueil des « Massacres de la guerre ». Il n’a pas connu la guerre, Alex, mais il l’imagine comme ça. D’ailleurs c’est bien ce qu’il lit dans les journaux, et ce qu’il voit, édulcoré des images trop insoutenables, à la télévision. Pourquoi la guerre l’a-t-elle atteint, lui, le pacifiste, le promoteur de la liberté, le défenseur des droits de l’homme ?

 Il se mit à pleurer, à s’inonder de larmes, et, curieusement, c’est ce qui le réveilla.

 

 Il essaya aussitôt d’effacer ce cauchemar par quelque pensée distrayante, voire frivole. Rien à faire. Les images de la scène remontaient inexorablement à la surface.

 

 Certes, Mathilde l’avait brusquement quitté. Elle n’avait pas supporté les regards, pourtant discrets, mais insistants, vers Anthony, ce jeune mec blond très sexy, notoirement homo. Elle n’avait pas supporté ces yeux qui déshabillaient ce garçon, et qui s’enflammaient à la découverte imaginaire de ce corps appétissant voué aux hommes. Elle avait jeté à la poubelle de délicieux fragments de vie, parce que, à ses yeux, ils n’avaient pas de sens.

 Le cœur d’Alex avait été meurtri, sa stabilité mentale avait un moment été fragilisée, ébranlée même. Une petite tempête intérieure s’était levée.

 Repris par le tourbillon de la vie et celui de ses désirs, il avait retrouvé l’assurance du barreur sachant éviter les écueils, les courants, les ressacs.


018 Qu’il est mignon !

 

« Mais qu’il est mignon aujourd’hui !» pensa Alex « Il me reçoit avec un bon sourire et ses yeux noirs intenses expriment avec éclat la sympathie. Il a cette expression intelligente, à la fois vive et tranquille, que je lui connais. Typé le visage, ça oui, mais dans le sens noble. Pas le genre belle gueule de magazine. Pas non plus le genre métèque. Plutôt petite bobine racée, futée, malicieuse et gentille, sculptée par des mains d’artiste. »

 « Il est vêtu d’un jean près du corps et d’une sorte de chasuble courte, légère, blanche, manches courtes, grand col largement ouvert. Il est torse nu là-dessous, la peau idéalement bronzée, comme toujours. Il est musclé fin. En fait il n’est pas vraiment musclé. Mais fin, oui, il l’est. Pas maigre, non, harmonieux et stylé. Ses mains ! Étirées, élégantes, distinguées. Nues, les mains. Pas d’alliance. »

 

 « Ce n’est pas la première fois que nous nous rencontrons. C’est la 8° fois. Il me demande comment je vais. Il est toujours aussi gentil. Il a à peu près le même âge que moi. »

 

 « C’est un accident qui nous a fait nous rencontrer. Un éclat de verre, un gros, un très gros, m’a heurté à la poitrine et m’a sérieusement endommagé le sein gauche. Il a su trouver les mots qu’il fallait pour me réconforter. Il a su me prendre en mains quand j’ai cafardé à cause de mes pectoraux défigurés. Et je lui en suis infiniment reconnaissant. »

 

 « Il ne se doute pas à quel point je flashe sur lui. Il me connaît pourtant beaucoup mieux que je ne le connais. Il m’a photographié sous tous les angles. Plusieurs fois je me suis déshabillé devant lui, quelque fois complètement. Lui, jamais. Il a eu tout loisir de détailler mon anatomie et de repérer les parties qui l’intéressaient. Que de fois il a touché mon corps ! Mais je ne m’en souviens pas. Je n’ai même pas senti ses mains sur moi. Comment m’en souviendrai-je ? Comment aurai-je pu sentir ? J’étais complètement endormi. J’étais sous anesthésie. »

 

 « Ce Kaled qui met mon petit cœur en émoi, et pas seulement mon petit cœur, c’est mon chirurgien, spécialité chirurgie réparatrice. Il m’a réparé mon sein, regonflé la cavité qui s’y était invitée, en réinjectant de la graisse qu’il a aspirée au bas de mes flancs. Ça s’appelle du lipomodelage. Merci kaled. Mais j’attendais plus. Tu m’as donné un nouveau rendez-vous dans quelques mois. Il me reste un petit espoir. »

 

 « Je sais, j’ai lu des histoires de mecs dans les hôpitaux. Ils savent tout de suite. Ça marche tout de suite, et à tous les coups. Et bien sûr c’est la baise du siècle. Oui, à chaque fois. C’est fou ! A chaque fois qu’on lit un de ces récits, on tombe sur la baise du siècle. La baise du siècle, c’est une épidémie. Que dis-je, c’est une pandémie. Sublime ! Forcément sublime ! »

 « Pourquoi ça n’arrive qu’aux autres ? »

 

019 Le camp de clandestins

 

 Comment percevons-nous la réalité ? Est-ce que nous fabriquons le monde qui nous entoure en y ajoutant nos espoirs, nos croyances, nos fantasmes, nos émotions, nos amours, nos craintes, nos angoisses, nos démons,… ?

 C’est la question que se posait Alex en pensant à cet article qu’il avait lu dans un hebdomadaire très sérieux, intitulé « Dans la peau d’un clandestin ». Ce papier relatait comment les autorités italiennes, au centre de séjour de Lampedusa, traitent les immigrés qui débarquent sur leurs côtes.

 Un reporter s’était fait volontairement interner dans ce camp, sous une fausse identité Kurde, pour mener son enquête.

 « Des centaines d’immigrés sont assis sur l’asphalte par rangées de dix entre deux baraques préfabriquées et deux conteneurs ». Suit une description assez horrible de l’insalubrité régnante. Les ordres claquent « Sit down », même pour ceux qui sont à l’arrière au niveau de la coulée brune qui sort des chiottes. Les coups pleuvent sur les récalcitrants. Et même sur les dociles, pour rigoler, c’est du bétail. La queue en pleine chaleur pour la pitance. Manger par terre. Ce soir il n’y aura pas assez de lits de camp disponibles pour tout le monde. Dormir par terre.

 Un mois auparavant, un « membre du parti populiste de la Ligue du Nord, avait pourtant déclaré que le centre de Lampedusa, qu’il venait de visiter avec une délégation d’euro parlementaires, ressemblait à un hôtel cinq étoiles où il habiterait sans problème ».

 Chaque jour de nouveaux arrivants. 161 hier, que les policiers n’ont pas encore fini d’interroger. 180 aujourd’hui, à enregistrer, fouiller, caser. « Les carabiniers, munis d’un masque et de gants de latex, contrôlent les poches et les sacs. Il sont aidés par un collègue en civil ».

 « Déshabille-toi » ordonne-t-il à un jeune Erythréen en maillot de corps qui tremble de peur.

 « Y a un problème avec celui-là ? » hurle un carabinier en le frappant sur la tête.

 Les yeux affolés, le garçon est nu devant les carabiniers et devant les autres clandestins. C’est toujours humiliant d’être obligé de se foutre à poil en public, et c’est encore pire dans ces circonstances. Il a un corps magnifique, à la fois élancé et athlétique, comme savent avoir les noirs. Des proportions parfaites, de la tête aux pieds en passant par le sexe. Une musculature à fleur de peau, dessinant avec finesse les moindres inflexions des tissus, marquant d’ombres légères les variations de courbes, architecturant avec bonheur cette statue vivante. Une musculature que chaque imperceptible mouvement du corps fait vibrer comme une corde tendue. Une plastique de rêve !

 Il a des yeux à la fois doux et terrifiés, et des lèvres à peine un peu trop épaisses.

 Un carabinier s’approche de lui et lui montre l’écran d’un gros téléphone portable. Un film porno.

 « Qu’est-ce que t’en dis ? » demande-t-il au jeune noir en lui balançant une gifle qui se veut amicale, et en faisant mine de se masturber. L’autre ne bronche pas. « C’est tout l’effet que ça te fait ? Pas la moindre petite réaction au centre de gravité ?... T’es déjà blasé, ou t’es impuissant ? ».

 « Te fatigue pas, Romano, il est pédé » lui lance un collègue.

 « Ah mais j’en ai aussi pour les pédés ». Il trafique son téléphone et remet l’écran devant les yeux du beau black. « Regarde-moi ça…ça te plaît cette fois ?... Toujours rien ? », lui di-il, en regardant avec une grossière insistance le sexe amorphe du black. « Il faut faire quoi pour te stimuler, mon gars ? Allez, un petit effort… tu vas nous le cracher ce shampoing ?

 « Laisse tomber Romano, tu vois bien qu’il est pas dans l’ambiance. Cette nuit tu lui feras repasser les tests d’aptitude ».

 « T’as raison. Allez, rhabille-toi, mec ».


020 Les dunes du Touquet

 

Reprenons le cours des confidences d’Alex organisées dans le temps.

Nous le retrouvons après son séjour linguistique à Manhattan, pendant les grandes vacances de l’été 1990. Il vient de terminer sa classe de seconde. Il va bientôt avoir seize ans.

 

 

 Il était content de venir passer une semaine de vacances sur cette plage du Nord qu’il ne connaissait pas du tout. Les cousins qui l’invitaient étaient très accueillants et leur fille cadette, Delphine, dont il avait commencé à apprécier les charmes au printemps dernier, lui paraissait attachante. Bien sûr, il avait toujours l’espoir de retrouver Miry, la copine de Delphine tellement pétillante et exubérante, et au parfum si envoûtant dont il gardait très présent le souvenir olfactif. Mais il apprit bien vite que ses espoirs seraient déçus : Miry était en Grèce avec une bande de copains. Adieu Miry.

 Alex n’avait jamais vu une plage aussi vaste et aussi plate que celle du Touquet Paris Plage. Il n’avait jamais vu non plus une mer qui s’éloignait tellement à marée basse qu’elle semblait rejoindre l’horizon. L’eau était froide et le vent permanent faisait se contracter la peau et se hérisser les poils. Mais le soleil était généreux, et à l’abri du pare vent, on était bien.

 Le premier jour fut très sage, dans le giron de papa maman. Après la baignade en famille, puis la sieste au soleil, Alex proposa à Delphine une marche dans le sable. Ils se dirigèrent vers l’eau et partirent vers la droite en pataugeant  dans les vagues qui venaient mourir à leurs pieds. Quand ils furent hors de portée du regard des parents il lui prit la main. Elle le laissa faire. Elle répondit à chaque pression des doigts d’Alex et rit beaucoup aux récits qu’il lui fit de certaines mésaventures. Elle était très intriguée par ce garçon à la fois réservé et enjoué, qui savait la distraire. De son côté Alex la regardait avec intérêt. Ce qui l’attirait chez cette petite blonde tout en douceur, c’étaient les petites anomalies physiques qu’il trouvait ravissantes et dont elle se désespérait parfois : de petites taches de rousseur sur les pommettes, un petit nez légèrement épaté, des fossettes qui se creusaient aux joues à chaque sourire, la couleur indéterminée de ses yeux, un corps tout en délicates rondeurs et en fraîcheur.

 Aimant marcher et courir tous les deux, ils décidèrent de faire un jogging chaque matin, avant l’arrivée du flot des vacanciers. Sauf les lendemains de sortie nocturne.

 Habitué à ce genre d’exercice, Alex avait beaucoup plus de souffle que Delphine. Mais elle s’accrochait, et Alex ralentissait pour l’attendre. Ils allaient ainsi loin, loin de toute habitation, et se retrouvaient dans les dunes sauvages. Gorgés d’air marin, le feu aux joues, haletants et le cœur battant, ils se laissaient rouler dans le sable. Le feu ne tardait pas à gagner d’autres parties des corps enlacés.

 C’est dans le sable qu’Alex perdit son pucelage.

 Oh, ce ne fut pas d’une haute technicité. Le sable qui colle à la peau n’est pas spécialement favorable aux caresses. Le risque d’être surpris n’est pas un encouragement à prolonger les ébats. Il est vrai que les premières fois, la notion de retenue pour amplifier ensuite, de part et d’autre, les instants solaires de la jouissance, n’est pas du tout intégrée. Mais ce fut néanmoins magique.

 Il fut un peu surpris, pour l’acte I, d’avoir à forcer un obstacle. Il comprit ensuite que la voie était désormais ouverte.

 

 Ils se quittèrent émus, les cœurs chancelants, se promirent de se revoir, de s’appeler et de s’écrire. Téléphoner et écrire, ils le firent souvent, puis moins souvent, puis de moins en moins souvent, puis plus du tout. Tournés l’un et l’autre vers d’autres horizons, sans doute.

 

021 Abracadabradantesque

 

Que ce sol est doux ! Du velours rouge. De toute première qualité.

La main s’aventure alentour : une bosse, un creux, une bosse…mais c’est capitonné !

On voit mal, la lumière est rouge, venant de nulle part.

Le bras s’étend et rencontre une paroi à droite. Même douceur, même velours rouge, même capiton.

A gauche une autre paroi. Même constat.

Alex se met debout, lève les bras et rencontre le plafond, recouvert lui aussi du capitonnage de velours rouge…Mais où est-il ?

Il recule d’un pas et son corps rencontre une troisième paroi, pareillement revêtue. Il sent la douceur du velours dans son dos, sur ses fesses. C’est à ce moment qu’il se rend compte qu’il est complètement nu.

Il avance de quatre pas et rencontre la quatrième paroi verticale. Il parcourt de ses mains ces murs moelleux…pas d’ouvertures…pas de porte ! Il est enfermé dans une boîte. Comment peut-il respirer ? Mais il respire tout à fait normalement. Un air légèrement parfumé assez agréable.

Bizarrement cet enfermement très confortable ne l’angoisse pas du tout, lui qui se croyait un peu claustrophobe.

Au contraire.

Il commence à se frotter aux parois, doucement, lentement, sensuellement…et se met à bander très fort.

Debout, ancré sur les deux jambes bien écartées, bras dressés vers le haut en victoire, sexe en avant, tous muscles tendus, il s’offre à il ne sait quelle divinité érotique du tantrisme dont il avait pu voir les pratiques sur les hauts reliefs sculptés sur le temple de Khajuraho en Inde.

Tout à coup il a la très forte sensation qu’il est observé.

Il quitte brusquement cette position érotico héraldique et se recroqueville dans un angle.

On l’a observé il en est sûr. Il le sait. Mais comment peut-on l’observer dans ce caisson fermé ? Impossible ! Il décide d’en inspecter les moindres détails, les moindres recoins, avec ses yeux, mais on voit très mal dans cette lumière rouge qui uniformise tout,avec ses mains surtout, qui vont explorer tous les interstices. Le capiton…le mamelon du capiton, puis la naissance des plis qui descendent en se multipliant et en se resserrant vers le bouton. Le bouton…il n’y a pas de bouton. C’est un trou. Le voilà éclairci le mystère, on l’observe par cette multitude de trous qui remplacent les boutons du capiton. Depuis quand l’observe-t-on ainsi à son insu ? Quelle horreur ! On peut le voir de dessus, de dessous, sous tous les angles. Suivant sa position : gros plan sur ses yeux, sur ses lèvres, sur son ventre, sur les poils de sa toison, sur sa bite, ses couilles, ses fesses, son trou du cul…

Effaré il n’ose plus faire le moindre mouvement.

Qui l’observe ? Des femmes, Des hommes ?

Pourquoi l’observe-t-on ? Est-il un spécimen rare qu’on protège en le gardant dans ce moelleux caisson ? Mais dans ce cas pourquoi serait-il nu ? Ça y est ! Il croit avoir deviné : ce velours rouge, ce capiton qui évoquent les opulentes « maisons closes » de la Belle Epoque

comme il l’a vu dans le film sur Toulouse Lautrec, ce corps nu de jeune mec exposé aux regards anonymes, ce voyeurisme organisé, encouragé, « marchandisé ». Mais bien sûr, il est objet sexuel. On le regarde, on le choisit et on paie pour le consommer. Il est dans un luxueux bordel thaïlandais. Pourquoi thaïlandais ? Il ne se souvient pas avoir fait le voyage. C’est qu’on l’a drogué après l’avoir capturé, pour mieux le livrer à ces mamelles et à ces chattes avides, ou à ces bites baveuses et inquisitrices, ou aux deux à la fois. Horreur ! Horreur ! Combien de mains vont parcourir tous les recoins les plus intimes de son corps, lui caresser le sexe, s’introduire dans son cul ? Des mains de femmes, des mains d’hommes…jeunes…, vieux… ?


Il ne peut plus respirer, il étouffe…il étouffe…

Et il se réveille en sursaut, couvert de sueur.


022  Le clin d’œil

 

 Alex accompagnait toujours ses parents pendant leurs courtes vacances d’été. Ça ne l’empêchait pas d’avoir par ailleurs des projets personnels. Il appréciait le site et le confort des lieux de villégiature choisis, ainsi que les activités sportives proposées par les hôtels clubs. Il en profitait pour faire ce qu’il aimait particulièrement : de grandes promenades solitaires dans l’arrière pays ou dans les falaises bordant la mer. Il aimait les baignades impromptues, au gré des découvertes des petites criques sauvages, désertes parce que peu accessibles. Il quittait ses baskets et son boxer-short et plongeait tout nu, entre les rochers, dans cette eau vivante et limpide. Ensuite il se séchait au soleil et peaufinait son bronzage intégral. Il adorait sentir les caresses de l’eau et du soleil sur la totalité de son corps. Parfois il s’endormait, bercé par le bruit des vagues et les cris lointains des mouettes.

 

 C’est ce qui lui arriva un jour dans une petite encoche de rocher avec un tout petit bout de plage, et même un peu d’ombre pour sa tête. Soudain il fut réveillé et se sentit complètement à l’ombre. Il ouvrit les yeux et fut stupéfait : debout devant lui, deux gendarmes en uniforme ! Il était pétrifié, interloqué, honteux d’être ainsi complètement nu devant ces hommes qui venaient l’interpeller. Un peu apeuré aussi : quelles étaient les intentions de ces deux représentants de la loi ? Qu’avait-il fait de mal ? Ou bien qu’était-il arrivé pour qu’on envoie deux gendarmes à sa recherche ? Toutes sortes d’hypothèses défilaient dans sa tête et il ne pensait même pas à changer de position : il était allongé sur le dos, les jambes légèrement écartées, à poil aux pieds de ces deux hommes. Il sentait son cœur palpiter. Il finit par se redresser pour prendre une position assise, qu’il jugeait plus convenable en la circonstance.

 

  Eh bien jeune homme en voilà une tenue ! Vous savez qu’il est interdit de  se montrer nu en public ? C’est de l’exhibitionnisme. C’est sanctionné par la  loi. Lui dit le plus jeune des deux gendarmes, très jeune en fait, et superbe   mec.

  Mais M’sieur, y a personne !

 

 Le jeune gendarme montra du doigt le haut de la falaise.

 

  De là-haut on vous voit très bien en passant sur le sentier. Et avec des  jumelles on détaille toute votre anatomie.

  Excusez-moi, je ne savais pas…

 ─ Figurez-vous qu’un jeune garçon comme vous, dans cette tenue, ça peut  éveiller des convoitises. Il y a des vicieux et des pervers par ici. Alors pour  votre sécurité, restez couvert. Allez, rhabillez-vous, et qu’on ne vous reprenne   plus à faire du nudisme où c’est interdit !

 

 Alex se précipita sur son boxer-short et faillit perdre l’équilibre en mettant les deux pieds dans la même jambe.

 Avant de s’en aller, le jeune gendarme, qui, malgré son âge semblait être le chef, fit discrètement un clin d’œil à Alex. Puis les deux hommes s’éloignèrent en escaladant les rochers.

 

 Journée gâchée ? Pas du tout. L’instant d’émotion passé, Alex revit nettement le clin d’œil du gendarme, et l’amorce d’un sourire. C’est alors que pour la première fois il prit conscience de son pouvoir de séduction sur les hommes. Il en fut à la fois flatté et tourmenté.


023  Au poil

 

 Pas de cours aujourd’hui. C’est un jour de grève des enseignants. Rituel, revendications récurrentes, goût du statu quo et de l’immobilisme,… Pas à se plaindre, on en profite. Journée d’action disent les syndicats. Mais sur le terrain c’est l’inaction. Agir par l’inaction : allez comprendre ! C’est carrément du Raymond Devos. Bref, pas de cours aujourd’hui. Alex va utiliser ce temps disponible ce matin pour aller faire une petite séance de muscu.

 Il y va deux fois par semaine. Il sait bien que ce n’est pas suffisant mais il n’a pas plus de temps à y consacrer. Il y va le soir, après ses cours, quand il n’a pas trop de boulot pour le lendemain, et pas d’interro. Il y a plein de monde le soir. Le matin c’est génial, il n’y a presque personne. Il y rencontre néanmoins les habitués de la gonflette, les stakhanovistes du muscle, les forcenés du beefsteak. Ceux qui ne prennent jamais, non, non, jamais d’anabolisants, et qui enflent de semaine en semaine. Mais ils n’ont donc rien d’autre dans la vie que leurs biscoteaux, ces mecs ? Alex, quand il se regarde dans la glace, ne voit aucune modification de sa musculature (il est vrai que c’est pas mal, déjà !). Il faut des années, lui a dit le moniteur. Allons-y, courage…et patience !

 Cardio pour l’échauffement, puis trois séries de ci, six séries de ça… Rien senti cette fois, une louche de plus, avec 10Kg cette fois. Ne pas oublier les étirements pour ne pas faire de nœuds avec ses petits muscles.

 Sainement épuisé (à noter au passage qu’il y a mille et une manières de s’épuiser sainement)

 Une bonne douche maintenant.

 « Serai seul pour une fois, se dit-il, y a personne. Pourrai peut-être en profiter pour… Raté. Deux mecs sont sous la douche. D’où viennent-ils ces deux-là ? Ils ont l’air de se marrer…et de s’exciter aussi, à voir leurs bistouquettes.

 Ils sont bizarres quand même ! Ils ne sont pas à poil, ils sont nus. Ils ne sont pas que nus, ils sont tout nus tout nus. Comment dire, pas nus comme toi et moi : plus nus que nus. Pas un poil, nulle part, même dans le plus petit recoin. Surtout dans le plus petit recoin. Et blancs avec ça. Plus blancs que blancs. Il n’y a que leurs sexes qui se colorent de rose, un rose ridicule, genre petit cochon de lait, et qui se terminent par un rose violacé, genre chiasse de merle qui a mangé des cerises, au bout, sur le gland. Ça me fait penser à de gros vers de terre qui s’agitent plus ou moins mollement au gré des mouvements de leur support.

 Pas vraiment bandant. J’ai envie de leur balancer du poil à gratter, LOL !! Jamais vu ça. Des toisons taillées, oui. En carré, en triangle isocèle, en point d’exclamation, en trèfle, en cœur (ça c’est pour le jour de la St valentin), en smilie, en houppette, en trompette, en sucette, en rasta, en oreilles d’éléphant,… Mais comme ces deux gogos à deux balles, jamais.

 Vive le naturel. Pourvu qu’il soit sexy ! »


024  Le poste de police

 

Alex manifestait dans la rue. Ce n’est pas qu’il le fît avec enthousiasme ; il n’aimait pas ces rituelles revendications de rue dans lesquelles bien souvent la plupart des participants ne connaissent même pas les vraies raisons du mécontentement. Alex était contre les mesures préconisées par le nouveau ministre de l’Education Nationale, qui affecteraient de plein fouet son lycée. Mais il manifestait davantage par solidarité avec ses camarades que par conviction.

Il défilait donc en criant des slogans et agitant les banderoles préparées la veille en toute hâte. En principe un service d’ordre lycéen encadrait la manif. Un service d’ordre national le faisait plus ouvertement.

Tout d’un coup, alors que le cortège longeait des magasins du centre ville, Alex vit à côté de lui de la racaille briser des vitrines, voler la marchandise et disparaître aussi vite qu’elle était apparue.

La police intervint immédiatement (en tout cas immédiatement après le départ des intrus). Sans ménagement et sans discernement elle embarqua tous les jeunes qui se trouvaient sur le lieu de la casse. Alex fut projeté comme les autres dans un fourgon grillagé et conduit au commissariat.

Les étudiants essayèrent bien de protester et de jurer de leur innocence, mais un « Vos gueules » retentissant les convainquirent qu’il n’y avait aucune analyse ou réflexion à espérer du côté des « forces de l’ordre ». La docilité semblait l’attitude la plus appropriée.

Ils furent enfermés à double tour dans une pièce clôturée par des grilles et restèrent là un temps interminable.

 

Au bout de plusieurs heures, deux flics vinrent chercher l’un d’eux.

Une nouvelle heure passa, pendant laquelle Alex flippa comme jamais. Il avait  lu des récits d’arrestation et s’attendait au pire.

Les deux flics revinrent, un vieux et un jeune, et s’emparèrent d’Alex qu’ils encadrèrent jusqu’au bureau d’un homme en civil. L’interrogatoire commença : nom, prénom, date de naissance, adresse,…C’est le jeune flic qui servait de secrétaire et enregistrait sur l’ordi les réponses d’Alex.

 

En quelques fractions de seconde le scénario de la suite se configura dans la tête d’Alex. Il allait être mis en garde à vue, et inculpé d’une faute qu’il n’avait pas commise. Il se voyait emmené par les deux flics dans une pièce vide et plutôt crade. Il entendait l’un d’eux lui intimer l’ordre de se déshabiller. Alex s’exécutait sans protester, mais hyper stressé. Il enlevait son blouson, puis son tee shirt. Ensuite ce furent les baskets et les chaussettes, enfin le fute. Il attendait la suite.

 

  Enlève ton slip  lui dit le jeune en aboyant.

 

Alex hésitait. Il était au bord des larmes mais ne voulait surtout pas se mettre à chialer devant ces deux fonctionnaires en uniforme. La peur lui dévorait le ventre. Il sentait monter un besoin d’aller aux toilettes.

C’est alors que le vieux lui attrapait les bras dans le dos et, calant son genou au creux de ses reins, l’immobilisait complètement, cambré en arrière. Le jeune attrapait l’élastique du slip et tirait d’un coup sec pour le descendre. Le slip restait un instant coincé à l’arrière par le genou du vieux…C’est à ce moment qu’Alex avait l’envie folle d’envoyer un violent coup de genou dans la gueule baissée du jeune enfoiré. Car il avait la haine ! Mais il envisageait dans le même temps les conséquences d’une telle réaction. Il serait tabassé jusqu’au sang par ses deux bourreaux et laissé là, paquet de viande nue sanguinolente et boursouflée, étalé à demi comateux sur le sol maculé de taches brunâtres de cette sinistre pièce.

Complètement enlevé le slip !

 

  Mais t’en as une belle bite ! C’est dommage de cacher ça !...

Maintenant tourne toi, écarte les jambes et pose tes deux mains à plat par terre…

Il est vierge ce beau petit cul ?

 

Alex enrageait et se sentait devenir rouge comme des piments. Oui, rouge, mais aussi vert, comme des piments.

Il sentait alors quelque chose de froid lui effleurer les poils de la raie…

 

  Nom et prénom de la mère, nom et prénom du père…

 

Alex fut ramené brusquement à la réalité du bureau du commissaire (ou de l’inspecteur il ne savait pas).

Après quelques questions sur le déroulement des événements, Alex fut libéré et ne fut plus jamais inquiété par cette affaire. Il pensa, à tort ou à raison, que le nom de son père, ami notoire du préfet, n’était pas étranger à sa libération immédiate et au classement sans suite de son interpellation. Il apprit le lendemain qu’aucune charge n’avait été retenue contre les autres interpellés.

 

Rentré chez lui, Alex ne put résister longtemps à ce que son imagination lui avait fait vivre. Il s’allongea sur son lit. Nu. Dès qu’il commença à se toucher il explosa en spasmes et jets de sperme qu’il reçut sur la poitrine.

025 La visite médicale

 

 Tout le monde s’accordait pour la trouver sympa cette jeune infirmière scolaire qui venait de débarquer dans le lycée d’Alex. Sympa et plutôt sexy. Aussi les garçons, qui d’habitude préféraient garder leurs bobos pour eux, allait-ils faire un tour à l’infirmerie plus souvent qu’il n’eût fallu. Les plus délurés se plaignaient de douleurs à l’aine ou aux adducteurs. Ils auraient eu bien besoin d’être rassurés par une auscultation et soulagés par un petit massage. Karine n’était pas dupe. Elle flairait tout de suite le stratagème. Il n’y avait ni palpation ni massage, mais un petit placebo à avaler. Quelques minutes de repos et retour à la case départ.

 

 Alex était allé plusieurs fois à l’infirmerie, mais pour des motifs honnêtes. Il avait sympathisé avec la jeune infirmière et jamais il n’aurait osé s’adresser à elle pour une affection quelconque de ses parties intimes ou leur environnement.

 

 Arriva le jour de la visite médicale réglementaire de second cycle scolaire.

 

 Les garçons de la classe furent conviés à se rendre à l’infirmerie.

 Ils virent en arrivant une femme au visage un peu ingrat, pas très amène, de corpulence moyenne, entre deux âges (en fait une vieille pour eux). Elle s’installa dans le bureau de l’infirmière qu’elle utilisa comme assistante.

 L’infirmière demanda aux garçons de se déshabiller en ne gardant que slip et chaussettes.

 Alex trouvait ridicule les mecs presque nus avec des chaussettes. Il enleva les siennes.

 Beaucoup de garçons portaient des boxers, les autres étaient en slip ou en caleçon. Alex n’aimait pas du tout les caleçons. Il reconnaissait qu’en la circonstance, ils faisaient tout de même un peu moins déshabillé que le reste. Mais il trouvait les boxers plus sexy et aussi il voulait un maintien ferme. Ferme et doux à la fois. Il ne supportait pas de sentir ses attributs virils se balader à leur guise. Il avait toute une collection de boxers et ne manquait jamais d’acheter le dernier modèle de sa marque préférée s’il lui paraissait classe et sexy.

 

  Romain Abreillat

 On appelait les garçons par ordre alphabétique. Alex serait donc le troisième.

Romain resta 5 bonnes minutes dans le bureau de l’infirmière.

 Il ressortit en cabotinant : « Eh, les mecs, elle baisse le slip et elle vérifie à fond que t’es un vrai mec »

  Qu’est-ce qu’elle te fait au juste ?

  Est-ce qu’elle te fout un doigt dans le cul ?

  Est-ce qu’elle te décalotte ?

 Les questions fusaient. Beaucoup rigolaient jaune. Alex était de ceux-là.

  Ah non !  Se disait-il, pas ça ! Pas devant Karine !

 

 Il se voyait déjà avec le slip baissé jusqu’aux genoux. C’est encore plus humiliant pour un mec que complètement à poil.

 Il essayait de garder un air indifférent et s’efforçait de contenir le plus possible ce rouge qu’il sentait lui monter à la tête.

 Etant circoncis, non par conformité à un rite religieux ou par choix esthético-hygiènique, mais pour avoir eu un phimosis étant tout petit, il ne risquait pas la manipulation de décalottage. Mais il s’attendait aux questions d’usage :

  Quand avez-vous été circoncis ? … Est-ce que vous en éprouvez une gêne quelconque ? etc.

 Il s’attendait aussi à des questions sur sa sexualité, auxquelles il était bien décidé à répondre n’importe quoi. Mais là, devant Karine, plus moyen de garder un air indifférent. D’autant moins qu’il y aurait quand même manipulation :

  Ils vous ont laissé le frein, c’est bien.

«  Mais qu’elle ferme donc sa gueule cette vieille conne ! » Pensait alors Alex.

 La suite, il n’osait même pas l’imaginer.

 Il sentait la transpiration mouiller ses aisselles et son entrejambe. En plus il y avait ça ! Il allait entrer tout mouillé et puant la sueur !

 

 Arriva son tour.

 Il évita soigneusement le regard de Karine, qu’il vit néanmoins lui sourire, et se planta devant la doctoresse. Celle-ci prononça quelques paroles d’accueil qu’il ne comprit même pas tellement il était tendu. Elle commença son examen par le haut. Oreilles, dents, ganglions. Elle descendit vers la poitrine. Stéthoscope. Poumons, cœur. Devant. Dans le dos. Palpa l’estomac et le ventre.

«  C’est maintenant que ça se corse ! » Pensa Alex.

 Elle lui posa quelques questions anodines, régime alimentaire, pratiques sportives, heures de sommeil…

«  Allons-y pour l’interrogation sexuelle ! » Se dit Alex.

 

  C’est bon, tout va bien. Appelez le suivant.

 

 Alex sortit en faisant lui aussi le fanfaron. Il fallait bien maintenir le suspense !


026  Rêve oriental

 

 Bien entendu il avait lu le livre de Valerio Manfredi sur l’épopée d’Alexandre le Grand, un gros volume qui l’avait tenu en haleine pendant plusieurs semaines. Il avait également vu le film tiré de ce livre, réalisé par Oliver Stone. Le film l’avait beaucoup déçu, à commencer par le choix de Colin Farrell, en blondasse décoloré, comme héros. Erreur de casting.

 Sans doute cette grande aventure liée à un dessein utopique s’était-elle profondément incrustée dans les arcanes de sa mémoire pour qu’elle provoquât des résurgences aussi intenses.

 Sans doute aussi avait-elle une résonance avec des aspirations inconscientes à la grandeur. Une grandeur indéfinie, qui pouvait aussi bien relever du pouvoir, de la domination, que de la noblesse de cœur ou d’un parcours de vie exemplaire.

 Certainement il n’avait pas l’outrecuidance de s’identifier à Alexandre le Grand, mais le fait de faire partie de sa suite montrait bien l’effet magnétique de cet homme qui fut considéré comme un dieu par ses contemporains.

 

 « La ville de Babylone se dressa devant lui comme une apparition féerique…la majestueuse porte d’Ishtar, de 100 mètres de haut, recouverte de carreaux émaillés », paraissait grandir indéfiniment au fur et à mesure de l’approche. Quant il fut au sommet de l’Esagila, tout en haut des marches du temple de Marduk, il put contempler à ses pieds le spectacle extraordinaire de la somptueuse métropole traversée par l’Euphrate, protégée par de gigantesques murailles-remparts, et couverte, dans sa partie Est, par une végétation exubérante et colorée retenue en terrasses par de beaux ouvrages en maçonnerie : les merveilleux jardins de Babylone, d’autant plus magiques qu’ils sont en pays désertique.

 Ivresse de la possession, ivresse de la découverte d’une magnificence inimaginable, ivresse de l’abandon au banquet somptueux préparé en l’honneur des vainqueurs et servi dans de la vaisselle d’or et de vermeil.

 Puis vint le temps de la nuit, et de la récompense du guerrier. Le choix était immense. Le sultan n’avait emporté qu’une toute petite partie de son harem et il restait un nombre impressionnant de jolies filles dévouées aux vainqueurs. Alex était subjugué par tant de jeunes beautés dont il allait pouvoir jouir des charmes. En voulait-il une, deux, trois,… ? L’occasion était belle d’une expérience érotique qu’il n’avait encore jamais pratiquée. Il imaginait déjà la nuit avec trois filles s’occupant de lui, et la rapidité de l’approbation de son bas-ventre en disait long sur les plaisirs fabuleux qu’il en escomptait.

 Au moment où il allait jeter son dévolu sur les plus beaux yeux qu’il ait jamais rencontrés, il remarqua un garçon qui, recroquevillé dans une encoignure de somptueuses tentures pourpres, semblait affligé. En s’approchant il vit que ce garçon, malgré un visage ravagé par les pleurs, était d’une beauté à couper le souffle.

 

  Pourquoi pleures-tu ? Lui demanda-t-il.

 ­­— Parce que mon maître, le sultan, à qui j’étais dévoué corps et âme, est   parti. Mais je me réjouirais de me dévouer à un nouveau maître.

  Lève-toi, lui ordonna Alex.

 

 Il fut frappé par l’élégance sans affectation de ce corps athlétique aux proportions idéales. Sous les tissus légers on devinait les larges épaules et le beau volume des pectoraux, la taille et les hanches étroites, le fuselé des abdominaux, et la longueur exceptionnelle des cuisses. Alex en oublia sur le champ les trois filles et n’eut plus d’yeux que pour ce jeune éphèbe (terme sans doute impropre dans l’empire Perse, mais je n’en trouve pas de meilleur).

 

 Mais que faisait-il donc ici, parmi ces femmes réservées au sultan et maintenues coupées de l’extérieur et interdites, même de regard, aux autres hommes ? Bien sûr c’était un eunuque, peut-être l’eunuque préféré du sultan.

 

 Ces châtrés, murmura Phaïstos qui passait à ce moment près de lui, pleurnichent pour un rien comme des femelles mais on dit qu’ils les surpassent au lit.

 Je te dirai ça demain, lui répondit Alex. Puis se tournant vers le jeune homme : Je suis ton maître ce soir.

 

 Il vit le beau visage s’éclairer d’un sourire radieux et il perçut, à travers les longs cils noirs, un éclat de diamant. Puis le sourire disparut, les yeux se ternirent et une sorte de mélancolie prit la place de la joie.

 

 Qu’as-tu ? Qu’est-ce qui ne va pas ? lui demanda Alex.

 J’ai un frère jumeau, il est malheureux lui aussi sans son maître et c’est ce qui m’attriste.

 Va le chercher, je serai aussi son maître.

 

 Quand il vit les deux eunuques revenir vers lui, Alex se sentit transporté dans un monde de bonheur tant il les trouvait beaux, et ils étaient à lui !

 Comment fait-on l’amour avec deux castrats ? Il n’en savait trop rien, mais cette perspective d’une partie érotique hors normes le portait au comble de l’excitation. Il se promettait, si l’intensité de son plaisir était à la hauteur de ses espérances, de garder à son service intime ces deux magnifiques statues vivantes.

 Les deux garçons l’invitèrent à le suivre dans une vaste pièce éclairée par des torchères richement décorées de motifs en or, somptueusement tendue de lourdes tentures de velours écarlate retombant en cascades sur une couche circulaire immense revêtue de soie blanche.

 Très naturellement les deux éphèbes commencèrent à dévêtir Alex, tout en lui prodiguant des caresses et en se libérant eux-mêmes de leurs parures. Ils faisaient habilement durer cet effeuillage, accompagné de sensuels frôlements de peau, et Alex commençait à craindre d’exploser prématurément et de gâcher de si beaux instants.

 Au moment d’enlever le dernier rempart avant la complète nudité, lequel rempart ne dissimulait plus du tout la belle amplitude et les frémissements de l’organe encore emprisonné, le bruit d’une sonnerie stridente envahit la pièce. En quelques fractions de secondes cette sonnerie emplit tout l’espace. Les torchères s’éteignirent, les couleurs disparurent, les tentures, les objets se volatilisèrent, même des deux garçons il ne resta plus rien. Alex, d’un brutal coup de poing, envoya valser le réveil au milieu de sa chambre.

 

027 Les vacances à la mer

 

Ils étaient sept copains et copines qui avaient projeté de passer ensemble une semaine à la mer en ce début de grandes vacances, après avoir planché sur les épreuves de français du bac. Ils avaient loué, en bordure de plage, adossée à la pinède, à l’écart du bétonnage intensif de Cavalaire, une maison pouvant les accueillir tous dans de bonnes conditions.

La petite bande se retrouva donc, toute joyeuse, sous le généreux soleil méditerranéen, à respirer le mélange harmonieux des odeurs de la mer et des pins. Plus quelques odeurs de friture parfois qui venaient d’on ne sait où.

Les activités ne manquaient pas : baignade, bronzette, sorties en boîte… sans parler des courses, de la préparation des bonnes bouffes. Il y avait aussi les jeux : de foot, de boules, de rôle. Et là il y avait des gages pour qui perdait ou faisait perdre son camp. Chaque faute, chaque erreur préjudiciable à l’équipe, était sanctionnée, non par un carton jaune ou rouge, mais par un mauvais point. Ces mauvais points pouvaient être rachetés par un but, un tir d’élite ou une performance remarquée dans le jeu de rôle. Mais en fin de partie il y en avait toujours un ou une qui avait accumulé des mauvais points et qui avait un gage. C’est le groupe qui choisissait le gage, selon l’inspiration du moment. Marrant si possible.

Un soir le perdant fut Alex.

Vaguement inquiet sur son sort, il voyait s’animer les conciliabules pour le choix du meilleur gage.

Finalement on lui annonça qu’il avait à se déguiser en effrayant vampire et à inventer un sketch en rapport avec la mer. Le final serait la projection dans la mer de ce vilain vampire pour s’en débarrasser.

Alex se mit en quête de vêtements et de fards pour se déguiser, emprunta aux uns et aux autres, et réussit un assez beau personnage.

Il inventa une histoire abracadabrantesque (pour reprendre un terme devenu célèbre) où le vampire suçait des sirènes qu’il attirait et capturait en imitant leur fameux chant. Mais les écailles se plantaient dans son palais et dans sa langue et obstruaient sa gorge. Alors le pauvre vampire vomissait tout dans la mer et ne pouvant se nourrir, commençait à dépérir.

 

  Ouais, bravo Alex, super ton sketch.

Allez, à la baille maintenant.

Et trois garçons et une fille d’empoigner Alex avec l’intention de le projeter dans les vagues.

  Non… elles sont pas à moi ces fringues… je veux les rendre en bon  état.

  OK. Alors on te déshabille et on te fout à l’eau.

Et de lui enlever une à une les pièces de son déguisement.

Le voilà en slip.

  Le slip, tu l’as emprunté aussi ? demande Tom

  Déconne pas. Il est à moi le boxer.

  Moi je reconnais le slip de Fred. Allez les gars, on lui enlève ce slip,  dit Damien

  C’est pas de jeu, c’est pas prévu, vous êtes dégueulasses.

 On n’a pas précisé si c’était à poil ou pas qu’on te foutait à l’eau,  rétorque Tom

  Salauds, fils de putes.

 

Et Alex de se débattre comme un diable (ou un vampire plutôt), mais rien n’y fit. C’est tout nu qu’il fut balancé dans les flots bleus (gris vert à cette heure de début de soirée).

Les copains s’enfuirent en courant vers la maison.

 

Alex aimait nager nu. Aussi voulut-il profiter de la circonstance pour tirer quelques longueurs. Mais il était furieux du tour qu’on lui avait joué. Ça lui gâchait tout le plaisir. Et puis il y avait la perspective du retour. Certes il n’y avait plus grand monde sur la plage à cette heure. Mais quand même on allait remarquer ce garçon sortant tout nu de l’eau et traversant la plage en courant. En courant ?... Non, pas en courant. Courir nu c’est donner la danse de Saint Guy à ses balloches. Comment faisaient donc ces beaux athlètes grecs pour courir nus sans être gênés par les mouvements désordonnés et peu esthétiques de leurs organes génitaux ?

Donc sans courir. L’air décontracté. Après tout il y en a bien qui sauront profiter du spectacle !

Il fallait ensuite marcher encore quelque cent cinquante mètres avant d’arriver à la maison où évidemment les six autres attendaient en se marrant.

Il est vexé Alex, ce qui annihile toute velléité d’érection. Ouf ! Ça aurait été le bouquet ! Arriver en exhibant sa virilité glorieuse devant tous les copains ! La honte !

Il arrive dignement, naturel, presque souriant, mais lance quand même : « bande de vaches ».

Il traverse l’entrée… et monte marche à marche l’escalier pour rejoindre sa chambre et se doucher.

Il faut dire qu’il a un beau corps Alex, musclé fin, bien dessiné, sensuel, et que c’est un régal de le voir s’approcher nu, de face, démarche souple, léger balancement des épaules, contractions des muscles des cuisses… et de le voir monter l’escalier, de dos, hanches étroites, jeu alternatif des fesses séparées par une ligne plus sombre discrètement poilue, belle cambrure… Il avait à son insu mis en alerte des libidos dans le  groupe.

Pendant toute la soirée, Alex fut d’humeur boudeuse. Il resta le dernier en bas, à lire, les autres étant montés se coucher.

Quelle surprise en arrivant dans sa chambre !

Dans son lit, Clara !!!

 

  Chut ! Éteins la lumière… déshabille toi… viens !

 

Ce fut une belle récompense et il ne regretta pas sa petite humiliation.


028 Il était une fois…

 

 Ça se passait dans des temps très anciens. Toute similitude avec des évènements actuels ou récents ne pourrait être que fortuite. D’ailleurs ces horreurs ne pourraient plus se produire maintenant, puisque l’homme a grandi, a jugulé définitivement la barbarie qui est en lui. Maintenant il rejette la violence, la torture, la peine de mort, le fanatisme, l’idéologie frelatée. Il n’invoque plus que des dieux d’amour et de paix… N’est-ce pas ?

 Donc, en ces temps reculés, il était fréquent que des peuplades voisines se fassent la guerre dans le seul but de dominer l’autre et de prendre ses richesses. Il arrivait aussi fréquemment que les combats aient des motifs religieux, les uns voulant imposer aux autres leur conversion à des divinités fondatrices omniprésentes. Une sorte de djihad ! Les armées étaient toujours prêtes à l’attaque, entraînées quotidiennement par des chefs prestigieux dont la bravoure n’avait d’égale que la vigueur.

 « L’un d’eux », me dit mon Alex, « s’appelait justement Alex, et c’était un vrai héros, contrairement à moi, dont tu racontes les confidences, et qui n’ai rien d’héroïque. »

 Hélas, le Chevalier Alex avait été vaincu par ses faux amis, qui avaient envahi sa cité par surprise. Son bataillon et lui-même avaient combattu héroïquement et plusieurs fois repoussé l’ennemi, qui était parvenu à ouvrir une brèche dans la muraille de rempart. Il y avait des morts et des blessés de part et d’autre, mais ceux des assaillants étaient infiniment plus nombreux. Ensuite ils avaient été pris à revers et après des combats d’une violence inouïe avaient finalement été faits prisonniers.

 Le sort des prisonniers n’était pas enviable. Ils seraient vendus comme esclaves, mais auparavant ils avaient à subir toutes les humiliations, toutes les tortures qu’on infligeait aux vaincus.

  La première des humiliations était de les faire se déshabiller complètement. Entièrement nus, on leur fixait un gros collier de fer autour du cou et on les enchaînait les uns aux autres. On leur faisait ainsi traverser leur cité dévastée, l’ex-chevalier en tête du cortège. Lui qui, il y a seulement quelques instants, brillait de toutes les écailles métalliques de sa rutilante cuirasse, sur son magnifique étalon arabe alezan, auréolé du prestige de ses précédentes victoires, n’était plus qu’un sous homme (ne voyez dans ce terme aucune allusion a des propos récents d’un certain président de région !), un captif qu’on exhibait nu dans sa propre cité.

 Ce n’était pas de la nudité dont Alex avait honte, car il avait l’habitude de se baigner nu au milieu de ses soldats quand le campement était établi près d’une rivière. C’était de la détermination de ses ennemis à l’avilir par le déshonneur de la nudité publique. Il savait que ce serait pire quand cette procession de soldats nus entrerait dans la cité des vainqueurs.

 

 Pour le moment, ce qu’il pouvait observer était suffisamment horrible. Des scènes de pillage bien sûr. Des « récompenses » du guerrier, évidemment. Alex voyait de belles filles qui se faisaient violer en pleine rue par des dizaines de soldats surexcités

 (Ce n’est pas en Europe à notre époque que l’on pourrait constater pareils crimes. Les « tournantes » militaires ou civiles sont complètement éradiquées… N’est-ce pas ?)

 Il vit un jeune, pas soldat du tout, lancer une torche enflammée dans une pauvre masure au toit de chaume, et une vieille femme handicapée, incapable de s’enfuir, se transformer en torche vivante dans des hurlements effroyables.

 (On n’imagine pas un jeune actuellement, fut-il victime d’injustice, balancer un cocktail Molotov dans un bus et carboniser une femme âgée et handicapée… N’est-ce pas ?)

 La scène suivante l’épouvanta plus encore. Comment ses propres citoyens pouvaient-ils être à ce point pervertis par la violence ? Un groupe de garçons tabassait un jeune homme noir. Plus qu’un passage à tabac, c’était un véritable lynchage, avec emploi d’instruments de torture comme Alex en avait vus dans les caves des fortins qu’il avait eu l’occasion de conquérir. Etait-ce pour la couleur de sa peau qu’ils le mettaient à mort dans d’atroces souffrances ? Etait-ce un meurtrier qui méritait ce sort ? Etait-ce un grave différent religieux ? Ou une sordide affaire d’argent ?

 (Un tel acte de barbarie n’est absolument plus envisageable dans nos sociétés civilisées. Le « Gang des Barbares », en France, un coup médiatique ?... N’est-ce pas ?)

 

 

 Quelques jours plus tard, les vainqueurs franchirent les portes de leur ville, en grande parade, fiers et gonflés d’orgueil, dédouanés de tous les crimes et forfaits qu’ils venaient de commettre. La foule, massée de part et d’autre, hurlait son enthousiasme, glorifiait les héros du jour, qu’elle avait conspués la veille pour des motifs partisans.

 (Ce n’est pas en France, de nos jours, que le peuple pourrait ainsi tourner sa veste… N’est-ce pas ?)

 

 Quand arriva le piteux cortège des captifs, elle se déchaîna contre ces malheureux qui, de héros hier, étaient aujourd’hui des sous-hommes qu’on pouvait outrager à volonté.

 (Faut-il rappeler ici qu’il n’y a aucune allusion à des propos prononcés récemment par un certain président de région, siégeant au bureau d’un parti politique donneur de leçons. Non, non, non, pas le Front national !)

 

 Alex vit avec horreur ces visages ravagés par la haine, ces yeux exorbités par la rage, ces bouches déformées par les hurlements, ces narines dilatées par le souffle de la colère. Des masques inhumains, vociférant leur hargne, éructant leur venin, apoplexiés de fureur, convulsés de fiel… Humanoïdes infernaux. Gueules de diable.

 (On ne peut plus, de nos jours, imaginer de telles manifestations de haine, de tels déploiements de férocité revancharde, de tels déferlements d’acharnement destructeur. Jamais image de ces hordes déchaînées en train de tout casser ne vient plus salir la une de vos journaux… N’est-ce pas ?)

 

 Comme il était le chef, c’est surtout lui, Alex, qu’il fallait humilier. L’imagination, qui est médiocre chez la plupart des gens, n’a pas de limite quand il s’agit d’humilier. Il ne suffisait pas qu’il soit exhibé, enchaîné et entièrement nu, devant ses anciens amis devenus maintenant ennemis victorieux, encore fallait-il qu’on vînt, les femmes surtout, mimer les caresses de l’amour, le peloter avec le maximum d’indécence, s’emparer avec une feinte volupté de ses attributs, faire de son érotisation obscène un supplice.

 Après la séquence Eros, la flagellation. Mais attention ! Interdit d’abîmer la marchandise. On veut des esclaves haut de gamme, en parfait état, côtés beaucoup plus chers que n’importe quel malfrat verminé diarrhéique couvert de plaies purulentes. De longs fouets à très fines lanières de cuir font très bien l’affaire. Ils font très mal sans laisser de traces. Et chacun de se précipiter, de se bousculer même, de se piétiner s’il le faut, pour atteindre les parties les plus sensibles de cette chair exposée. Le dos c’est pas mal, mais les seins, les fesses, le sexe, c’est mieux. Quel plaisir de le voir tressaillir à chaque assaut ! Qu’y a-t-il de mieux, pour la foule, que la jouissance sadique, que la méchanceté et la violence gratuites ?

 (Il est bien vrai que de nos jours la violence gratuite et la méchanceté sadique ne se trouvent plus que dans les manuels d’histoire… N’est-ce pas ?

 

 L’épreuve finale n’est pas mal non plus. Comme elle ne peut pas jeter des échelles ou des pavés du 7° étage, parce que les maisons n’ont pas d’étage et parce que c’est interdit, sous peine de mort (deux morts pour le prix d’un seul : celui qui reçoit l’échelle, et celui qui l’a lancée !), la foule se racle la gorge au plus profond du gosier pour éjaculer plus gros crachat que son voisin, plus visqueux si possible, verdâtre c’est mieux, et en couvrir, de la chevelure aux orteils, tout le corps de l’érotico-flagellé. C’est en quelque sorte le bouquet final, la clôture de la fête. Que chacun retourne vaquer à ses occupations, cajole sa femme et instruise ses enfants, aide son voisin et secoure plus pauvre que lui, fasse son devoir de bon citoyen,…et laisse tranquillement se régénérer le monstre qui sommeille en lui.


028 Alex et les filles

 

 Alex plaisait pas mal aux filles. Il avait une petite bouille sympa, une chevelure noire et dense plantée bas sur le front, toujours un peu en pétard. Certes, pas Matt Damon. Un nez un peu épais peut-être, et de belles lèvres très sensuelles. Pas vraiment beau, mais des yeux noirs et un regard à la fois vif et doux, jamais arrogant, qui lui donnait du charme. Son intelligence, sa serviabilité et sa gentillesse les attiraient davantage que son corps harmonieusement proportionné et avantageusement musclé. Quoique…certaines ne fussent pas insensibles au joli galbe de ses fesses, très perceptible dans le 501.

 

 Il avait flirté depuis tout jeune et connu plus sérieusement Delphine, Nat, Léa, et récemment Clara. Il aimait la compagnie des filles et espérait toujours démarrer une relation plus intime avec celles qui l’attiraient particulièrement. Il ne cherchait aucunement la performance  d’un « tableau de chasse » comme certains de ses copains. Il n’avait aucune envie de raconter et de décrire ses aventures comme d’aucuns se complaisaient à le faire, en inventant très certainement des détails croustillants et en se donnant un rôle particulièrement avantageux.

 

 Les filles qui le tentaient avaient toutes à peu près la même allure : silhouette fine, petits seins, hanches étroites, cheveux courts. Un look un peu garçon en quelque sorte.

 Il aimait poser ses lèvres sur leurs lèvres.

 Sentir l’envie monter en lui la compression dans le fute, jusqu’à la douleur.

 Sentir l’envie monter en elles. Les lèvres qui s’entrouvrent, la langue qui s’offre, les seins qui durcissent sous le polo.

 Il n’avait pas eu souvent la possibilité de caresser leurs petits seins et mordiller doucement leurs tétons dressés. Encore moins d’approcher les douces courbures des hanches et des cuisses, la souplesse du ventre, le velouté des grandes lèvres dissimulées sous le foisonnant « mont de Vénus ».

 Il se sentait un peu maladroit, se demandant si les filles avaient les mêmes zones érogènes que les garçons, n’osant pas certaines caresses. Mais il apprenait vite !

 Cependant son cœur battait la chamade au moment où les corps s’enlaçaient. Il battait à la fois de crainte et de désir. Crainte de décevoir en ne prenant pas le bon rythme et (ou) en jouissant beaucoup trop vite. Désir d’assouvir une pulsion instinctive, irrésistible, incontrôlable, le propulsant vers un fulgurant orgasme.

 

 Au niveau des sensations, il avait remarqué un point un peu particulier. Il lui semblait parfois un peu « flotter » à l’intérieur d’un vagin. Peut-être était-ce dû à sa circoncision. En tout cas il était sûr d’avoir un organe respectable, tant en longueur qu’en diamètre. Il avait eu l’occasion de s’en rendre compte lors de quelques pratiques courantes (courantes ? il ne savait pas du tout ; peut-être étaient-elles au contraire exceptionnelles), qui consistaient à se masturber mutuellement. Il avait constaté qu’il était bien dans la norme et même au dessus. Et depuis le gabarit s’était encore développé. C’était avant qu’il eût connu des filles.

 

 Il aurait donc aimé un « enserrement » plus marqué, celui-là même qu’il obtenait spontanément avec sa main droite. Mais puisque ça marchait comme cela, pourquoi se poser des questions ? Et puis peut-être abusait-il de sa main droite !


029 Est-ce l’amour ?

 

 

  Ils sont homophobes, misogynes, vulgaires et grossiers, ils insultent mon pays, je déteste les rappeurs et le rap. En plus ils pensent surtout à se faire du fric. Ils sont le symbole d’une régression de la civilisation, disait Alex un jour d’humeur maussade.

  La musique que j’aime, c’est celle de Seal, Robbie Williams, Eros Ramazzotti, Annie Lennox, Madonna,… J’aime bien danser sur les rythmes de David Guetta, Depeche Mode,… danser, ça me rappelle ma rencontre avec Agathe…

 

 En effet c’est en dansant, comme un pied, qu’il a fait sa connaissance. Il a maladroitement écrasé l’escarpin de cette fille inconnue. Ses excuses très souriantes et son regard caressant n’ont pas eu l’effet escompté, la nénette s’est résolument et ostensiblement tournée vers d’autres danseurs plus expérimentés. Mouvement d’humeur qui n’a pas empêché un certain émoi de se déclencher en lui, comme cela lui arrivait parfois en regardant une fille, et plus souvent en regardant un garçon.

 Il se débrouilla pour la revoir, se mit à lui parler, à rire avec elle de sa maladresse. Il déploya une partie de son arsenal d’humour et fit preuve d’un sens de la répartie qui donna envie à la fille de mieux connaître ce garçon amusant.

 

 Leur relation débuta sous les meilleurs auspices : les vacances, le soleil, les baignades, les barbecues entre copains, les boites, les caresses, les corps enlacés. Ils donnèrent à tous l’impression de filer un parfait amour.

 

 Pourtant une ombre se développait dans la tête d’Alex. Comment se faisait-il que, lorsqu’il la pénétrait, ce qui l’excitait le plus c’était l’image mentale de leurs deux corps nus enlacés qui venait remplacer la vue bien réelle du ventre, des seins, du visage, de la chevelure, que ses lèvres et ses mains parcouraient avidement ? C’était aussi, fugitive, l’image du magnifique corps de Xavier qu’il n’avait jamais oublié.

 

 Alex aime les filles. Il éprouve beaucoup de plaisir avec elles. Mais à chaque fois il se demande si ce plaisir n’est pas inhérent à lui seul. Il ne se sent jamais en connivence totale avec sa partenaire. Il n’a jamais envie de donner tout de lui, parce qu’il est un homme, parce qu’elle est une femme, et qu’ils sont différents, et que la relation fusionnelle lui paraît impossible.

 

 Il sent qu’il aurait besoin de se retrouver totalement dans un partenaire sexuel, et qu’une femme l’engage dans un autre univers. Cette complicité, il peut, pense-t-il, la trouver chez un homme. Même contact physique, même fermeté de la musculature, mêmes zones érogènes, mêmes rythmes, mêmes sensations, mêmes plaisirs, mêmes jouissances, même configuration mentale, même pudeur des passions, des sentiments, des émotions. L’état fusionnel, il lui semblait qu’il ne pourrait vraiment l’atteindre qu’avec un homme.

 Mais quelle est alors la part de miroir ? N’est-ce pas d’avantage aimer un autre soi-même ? Se retrouver dans un autre, n’est-ce pas le contraire du don de soi ? Le contraire de l’amour ?

 Et cette question récurrente qui le taraude sans cesse : suis-je capable d’aimer ?
 

031 Le Harem

 

 Alex n’en revenait pas d’avoir été abordé par cette nana super bien roulée alors qu’il déambulait décontracté dans les rues de Genève. Il avait tout d’abord cru qu’elle venait lui demander un renseignement, parce qu’il n’imaginait pas qu’une jolie fille vienne comme ça le draguer. Mais elle avait tout de suite annoncé la couleur : elle était impresario et travaillait pour le compte d’un metteur en scène tunisien, Tazak Hamdouzi, qui voulait réaliser un court métrage dans le grand erg saharien. Il avait besoin pour ce film de jeunes garçons dans son genre.

 

 Rendez-vous fut pris pour une audition où il se retrouva avec quelques autres garçons de son âge. Quelles ne furent pas sa surprise et sa fierté d’avoir été choisi pour jouer le rôle d’un jeune touriste égaré dans les sables sahariens.

 

 Quelques semaines plus tard, Alex se retrouva à Tozeur où un 4x4 l’attendait. C’est en compagnie de deux charmantes et jolies bédouines occidentalisées qu’il fit le trajet jusqu’à Douz, en traversant le Chott el Djerid. Puis un autre 4x4 lui fit parcourir de grandes plaines quasi-désertiques. La piste contourna ensuite quelques collines sableuses hérissées de buissons rabougris encombrés de bois mort, et disparut dans les premières dunes de dimensions modestes. Le 4x4 déposa Alex à un bivouac où étaient rassemblés quelques bédouins et une dizaine de dromadaires.

 Commença alors l’aventure dans le désert. Les dunes devenaient de plus en plus hautes et le vent, à l’approche des crêtes, rabattait une poussière de sable qui s’incrustait partout. Il n’y avait plus aucune végétation et les dunes semblaient se reproduire à l’infini, faisant douter qu’on pût trouver dans le désert autre chose que du sable.

 

 Et pourtant, au bout de deux jours de marche, après un bivouac sous la tente bédouine, la petite équipée se trouva à l’orée d’une immense forêt de palmiers qui semblait recouvrir entièrement une grande dépression du sol. En pénétrant dans l’oasis, Alex se rendit compte qu’il s’agissait d’un endroit extraordinaire, et il ne fut pas étonné qu’un metteur en scène voulût y tourner un film.

 Les palmiers cédèrent peu à peu la place à de grands arbres et arbustes dont certains étaient couverts de fleurs exotiques. Puis apparut la ville, étroitement mêlée à la nature. Les arbres et les pierres s’enlaçaient étroitement, des grottes profondes et fraîches s’ouvraient au pied des arbres dont les racines faisaient office de marches. L’eau ruisselait dans des fontaines en terrasses dont les bassins s’ornaient de somptueux nénuphars. Quel lieu magique, se dit Alex ! Il n’avait jamais imaginé un endroit aussi merveilleux, aussi paradisiaque.

 On le conduisit dans une sorte de vaste patio à l’architecture et aux plantes luxuriantes. Il fut surpris de trouver là, nonchalamment allongés sur le sol ombragé, autour d’un bassin d’eau décoré de mosaïques multicolores, une douzaine de garçons de 15 à 20 ans qui l’accueillirent sans étonnement par un petit geste de bienvenue. De riches coupes de fruits frais de toutes sortes et de friandises multiformes étaient réparties ça et là. Il s’approcha de l’un d’eux et voulut lui parler, mais il s’aperçut vite qu’aucune communication verbale n’était possible car tous parlaient uns langue différente. Il se serait bien baigné dans cette eau limpide et scintillante pour se rafraîchir après ces journées de désert et se débarrasser du sable qui s’était collé contre son corps, mais aucun des boys n’était dévêtu et ne semblait attiré par la baignade. Il attendit comme les autres, passablement surpris par l’inattendu de cette aventure.

 A plusieurs reprises il lui sembla apercevoir un mouvement fugitif derrière les motifs ajourés du grand moucharabieh en loggia. Mais il n’en était pas sûr, peut-être était-ce le fruit de son imagination, stimulée par le mystère de ce lieu, son envoûtement, son irréalité.

 

 Il n’attendit pas longtemps. Deux jeunes filles arabes vinrent bientôt le chercher. On ne voyait que leurs yeux, mais ils étaient tellement beaux qu’on ne pouvait pas imaginer que le reste ne fût pas en harmonie. Elles étaient drapées dans de légers voiles de lin en dégradés de bleus jusqu’au blanc, qui laissaient parfois entrevoir des transparences. Elles conduisirent Alex dans de luxueux thermes privés entièrement revêtus d’albâtre parcouru de cascades de plantes exotiques en fleurs.

 Au bord d’une vaste baignoire en forme de coquille, elles s’employèrent avec des gestes très doux à le déshabiller. Il se laissait faire docilement mais commençait à craindre le moment où elles découvriraient à quel point ce petit préambule avait porté son excitation. Mais n’était-ce pas leur rendre un bel hommage que de leur présenter un organe viril en pleine majesté ? Elles n’y furent d’ailleurs pas insensibles, comme le signifièrent très nettement le sourire des beaux yeux soigneusement maquillés et les petits halètements qui accompagnèrent le départ du slip. Il faut dire qu’en dehors de l’hommage, la plastique générale du jeune homme ne laissait pas indifférent.

 Quand il fut dans l’eau parfumée du bain, elles s’enduirent les mains d’onguent et les passèrent délicatement sur tout le corps d’Alex. Quand une main se glissa dans la raie de ses fesses il crut qu’il allait prématurément éjaculer. Il se retint de justesse et la rétention atteint à nouveau une limite quand deux mains vinrent passer l’onguent entre ses cuisses, sur ses valseuses et sur sa tige en feu. Comme elles étaient légères et caressantes !

 Puis elles le séchèrent en allant chercher l’humidité dans tous les creux où elle s’était nichée. Après le séchage, elles le firent s’allonger sur un cube d’albâtre recouvert d’un épais tapis de mousse naturelle et entreprirent des massages très doux. Le corps d’Alex était parcouru de frissons de plaisir, en particulier quand les doigts fins et délicats montaient le long de sa hampe et effleuraient le pourtour de son gland. Il dut faire d’énormes efforts pour s’empêcher de jouir, en particulier lorsque, couché sur le ventre, les mains expertes avaient massé sa rondelle, à la limite de l’introduction. Alex n’en pouvait plus. Il bandait comme il n’avait jamais bandé, et il aspirait à la suite, oubliant complètement qu’il était venu tourner un film documentaire.

 C’était bien sur le corps de ces deux princesses qu’il entendait se documenter lui-même. Elles le recouvrirent d’une tunique longue de très fine batiste bleue qui fit momentanément disparaître la manifestation ostentatoire de sa virilité. Cependant les frôlements du délicat tissu sur son gland maintenaient à son intensité maximum la tension érotique. On peut dire que les deux servantes avaient bien chauffé le garçon, et c’est brûlant qu’elles l’introduisirent dans une cathédrale de marbres polychromes ouvragés, partiellement masqués par de grands vélums de soie grège tamisant la lumière. Au centre, sur un immense podium entouré de voiles transparents, tombant, en de multiples plis souples et mouvants, de l’énorme stalactite de marbre sculpté au centre de la coupole, un grand lit carré recouvert de velours bleu entièrement brodé de fils d’or et d’argent. Et au centre de ce lit, un gros tas.

 

  Les servantes, car il s’agissait bien de servantes, le conduisirent tout près du gros tas et, en guise de présentation, ôtèrent la tunique de batiste qui couvrait Alex. Puis, le laissant complètement nu devant ce qui peu à peu se révéla être une énorme femme, se retirèrent dans la plus grande discrétion.

 L’offrande sembla satisfaire le monticule de chair avachie car il émit une sorte de ronronnement prolongé. Puis le monticule se mit à bouger, entraînant un tremblotement généralisé des énormes bourrelets graisseux. Dans un geste lent et théâtral le mastodonte écarta les bras, faisant glisser en arrière les somptueuses dentelles d’or qui le recouvraient partiellement et dissimulaient le plus abominable corps qu’Alex ait pu imaginer dans ses divagations. Ce n’était qu’une cascade de chairs blanchâtres dégoulinant de haut en bas en boudins boursouflés. Les mamelons s’étalaient largement sur le ventre, avec des aréoles comme des assiettes et des tétons comme des dattes. La vulve aux lèvres pendantes disparaissait à demi dans les affaissements des cuisses.

 Les bras écartés invitaient Alex à venir s’y blottir. Celui-ci avait immédiatement débandé devant le spectacle et, loin de répondre à l’invitation, il chercha à fuir. Mais à peine avait-il fait quelques pas que des êtres effrayants revêtus de cuirasses en peau de serpent et la tête recouverte d’un crâne de hyène évidé, armés de longs fouets en fibres de palmier lestées d’éclats de silice, sortirent de derrière les tentures. Il comprit alors qu’un piège s’était refermé sur lui, qu’il était prisonnier de la monstrueuse reine de ce lieu et qu’il lui faudrait obéir à ses caprices sexuels ou être fouetté, et peut-être torturé avant de mourir, pour avoir osé se refuser à Sa Majesté.

 En quelques fractions de seconde il fit l’inventaire des hommages qu’il serait capable de rendre à cette repoussante femelle. La lécher partout, ça oui, à la rigueur il pourrait, car elle était propre et parfumée. Et puis, compte tenu de la surface à traiter, ça lui permettrait de gagner du temps. Arriverait-il à lui faire un cunnilingus ? Pas sûr ! La seule évocation lui donnait envie de gerber. Quant à s’introduire dans quelque ouverture, il était certain de ne jamais y parvenir, même en fantasmant sur les deux jolies filles qui avaient si bien su le mettre en condition tout à l’heure. Mon dieu, qu’allait-il lui arriver ? Son cœur battait à se rompre.

 Sans plus réfléchir il se jeta littéralement dans les bras ouverts de la grosse femme.

 Il s’attendait à rencontrer une résistance de l’ossature, mais il n’en fut rien : il s’enfonça en elle comme dans un édredon. Il était maintenant à l’intérieur de son corps et circulait avec une énergie fébrile dans des organes bien lubrifiés par une grande variété de fluides. Finalement il se retrouva dans l’utérus. Il replia les jambes et les bras, courba le dos et la tête, se pelotonna dans la position du fœtus, et se mit à diminuer, diminuer, jusqu’à n’être plus qu’un spermatozoïde complètement perdu dans cette grotte bien trop grande pour lui.

 Il en fit plusieurs fois le tour, évita soigneusement les deux embouchures latérales des trompes de Fallope, craignant un bombardement d’ovules capable de le tuer, et finit par trouver une petite sortie vers le bas, assez difficile à franchir. Il y parvint en se contorsionnant et dévala à toute vitesse les parois du vagin, força une petite porte qui résista longtemps, puis une plus grande qui s’ouvrit facilement, et se retrouva à l’air libre.

 Il respira un grand coup. C’est alors qu’il se rendit compte de sa non existence.


032 L’anniversaire

 

 Invité par un garçon de sa classe pour une soirée d’anniversaire « qui lui laisserait des souvenirs », Alex se demandait pourquoi ce mec, avec qui il avait à priori peu d’affinités et qui ne lui inspirait pas une sympathie démesurée, s’était adressé à lui. Aucune raison particulière de refuser.

 Ce samedi, arrivé à l’adresse indiquée, il pénètre dans un grand jardin paysagé qui mène à une villa cossue, toutes fenêtres éclairées. On voit de l’animation à l’intérieur et on entend de la musique électro-synthé.

 

  Connais personne là dedans…OK, je vais faire connaissance.

 

 Pour se donner une assurance qu’il n’a pas souvent naturelle, Alex s’enfile un premier punch.

 Arrive vers lui Julien, dont il est l’invité. Il est vêtu d’un jean complètement délavé et effrangé de partout et d’une superbe chemise noire en voile de coton dévoré, laissant largement apparaître la peau et les formes de son joli buste.

 

  Sympa d’être venu…Viens, je vais te présenter.

   Tiens, je t’ai apporté le dernier Coldplay.

   Merci, j’adore Coldplay…je te fais la bise.

 

 Il emmène Alex vers un petit groupe.

 

Voilà Alex. Vous le bousculez pas, il est un peu intro, mais plein de  ressources. Et il est mignon, non ?

La petite rouquine agitée, c’est Aline. La grande bringue c’est Marc. L’excité permanent c’est Steph, avec à ses basques les petites chéries Mylène et Kath.

 

 Deuxième punch, il faut bien se mettre dans l’ambiance !

 Les réparties et les blagues commencent à venir plus facilement. Ils sont sympas les copains de Julien.

 

 A un moment donné les rhéostats baissent très progressivement l’éclairage, jusqu’à l’extinction complète. Les baffles se mettent à catapulter des rythmes hyper entraînants, très actifs, et la mélodie intense de David Guetta. Au même instant se mettent à zigzaguer les lasers stroboscopes. C’est une grande nouveauté à l’époque, le dernier cri technologique du monde de la nuit. Ça change du disco et des boules à facettes !

 La température monte. Ça donne chaud de danser en continu pendant des heures. Très chaud. De temps en temps il faut s’abreuver et s’affaler sur un canapé.

 « Mais il y a de l’alcool là dedans ! Ça va chauffer encore plus. » Se dit Alex.

 Et puis sur les canapés il y a des clopes qui circulent.

 « Qu’est-ce qu’il y a dans ces joints ? » Alex n’est pas connaisseur, mais il fait comme tout le monde dans cette soirée.

 

 La musique maintenant, Alex la reconnaît, est celle de New Order.

« Ils donnent de plus en plus fort ces boosters ! »

 Ils vibrent et cognent dans les tempes d’Alex. Mais, porté par les rythmes dynamiques, il danse et danse et danse…

« J’hallucine !!! Elle est complètement à poil ! Et puis celle-là aussi ! C’est vrai qu’il fait chaud mais quand même ! »

 

   T’as trop chaud mon bébé…il faut te mettre à l’aise… laisse-moi faire…

 

 « Qui donc s’adresse à moi ? » Ça tape de plus en plus fort dans la tête d’Alex.

 Elle lui dégrafe les boutons de sa chemise et hop… torse nu. Alex se laisse faire. Il n’est plus tout à fait sûr de percevoir clairement la réalité.

 Il se retrouve avachi sur un canapé. A côté de lui un corps. Nu semble-t-il. Garçon ? Fille ? Il avance la main, rencontre les courbes lisses et douces d’une hanche : fille.

 On s’attaque à son jean ! Mais oui ! On le déshabille ! Le jean parti c’est au tour du boxer de disparaître. Il se laisse faire. Le voilà complètement à poil. Ça tourne dans sa tête. Il ne sait plus du tout si c’est du réel ou de la fiction.

 Il s’approche de ce corps nu allongé à plat ventre. Il commence des caresses, avec les mains d’abord, puis avec son corps tout entier. C’est merveilleux ce moment ! Il a une trique d’enfer. Il est tout entier dans cette action érotique, le monde qui l’entoure a disparu.

 Mais ça tourne de plus en plus. Il ne se sent plus très bien.

 Voilà qu’un autre corps vient se superposer au sien ! Garçon ? Fille ?... Garçon, il le sent très bien : la fermeté, la musculature, la pilosité, et surtout le pieu central !

 Le canapé tangue, roule comme sur une mer déchaînée. C’est la tempête…c’est intenable. Il a le mal de mer, Alex ! Il a envie de gerber…Il va gerber…Il arrive tant bien que mal à se dégager…s’accroche à un objet non identifié qui se renverse en faisant un bruit de verre cassé…Il se précipite…Non, il met au contraire un temps fou, en titubant et en se cognant partout, pour atteindre les chiottes. C’est la délivrance ! Il se passe la tête sous le robinet du lavabo. Il est là tout nu, complètement débandé, pas du tout dégrisé. Dormir ! Dormir ! De nouveau il titube et se cogne partout…Se laisse tomber sur le premier canapé venu et s’endort.

 

 Il est midi.

 Alex se réveille. Au milieu d’un capharnaüm incroyable. Il a mal au crâne. Il est complètement nu sous une sorte de couvre lit. Que s’est-il passé ? Qui l’a déshabillé ? Ah oui, il se souvient vaguement : le canapé, pas celui-ci, non, un autre… la fille, le garçon, lui-même… tous à poil…et puis le mal de mer…dégueulé dans les chiottes…

 Il s’entoure du couvre lit et part à la recherche de ses fringues. Ici il rencontre un corps endormi, recouvert en partie d’un plaid. Ce mec est nu lui aussi. Là il trouve sa chemise et ses chaussures…là bas il aperçoit un jean sur le bras du fauteuil…oui c’est bien le sien. Un autre corps endormi, complètement à poil. Il ne retrouve pas ses chaussettes, il ne retrouve pas non plus son slip. Bah ! Tant pis !

 Il s’habille, retourne se rafraîchir aux toilettes et s’apprête à partir quand Julien sort de la cuisine et l’interpelle :

 

   Viens prendre un café avant de partir.

 Comment vas-tu ?

 C’est con, t’as été malade au moment le plus excitant.

  … ? !

  Tu as vachement plu à mes potes, ils aimeraient te revoir.

 Mais picole moins la prochaine fois, pour aller jusqu’au bout !

   OK, promis.

 

 Cette première expérience avortée de partouze, il ne risquait pas de l’oublier. Mais quelle désagréable sensation de s’être fait piéger ! On l’avait saoulé, drogué, pour en faire un objet érotique, un jouet sexuel !

 Il n’y aurait pas de prochaine fois.


033 Le cambriolage

 

Antoine ramenait Alex chez lui dans sa petite Mini rouge (pas le nouveau modèle relooké par BMW, l’ancien, celui d’Austin), assez tape cul mais tellement fun ! C’était après une séance de ciné où ils s’étaient régalés d’un film bien gore. De temps en temps ça ne fait pas de mal ! Dans le tape cul il y avait aussi Tristan, dit Toto.

Alex s’apprêtait à claquer la portière quand il crut apercevoir, à travers une fenêtre du premier étage de sa maison, un faisceau lumineux. Les parents partis pour le week-end, il ne devait y avoir personne dans la maison. Il fit signe aux deux autres de se taire. Plus rien…Quelques minutes passent…Toujours rien. Alex a sans doute eu une hallucination. Les deux autres commencent à le charrier. Mais à cet instant tous les trois voient nettement un faisceau lumineux à travers la troisième fenêtre du premier.

 Mais c’est ma chambre ! s’exclame Alex.

Ils n’en mènent pas large.

 Appelons la police.(A l’époque il n’y a pas encore de portables. Il faut donc rentrer dans la maison pour appeler) Dans le plus grand silence ils font le tour de la maison. Aucune vitre cassée. La porte d'entrée est intacte.

 Oh mais la porte du garage est ouverte !

  Merde, c’est vrai, j’ai oublié de la fermer avant de partir.

A observer sans relâche ils en avaient conclu que le visiteur était seul.

  Il va sortir par là.

   Toto, tu vas aller à la porte d’entrée et faire un peu de bruit, comme si tu rentrais. Si ce fumier ne cherche pas la bagarre, il va fuir par où il est entré : la porte du garage. Un de chaque côté de la porte, on le chope à la sortie.

C’est bien ainsi que les choses se passèrent. Antoine et Alex agrippèrent un jeune tigre hyper nerveux qu’ils finirent par maîtriser après avoir reçu quelques coups et subi quelques morsures. C’était un petit jeune de 15/16 ans, pas du tout l’air d’un voyou, une belle petite gueule même, avec un air arrogant cependant, et prêt à en découdre. Ils l’emmenèrent dans la maison et le bloquèrent dans le dressing du rez-de-chaussée. Pas d’autre issue que la porte d’entrée et pour tout meuble une chaise.

  Que fait-on ? demande Toto qui les avait rejoints.

  Déjà il faut voir ce qu’il a volé.

  Regarde, il n’a pas pu voler grande chose, il n’a même pas de sac à dos.

  C’est sur lui, il faut le fouiller.

  Enlève ton blouson.

Le jeune quitte son blouson dont Toto s’empresse de fouiller les poches : de l’argent, pas des masses, un trousseau de clefs, le collier en ivoire de la mère d’Alex et sa montre en or quelle laisse toujours traîner, quelques babioles…

  T’as rien caché sous ton tee shirt ? Allez enlève le qu’on voie…Allez, plus vite ou on te fout une baffe.

Beau petit torse musclé sous le tee shirt.

  Et dans le fute ? Enlève ton fute…Tu te décides, ou tu préfères qu’on le fasse nous-mêmes ?

  Regarde ce que je trouve dans ses poches : des bagues. C’est à ta mère aussi ?

  Tu crois pas qu’il cache quelque chose dans son slip ? Allez, à poil.

Le jeune commence à paniquer. Il se jette sur Antoine qui barre la sortie.

  Il va réussir à se barrer, il faut l’attacher. Va chercher des liens.

Alex revient avec des morceaux de cordages qui servent au bateau.

  On t’a dit à poil, t’as pas compris ? C’est vrai quoi, il peut cacher ton Ipod dans son slip. Allez, à poil ou on te déchire ton slibard.

(Erreur chronologique, l’Ipod n’existe pas encore. Mais le walkman minidisque oui. Peut-on cacher ça dans son slip sans que ça se voie ?)

Bref, quelques instants plus tard, voilà le petit jeune complètement nu, les chevilles attachées aux pieds de la chaise et les mains ligotées derrière le dossier. Il a perdu tout son aplomb et son arrogance. Il retient avec peine une envie de pleurer.

Il y a sans doute un peu de plaisir sadique à dominer ce garçon forcé à tout dévoiler de son anatomie, livré aux regards inquisiteurs et aux commentaires menaçants, humilié. Mais Alex est tout attendri quand il voit une larme couler sur sa joue. Il le trouve carrément beau ce petit mec. Il se souvient de l’histoire du célèbre peintre Francis Bacon, mondialement connu, et dont chaque œuvre vaut une fortune. Un soir, en rentrant chez lui, probablement à moitié ou complètement ivre comme d’habitude, il se trouve nez à nez avec un cambrioleur. C’est le coup de foudre. Il tombe immédiatement amoureux de ce garçon en train de violer ses petits secrets. Le cambrioleur devint son amant et ils vécurent longtemps ensemble. Bacon en fit de nombreux portraits, dans le style particulièrement torturé qui lui est propre.

Voilà qu’Alex est pris de compassion pour ce jeune qui n’a pas du tout l’air d’être méchant. Il a envie de le prendre dans ses bras et de le consoler. Il a envie de le détacher en le caressant doucement, et pour lui enlever cette humiliation d’être nu, pour que s’installe une confiance réciproque, il a envie de se mettre nu lui aussi. Alex est pris par ses fantasmes et plus rien ne le retient pour partir dans cette aventure merveilleuse…

             ─ Alex, qu’est-ce qu’on fout de lui ? Tu appelles les flics ?

  Non, je ne veux pas de ça, laissez-le se rhabiller et foutre le camp.

  ─ T’es complètement con.


034 Gueule d’ange

 

   Benjamin était comme moi en classe de terminale, mais littéraire, et il suivait une option artistique. C’était un garçon attachant au regard très doux et à la peau toujours blanche quelle que soit la saison. Son visage avenant ne dissimulait rien de son extrême sensibilité, de sa finesse de perception, de sa profondeur d’âme, de sa pureté et de sa propension à la rêverie. Il avait une gueule d’ange.

 Il était bien décuplé mais semblait se soucier comme d’une guigne de son attirance physique. Il portait les cheveux assez longs et une mèche brune lui barrait toujours le front avant d’invariablement tomber devant son œil droit. D’un geste un peu maniéré il relevait la mèche qui s’appliquait aussitôt à refaire son trajet. Un tic un peu agaçant.

 Quelque peu nonchalant, il traînait toujours une sorte de mélancolie qui le démarquait radicalement de la plupart des ados de son âge. C’était un jeune romantique souffrant, perdu dans le fracas et la fureur du XX° siècle finissant. Dans le genre :

 

 Je te cultive, ô ma douleur,

 Toi qui emplit mon cœur

 De brumes et de langueurs,

 Ton regard caresse mon malheur,

 Et, s’il faut que je meure,

 Que mon âme en pleurs

 M’emmène en la Demeure.

 

 Il fricotait bizarrement avec son opposé. Un olibrius hirsute et débraillé, baba cool toujours hilare à la liquette au vent et au jean en accordéon. Il avait besoin de plusieurs canettes de bière dans l’estomac pour se sentir bien. Très certainement avait-il besoin d’autres stimulants pour se sentir encore mieux.

 Il entraînait Benjamin dans cette dépendance et fragilisait son organisme et augmentait sa mélancolie.

 

 J’aurais volontiers envisagé une amitié avec Benjamin, mais comment faire ? Il habitait loin et rentrait chaque fin de semaine chez sa mère. Je lui avais proposé de passer de temps en temps un week-end chez moi. La villa était vaste et il aurait sa chambre. Mes parents étaient cool et avaient l’accueil naturel et discret. Mais Benjamin avait décliné mon invitation. Sa mère comptait sur lui, avait besoin de lui, et lui-même ne pouvait se passer de son affection.

 Il était donc interne au lycée, comme le p’tit rigolo, et dans le même dortoir.

 

 En ce dortoir immonde

 Où les corps vagabondent…

 

  Hé ho Alex, l’interrompit Cédric :

  Tu peux pas parler comme tout le monde ?

 Tu lances ton dépit à la ronde

 Et c’est ton cœur que tu inondes…

 

  Marrant tout ça, mais mon histoire est triste.

Je ne sais pas jusqu’à quelle profondeur allait leur amitié.

(Faut-il oser cette ambiguïté de la métaphore ?)

 Ce garçon n’a pas terminé son année. Comment a-t-il pu s’éloigner de sa mère ? Je me le demande encore. Il était trop mal dans ses baskets, il lui fallait un ailleurs. Sans doute avait-il besoin de cette rupture pour faire le bilan de ses aspirations et de ses rejets, pour se trouver enfin et assumer ses nobles ambitions et les impératifs de sa nature particulière.

 Il est parti aux Etats-Unis. Je ne sais pas où exactement. Ivre de liberté il a fait comme Icare, il s’est brûlé les ailes et a fait une chute mortelle. Pauvre Benjamin ! Il est mort du sida. Ces salauds l’ont tué. Ils adorent les gueules d’ange. Ils les consomment puis les envoient au Paradis.

 S’il avait été mon ami j’aurais su lui donner des clés pour vivre des moments de bonheur dans un monde parfois hostile.


035 La confirmation

 

 Ce dont il est sûr c’est qu’ils étaient tous dans une vaste clairière sablonneuse entourée de pins sombres et denses. Il faisait nuit mais un timide quartier de lune répandait une timide clarté. On ne sentait pas l’odeur de la mer, qui était pourtant toute proche, de l’autre côté de la dune côtière. Les seuls effluves perceptibles étaient ici celles de la forêt de conifères qui enserrait cette clairière.

 Ils étaient une vingtaine de garçons et filles rassemblés là pour une confirmation dont chacun se demandait de quelle nature elle pouvait être. Tous ces jeunes, dont certains se connaissaient, étaient volubiles et joyeux, et ne prenaient garde au bruissement insolite de la forêt environnante. Quelle ne fut pas leur surprise quand ils perçurent enfin un réel vacarme se rapprochant de leur aire de rencontre !

 En l’absence totale de vent ce bruit n’avait rien de sylvestre. C’était plutôt un martèlement rythmé du sol, un tambourinement de danse rituelle qui, provenant de la noirceur des sous-bois, emplit de frayeurs le cœur des jeunes gens.

 Ils se rassemblèrent au centre de la clairière, cherchant les protections réciproques, et scrutèrent les alentours à la recherche de quelque mouvement qui leur donnerait un début d’explication rationnelle du phénomène. Mais il n’y avait aucun mouvement, et le bruit cadencé devenait de plus en plus assourdissant. Des filles pleuraient, d’autres appelaient leur mère au secours, quelques unes s’étaient accroupies et se bouchaient les yeux et les oreilles. Les garçons n’étaient guère plus vaillants. Certains avaient du mal à réprimer leurs tremblements, d’autres étaient pris de violentes douleurs abdominales, et aucun ne fanfaronnait, comme cela avait été le cas quelques instants plus tôt.

 Alex, de nature un peu craintive, était dans un état de fébrilité complètement déstabilisant. Son esprit cartésien lui rendait particulièrement terrifiants les phénomènes mystérieux, les manifestations de magie, et son imagination, si elle l’entraînait souvent dans des ailleurs merveilleux invraisemblables, butait généralement sur les marches de la sorcellerie.

 Le vacarme de l’invisible chevauchée fantastique ne faisait que s’amplifier et s’était approché aux lisières de la clairière.

 « Piégés ! Nous sommes piégés, pensa Alex, nous sommes bêtement tombés dans un guet-apens. Que va-t-il nous arriver ? »

 Soudainement le silence total s’installa, aussi mystérieux et angoissant que le tintamarre. Chacun retenait son souffle, attendant quelque nouvelle manifestation intempestive venant des ténèbres de la forêt. Tout à coup, une puissante voix caverneuse surgit dans la vacuité sonore et résonna comme un grondement de tonnerre :

 

  CHOISISSEZ UN PARTENAIRE

 

Le bloc compact que formait le groupe des jeunes gens s’ébroua peu à peu. Quelques couples se formèrent rapidement, mais la plupart des jeunes étaient décontenancés et surtout paralysée de peur.

 

  VOUS AVEZ ENCORE DEUX MINUTES POUR CHOISIR UN PARTENAIRE.  APRES IL VOUS SERA IMPOSE. Tonna la voix de centaure.

 

 Il y avait 12 garçons et 8 filles. Alex n’aurait pas du hésiter entre Damien, avec qui il avait échangé quelques mots tout à l’heure et senti une affinité entre eux deux, et Marie qui lui avait paru si belle au clair de lune quand il lui avait raconté une de ses petites blagues. Une petite brune se précipita vers lui et lui prit la main, s’inscrivant d’office comme partenaire.

 Bientôt tous les couples furent formés, mixtes pour environ la moitié d’entre eux, du même sexe pour l’autre moitié, garçons entre eux et filles entre elles.

 Alors l’énorme vibration d’un gong ébranla toute la forêt et fit trembler le sol. Une armée de petits génies difformes, gnomes issus des entrailles de la terre, apparut tout autour de l’enclos. Ces êtres surnaturels frappaient le sol de leurs pieds, puis de leurs énormes mains, selon une cadence invariable. Un être hybride, mi centaure mi minotaure, d’une stature démesurée, émergea d’un trou d’ombre et se dirigea vers le groupe de jeunes gens terrorisés. Dans la faible clarté lunaire il apparaissait fluorescent, de couleur violine, cornes et sabots brillants comme des chromes. Il traça autour du groupe, dans le sol sablonneux, un grand cercle qui devint aussitôt phosphorescent. Puis, de son puissant organe vocal, aux tessitures caverneuses, tellement éloignées des sons de la voix humaine, il exposa le protocole de la cérémonie rituelle prête à se dérouler.

             Il s’agissait, non d’une initiation, car ces jeunes étaient parfaitement au courant des pratiques de l’amour, mais d’une confirmation, c’est-à-dire qu’ils recevraient ici un passeport pour l’amour, un sésame pour déchiffrer la carte du Tendre. Pourvu, évidemment, qu’ils satisfassent aux tests de savoir-faire en la matière.

 Chaque binôme aurait donc à faire une petite démonstration d’accouplement qu’il conduirait à son gré jusqu’à l’accomplissement, en commençant par un déshabillage complet l’un par l’autre.

 Evidemment le reste du groupe, régulièrement réparti sur la circonférence du cercle phosphorescent, assisterait à l’exercice et serait chargé de le commenter et de prodiguer toutes sortes d’encouragements aux partenaires, et, si nécessaire, de leur donner les conseils utiles à la pleine et entière réalisation de leur entreprise.

 La durée n’avait pas d’importance, toutefois il était précisé que la qualité de la prestation était souvent liée à un certain prolongement dans le temps.

 L’ordre de passage serait aléatoire, indiqué par un signe lumineux venant se positionner devant un des couples répartis sur le cercle magique.

 

 Les jeunes s’exécutèrent immédiatement, tremblants de peur et angoissés par la perspective d’avoir à réaliser publiquement et sous la menace une performance dont ils aimaient pourtant la pratique mais dans de toutes autres circonstances. La vantardise de certains à ce sujet risquait ici de se liquéfier et de mouiller le slip ou la culotte. Quant aux incertitudes et aux questionnements des autres, ils se manifestaient en tremblements et tics de tous genres, ou en pleurs silencieux.

 Hélas pour Alex, le signe lumineux cabalistique s’arrêta devant le couple qu’il formait avec Hélène. Ils se dirigèrent vers le centre du cercle avec l’enthousiasme de ceux qu’on conduisait à l’échafaud.

 Debout, face à face, les bras ballants, ils étaient comme tétanisés. Le silence était absolu, la tension maximum.

 D’abord presque imperceptiblement, puis de plus en plus distinct, le martèlement cadencé du sol réapparut. Il devint omniprésent et son rythme impératif baigna toute la scène d’une théâtralité surréaliste. En dépit de ce déploiement de sortilèges, Hélène prit l’initiative d’enlever le débardeur d’Alex. Celui-ci, enhardi par le courage de sa partenaire, lui ôta son cardigan en maille de soie. Puis ce fut le tour du pantacourt d’Alex et du corsaire d’Hélène. Le plus facile était fait. Une évidente hésitation apparut de part et d’autre, immédiatement condamnée par l’intensité du martèlement. V’est Alex, cette fois, qui le premier osa le geste. Il libéra les seins de la fille de l’emprise du soutif, puis sa petite chatte de la dentelle de la mini petite culotte. Alors, d’un mouvement vif, elle lui abattit jusqu’aux chevilles le slip dont il se libéra complètement.

 Il était entièrement nu devant cette fille, nue également, avec des spectateurs tout autour. Cette scène qu’il avait tant de fois fantasmée, avec une fille ou avec un garçon, le mettait toujours dans des états d’excitation indescriptibles, presque en état de transe. Mais dans les circonstances présentes, avec la peur qui lui tortillait les boyaux, il ne se passait rien du tout. Lui qui réagissait d’habitude à la moindre sollicitation, et même sans sollicitation du tout, restait là planté bêtement sans oser bouger, avec son appendice mou comme une chique.

 Evidemment le tambourinage du sol manifesta aussitôt l’impatience des organisateurs devant cet arrêt d’activité. Alex s’assit sur le sol et invita sa maintenant complice à l’imiter. Puis ils s’allongèrent l’un contre l’autre et commencèrent à se caresser. Les gnomes les encouragèrent par quelque variation de rythme et les jeunes spectateurs émirent quelques timides onomatopées de satisfaction. Alex et Hélène s’embrassèrent longuement et se prodiguèrent les caresses les plus excitantes. Les corps roulèrent un instant dans le sable et Alex s’immobilisa sur la fille.

 Il était toujours dans l’impossibilité de pénétrer quoi que ce soit. Il s’attendait à des sarcasmes, à des propos humiliants. Il voyait déjà sa réputation de virilité complètement anéantie. Cet échec à la confirmation le priverait à coup sûr d’être véritablement un homme. Il allait se mettre à chialer quand une voix charitable et amicale s’éleva tout à coup :

 

  Vas-y Alex, tu es beau et tu as la plus belle fille du groupe. Tu nous fais envie.

 

 « Mais bien sûr, se dit-il. Où avais-je la tête ? Tous ces sortilèges et cette mise en scène, ces petits monstres et ce géant menaçant, ces infernaux bruits cadencés, je les invente. Ils n’existent pas. La seule réalité c’est cette fille souple à la peau si douce et aux si jolis petits seins dont je ne sais comment elle est arrivée dans mes bras. Et c’est un bonheur auquel j’aspirais depuis le début. J’avais tout de suite flashé sur elle en arrivant. C’était la plus belle. Je me disais qu’elle n’était pas pour moi. J’avais tellement envie d’elle, et tellement peur qu’elle me repousse… Mais… Elle m’échappe… Elle n’est plus dans mes bras… je ne la vois même plus… Le sable aussi a disparu… La forêt… Je suis là, dans cette chambre, étendu sur le parquet… A poil… Et je bande dans le vide.

 Je m’étais bien dit qu’il ne fallait pas que je le prenne, ce truc hallucinogène.


036 Le chirurgien

 

 

Alex a depuis quelque temps une excroissance cutanée particulièrement mal placée. Elle est située à la naissance de la cuisse et en contact avec le scrotum. Il a l’impression que cette petite boule grossit. Non, ce n’est pas une impression. Elle grossit. Bien que indolore elle commence à le gêner, il la sent à chaque mouvement.

Il prend donc la décision longtemps repoussée d’aller consulter son médecin généraliste.

Contrairement à ce qu’il avait imaginé (on commence à connaître les contenus de l’imagination d’Alex, les scénarios qu’il invente à chaque perspective d’un déshabillage total), le médecin ne lui demande pas du tout de se foutre à poil. Il le fait s’allonger sur la table d’auscultation, lui demande de dégrafer et baisser un peu son pantalon et aussi le slip afin d’avoir accès à la zone concernée. Un coup d’œil professionnel, une petite palpation… Rhabillage.

Il lui sort un mot compliqué qu’Alex oubIie instantanément et lui conseille de faire enlever ça au plus vite bien qu’il n’y ait aucun caractère d’urgence ni de gravité. Il lui donne l’adresse d’un chirurgien et rédige un mot pour ce dernier.

 

Alex se présente à la clinique le jour du rendez vous. Il est reçu par la jeune secrétaire du chirurgien qui, après avoir pris note de quelques informations d’ordre administratif, l’invite à passer dans la salle d’attente. Une demie heure plus tard, elle vient le chercher et l’introduit dans le bureau du chirurgien, contigu à son secrétariat.

Alex se trouve en face d’un petit bonhomme bien enveloppé, encore relativement jeune, à la mine assez joviale. Celui-ci lui pose quelques questions aucunement indiscrètes, puis l’entraîne dans la salle d’examen.

Alex entend le fatidique :

 

  Déshabillez vous complètement.

 

C’est alors que la secrétaire, après avoir frappé deux petits coups à la porte, entre sans avoir attendu la réponse et remet un dossier au docteur. Alex a interrompu son déshabillage, ou plutôt a fait semblant d’avoir un nœud à son lacet de basket. La secrétaire partie, il reprend l’effeuillage : chaussettes, polo, jean, boxer. Tout ça hyper rapidement pour ne pas laisser au mental le temps de prendre le dessus.

 

Allongez-vous là et écartez bien les jambes.

Pourvu que la secrétaire n’ait pas un autre dossier à apporter !  Se dit alors Alex, Je n’ai pas envie d’être là allongé, jambes ouvertes, devant cette fille. Offert comme une friandise sur un plateau !

 

Il tressaille au moment où les doigts du docteur atteignent sa peau. Celui-ci, de sa main gauche, écarte doucement l’ensemble scrotum pénis. Cette main placée là !!!

 

 Mon Dieu, pourvu que je ne bande pas !  Se dit Alex, Il m’en faut moins que ça !…  Chiotte ! Je crois bien que je gonfle ! Pourtant il n’a rien de sexy ce mec. Je n’aime pas les petits gros. Ça me branche pas du tout les rondouillards. Déjà de la brioche à son âge ! Il ne va quand même pas s’imaginer que je bande pour lui ! Est-ce qu’il va bientôt l’enlever cette main qui me tient les couilles ? Ça va durer encore longtemps ce petit jeu ? Je vais pas tenir !...je vais pas tenir !!

Pendant ce temps, extrêmement bref en fait, (chacun sait depuis Einstein que le temps est une variable), pendant ce temps qui n’en finissait pas, et c’était seulement dans la tête d’Alex que c’était long, la main droite du toubib palpait l’excroissance de peau qui se dressait dans le creux en dessous de l’aine.

 

  Décontractez-vous » lui dit le chirurgien.

  Facile à dire. Pensa Alex qui se rendit compte que tous ses muscles étaient tendus. Il est là à me poser sa main sur les roustons et il voudrait que je sois décontracté !... Est-ce qu’il se rend compte que j’ai une trique d’enfer pour beaucoup moins que ça d’habitude ?... Et l’autre qui va à nouveau entrer pour apporter un dossier !

 Ce n’est rien. Je vais vous enlever ce (mot compliqué) sous anesthésie locale. Vous rentrerez en clinique le matin et vous en sortirez l’après midi. Ma secrétaire va vous donner le rendez-vous.

Vous pouvez vous rhabiller.


037 La clinique

C’est donc aujourd’hui qu’Alex doit entrer en clinique pour l’ablation d’un kyste cutané particulièrement mal placé. A l’accueil on lui fait remplir quelques papiers puis on le prie d’attendre qu’une infirmière vienne le chercher. En fait, dix minutes plus tard, c’est un jeune homme qui se présente et conduit Alex dans le secteur « hôpital de jour ». Svelte, assez grand, brun, regard noir, peau mate. Musculature athlétique, autant qu’on puisse en juger avec cette blouse verte flottante recouvrant un pantalon de même couleur, flottant lui aussi. Ce garçon a belle allure. C’est en tout cas la réflexion que se fait Alex, traversé par des sentiments contradictoires à l’idée d’être dans les mains de cet infirmier. Arrivé dans le service, c’est un peu la déception. Il s’agit d’une succession de boxes séparés par des rideaux en plastique, et avec vis-à-vis s’il vous plaît ! Bravo pour l’intimité ! On capte tout ce qui se passe et tout ce qui se dit à gauche et à droite, et on voit, à travers les vides du rideau mal ajusté, des bribes de la scène d’en face. Arrive une infirmière un peu âgée qui dépose du linge auquel Alex ne prête pas attention. Quelques minutes plus tard, une autre infirmière, jeune celle-là, et très mignonne, rentre tout de suite dans le vif du sujet :

 

  Vous allez vous déshabiller complètement, enlever aussi les verres de contact si vous en portez, les bagues, les piercings, et mettre cette chemise. On va venir vous raser.

 

 « C’est la meilleure celle-là ! » se dit Alex « Ils vont me raser ! Me raser quoi ? Me raser partout ? Mais c’était pas prévu ça ! J’ai pas envie de me retrouver tout nu comme un ver de terre ! J’y tiens à mes poils ! Ils sont placés là où je les aime : le crâne, les aisselles, un peu les avant bras, pas sur la poitrine tant mieux, le pubis, la raie des fesses, les jambes. Combien de temps pour repousser tout ça ?  J’ai vu des photos de mecs complètement épilés, je trouve ça débile, petit cochon de lait tout rose. Et puis qui est-ce qui va me raser ? La fille, le garçon, la vieille ? Je choisis le garçon, parce qu’un garçon ça doit théoriquement mieux savoir raser qu’une fille. Et puis ça doit être moins humiliant d’être livré complètement nu à un garçon. Et en vérité j’ai bien envie d’être tripoté par celui-là. Merde ! j’ai déjà la trique rien que d’y penser. Non, je ne veux pas que ce soit lui, je ne veux pas qu’il me voie bander comme un âne. C’est sûrement un hétéro pur et dur, je ne pourrai supporter la nuance de mépris dans son regard.  Alors ! la fille ? C’est normal si je bande quand elle me touche, non ? Je lui rends un hommage naturel, elle ne peut être que flattée. D’ailleurs je la trouve très sexy cette nana. Va pour la fille ! »

 

Heureusement la perspective de la perte de ses poils le fait débander rapidement. Il se déshabille et enfile ce bout de tissu appelé chemise et qui lui laisse tout le dos, le cul et les cuisses à l’air. Arrive « la vieille » avec le matériel de rasage, c’est-à-dire une grosse tondeuse.

 

  Allongez vous. Ne vous inquiétez pas, ça ne fait pas mal.

 

Elle lui relève jusqu’au nombril la soit-disant chemise et attaque avec sa tondeuse la belle toison noire qui habille si bien son joujou. C’est vrai, ça ne fait pas mal. Les gestes sont doux, mais pas caressants. Professionnels. La tondeuse va s’attaquer maintenant au scrotum :

 

  Ecartez bien les jambes s’il vous plaît.

 

Cette fois il y a d’avantage de manipulations. Il faut tendre la peau pour que la tondeuse puisse être bien opérationnelle. A ce moment Alex pense que les voisins et voisines ne doivent pas en perdre une miette et qu’ils peuvent suivre en images le déroulement de la séance de rasage. « Julot » reste bien tranquille. C’est inespéré. La sensation de perdre son environnement douillet lui enlève toute velléité d’initiative incontrôlable.

 

  Soulevez bien les genoux.

 « Non mais ! C’est pas vrai ! Elle va quand même pas me raser le cul ! »

 

Mais la tondeuse s’arrête entre les cuisses, repart sur le haut de la cuisse droite, puis s’arrête définitivement.

 

  Maintenant vous allez prendre une douche à la bétadine. La salle de bain est au fond à gauche.

 « C’est ça ! Je vais passer devant tous les autres boxes avec le cul à l’air ! Chapeau le respect de la pudeur ici ! »

  Enfilez ce peignoir. Vous vous lavez bien partout, y compris les cheveux.

 « Elle est capable de venir vérifier ! Et à chaque fois, sous la douche, je bande. »

 « Ah, il y a un verrou dans cette salle de bain. Enfin un peu d’intimité ! »

 

Il y a aussi une grande glace. Alex aime bien les glaces d’habitude. Il a de la sympathie pour son corps. Il en fait régulièrement l’inventaire. Bien sûr il pourrait être mieux : un peu plus grand, les épaules un peu plus larges, les cuisses un peu plus fortes, mais l’ensemble n’est pas mal du tout. Côté gueule il est moins satisfait, il aurait aimé ressembler à Antonio Banderas…Mais n’est pas Zorro qui veut !

Il ne jettera pas un regard dans la glace. Il a bien le temps de se découvrir plus nu que nu !

La suite n’est pas exempte de sensations. Alex est transporté sur son lit par le bogosse du début, qui lui sourit gentiment, jusque dans le bloc. Là il est livré à une autre équipe, masquée et chapeautée, de blanc ou de vert, dont il ne voit que les yeux. On replie le drap qui le recouvre, on lui sourit, on lui dit quelques mots gentils. Elles sont deux ou trois à s’occuper de lui. Il aperçoit un instant les yeux de son petit gros de chirurgien. Puis on lui enlève la ci-nommée chemise. Il est tout nu au milieu de tout ce monde. Il ne peut même plus dire « à poil ».

 

  Vous avez un joli… (Alex imagine aussitôt un propos grivois qui, en fait, serait tout à fait déplacé ici)

─ Oui, oui, je lui fais tout de suite

─ répond-elle à un interlocuteur.

 Vous êtes bien bronzé.

 

C’est le genre de remarque qui à la fois fait plaisir et vous rappelle, s’il en était besoin, que vous êtes entièrement nu, avec la marque du maillot bien apparente.Le va et vient est incessant dans ce bloc opératoire

 On va vous faire une péridurale, mais avant je vous couvre pour que vous n’ayez pas froid.

 « C’est une excellente idée, parce que c’est pas vraiment jouissif d’être exposé tout nu dans un hall de gare ! »

 

Pas de souvenirs impérissables de la suite. Petite intervention. Rien senti. Petit pansement. Qu’est-ce qu’on s’occupe bien de moi ! Et « Julot » anesthésié qui ne risque pas de jouer à l’émancipé ! Retour dans le boxe avec le bogosse, quelques heures de repos et hop, dehors, en tirant un peu la patte quand même !


038 Le rendez-vous manqué

 

C’était une partie de foot organisée par le prof de gym entre les élèves d’un même groupe mais de classes différentes. Alex était assez nul au foot, et d’ailleurs, contrairement à presque tous les garçons qu’il côtoyait, il n’aimait pas ça. Il n’avait non plus aucun plaisir à regarder un match de foot, fut-il d’une importance planétaire, à la télévision. Mais dans le cadre du cours de gym, il avait de temps en temps l’obligation de taper dans le ballon rond. Taper dans ce ballon lui posait aussi un problème car celui-ci ne prenait jamais exactement la direction voulue, ce qui lui valait des quolibets de ses coéquipiers. Pourtant il faisait le maximum pour jouer le mieux possible. Il fonçait sur le ballon quand celui-ci se dirigeait dans sa direction en y mettant toute son énergie.

C’est bien ce qu’il fit ce jour-là : il démarra à fond la caisse quand Richard lui fit une passe inattendue pour se dégager d’un adversaire. Il ne vit pas que le gros Julien se propulsait lui aussi en direction du ballon.

La collision, pourtant latérale, fut violente. Les deux garçons roulèrent à terre. Julien se releva aussitôt en se tenant la tête, mais Alex resta allongé sur le terrain, évanoui.

Aussitôt tous les joueurs et le prof arbitre se rassemblèrent autour de lui. Le prof interdit de le toucher, lui balança de la flotte sur le visage et sur le crâne, et envoya un élève dégourdi appeler du secours.

Au bout de secondes qui parurent interminables, Alex ouvrit les yeux et revint à lui. Il fut tout étonné de voir tous ces visages penchés au dessus de lui. Quelqu’un tentait de mesurer le pouls et le prof lui avait remonté son tee-shirt et lui massait le cœur. Il voulut se relever mais on l’en empêcha et on lui cala une veste de survêt sous la tête.

Les instants qui suivirent parurent très longs à Alex qui se sentait sonné et avait affreusement mal au crâne du côté gauche.

Des brancardiers arrivèrent et le placèrent délicatement sur une civière. Puis il fut transporté dans une ambulance qui démarra toutes sirènes hurlantes. Nettoyage de l’hématome qui suintait, prise de tension, du rythme cardiaque, pose d’une minerve. On s’occupait bien de lui qui avait repris tous ses esprits mais fut pris de vomissements pendant le trajet.

Arrivé aux urgences il fut pris en main par une équipe médicale qui le fit passer des salles de radio à celles d’examen pour l’électro et la prise de sang ; Puis, après lui avoir pschitté une sorte de fluide glacial sur son hématome, on le conduisit, toujours sur le brancard roulant, dans une chambre à 4 lits où sans arrêt entraient et sortaient des gens paraissant affolés, ou au moins stressés, venant prendre des nouvelles des alités qui paraissaient en mauvais état. Ce climat d’agitation fébrile augmentait considérablement son inquiétude. Le check up qu’il venait de subir allait-il révéler quelque chose de grave ? Qu’allait-on lui faire ? Combien de temps allait-on le garder ici ?

Il attendit, il n’y avait d’ailleurs que cela à faire, et essaya de calmer son angoisse. Il se sentait en tout cas tout à fait remis, hormis cette douleur au crâne, qui s’était bien atténuée avec le fluide glacial.

Au bout d’un temps qui lui parut infiniment long, il vit arriver son prof de gym venant aux nouvelles. Il lui demanda aussitôt ce qui lui était arrivé car il y avait un « trou » entre son départ fulgurant vers le ballon et tous ces visages inquiets penchés au dessus de lui. Alors le prof lui raconta la collision, sa syncope.

 

  J’étais pas complètement parti, dit Alex, parce que j’ai fait un rêve extraordinaire.

  Te fatigue pas. Tu nous raconteras ça plus tard. D’ailleurs voilà le médecin.

  Eh bien, jeune homme, comment vous sentez vous ?

  Très bien M’sieur.

  On vous a passé pas mal d’organes en revue. Vous n’avez rien à la tête ni au cou, votre capacité respiratoire est excellente, votre electro aussi et votre sang parfait. Votre professeur va vous raccompagner chez vous, mais vous devez vous reposer. Au lit en rentrant, jusqu’à demain. Si vous avez mal à la tête prenez un peu d’aspirine.

  Oh merci. J’avais tellement peur que vous me gardiez !

 

C’est à moi, Mathys, de nombreuses années plus tard, qu’il a raconté ce rêve qu’il avait fait pendant son évanouissement.

 

Le terrain de foot ressemblait à celui sur lequel il venait de jouer mais c’était la nuit et il était violemment éclairé par de puissants projecteurs à la lumière blafarde. Les tribunes et les gradins étaient noirs de monde et une fièvre, une impatience à peine contenue, étaient nettement perceptibles chez les spectateurs.

L’équipe de joueurs dont il faisait partie était seule sur le terrain. Il ne connaissait aucun d’entre eux. Ils lui paraissaient tous grands, costauds, baraqués même, avec des visages peu amènes, on peut même dire des mines patibulaires. Tous les regards étaient tournés vers lui, menaçants, comme s’il avait commis un acte criminel.

Alex ne comprenait pas. Etait-ce son inaptitude à bien jouer au foot qu’on lui reprochait ? Son incapacité à bien diriger le ballon ? Ou bien la faute était-elle plus grave, impardonnable, comme d’envoyer le ballon dans son propre but ou de faire le jeu de l’adversaire ? En tout cas le climat de menace était réel et ne pouvait être que le prélude à une scène de châtiment, une sorte de punition expiatoire.

Une sorte de grondement venant de la foule envahit le stade, s’amplifia, enfla jusqu’à devenir assourdissant. La foule s’impatientait et réclamait l’exécution de la sentence. Elle vibrionnait déjà du plaisir sadique qui allait la faire jouir dans quelques instants. Elle exigeait un spectacle grandiose à la hauteur de l’abominable crime de lèse-football qui avait été commis, une mise à mort de l’instrument de cette humiliation de l’équipe et des supporters du ballon rond. Il fallait laver la honte de cette déroute inadmissible en sacrifiant, sur l’autel de la sacro-sainte ligue régionale, l’inexcusable responsable.

Comme un troupeau de bovins qui se mettrait tout à coup à meugler tous ensemble, la foule, d’une seule voix, se mit à hurler :

 

   A    POIL… A    POIL… A  POIL…

  

Aussitôt quatre malabars de l’équipe s’emparèrent d’Alex et lui arrachèrent brutalement ses baskets, son maillot, son short, son slip et le laissèrent là complètement nu sous les faisceaux des projecteurs.

La foule maintenant debout, se déchaîne en vociférations et quolibets en tous genres. Bientôt elle se met à marteler le sol, qui résonne comme un grondement de tonnerre. L’équipe sur le terrain semble comprendre instantanément le message. Une formidable connivence s’établit entre les spectateurs et les joueurs. On sent bien que ces derniers ne sont que des marionnettes programmées pour exécuter les désirs de la foule de supporters. Et cette foule veut la peau du coupable.

Tout à coup, désemparé, terrorisé, honteux à la fois d’être livré entièrement nu en pâture à cette foule déchaînée avide de vengeance, et d’avoir commis une faute si grave et si lourde de conséquences pour l’avenir du football en général, Alex s’aperçoit que les joueurs tout autour de lui sont armés de pierres.

C’est donc ça la sentence : il est condamné à être lapidé. Cette évidence l’emplit d’effroi. Les grandes peintures de lapidation d’innocents qui ont ensuite été sanctifiés défilent à toute allure dans sa tête. Il ne se sent aucune vocation à la sainteté. Il voit aussi passer les articles de presse qui relatent, en ce début du XXI° siècle, les islamistes lapidations de femmes qui ont commis le crime d’aimer en dehors des règles immuables édictées par une puissance supérieure pénétrée, paraît-il, de compassion.

Il ressent la douleur d’un premier impact sur son flanc gauche. Puis il reçoit une pierre dans le dos, sur l’omoplate droite. Une autre au creux des reins, et encore une autre sur la clavicule gauche qui lui fait affreusement mal. Il s’accroupit et croise les bras au dessus de la tête pour la protéger.

Le rythme des lancers de pierres s’accélère, mais tout doucement, car il s’agit de faire durer le plaisir des spectateurs.

Chaque coup reçu fait tressauter tout son corps meurtri. La foule hurle son enthousiasme et tambourine le plancher des gradins avec une énergie infernale. On est très proche de ce qui se passait dans les amphithéâtres romains lors des combats à la vie à la mort des gladiateurs, ou des sacrifices des premiers chrétiens, livrés aux lions affamés. Quoi d’étonnant dans notre époque aux deux visages : celui qui aspire à plus de démocratie, de justice et de liberté, et celui qui fait l’apologie de la violence, du terrorisme, et de l’interdit.

Un choc, plus violent que les autres, sur le crâne, près de la tempe, le terrasse littéralement. Il se sent abandonner ce monde terrestre dans lequel il a eu jusqu’à aujourd’hui, tant de plaisir à vivre. Il lui semble être tout à coup délivré de la pesanteur et parcourir des distances infinies, traverser des univers aussi étranges et fantastiques que variés ;

Brusquement, il se sent enveloppé d’une immense cape noire animée d’amples flottements aux ondulations généreuses, et il se retrouve dans les bras d’un garçon magnifique à la virilité vigoureuse et sensuelle à la fois. Il a un beau visage souriant et des yeux verts irrésistibles tant ils pétillent d’intelligence et de gentillesse. Pas enjôleur du tout, mais d’un charme envoûtant et d’une attraction magnétique. Il est entièrement nu et son corps athlétique et bronzé est plaqué contre celui d’Alex, également nu. L’immense cape noire qui a enveloppé Alex est retenue à son cou par deux fibules d’or enrichi de diamants.

« Mon dieu, se dit Alex, est-ce possible que ce splendide garçon soit la mort ? Je me la représentais horrible et repoussante, bardée de griffes et de lassos et voilà que je suis enlacé par un adonis qui me regarde tendrement et m’inspire la plus entière confiance. Je veux rester dans ses bras, j’ai autant de désir de lui qu’il en a de moi. Nos seins se dressent à l’unisson, nos ventres vibrent ensemble, et nos sexes tendus se cherchent, se trouvent, et s’accouplent en bavant de bonheur. Je veux aimer ce garçon et être aimé de lui, il m’a ouvert les yeux sur le véritable amour… »

Effectivement Alex ouvrit les yeux, et vit tout autour de lui ces visages penchés au dessus de lui, des visages connus, des visages sympathiques et inquiets, qui lui firent un grand sourire pour saluer son retour.


039 La leçon d’anatomie

 

  Il y a dans cet établissement une tradition que vous connaissez certainement tous et qui consiste à avoir une pédagogie novatrice et vivante qui permet à chacun de comprendre et d’apprendre sans effort. Nos résultats aux examens sont excellents, ce qui nous encourage à poursuivre cette pratique et à la perfectionner, dans toute la mesure du possible.

Nous allons commencer aujourd’hui par une leçon d’anatomie et c’est l’un de vous, que le sort désignera, qui servira de modèle. Après tout, cela se pratique depuis des lustres dans les écoles de beaux arts, et je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas en faire autant.

Une main innocente va donc choisir, dans cette corbeille, un des bulletins sur lesquels sont inscrits les noms des garçons de la classe. Car ce sera une leçon d’anatomie masculine, les muscles y sont plus apparents, donc plus facile à identifier. Nous verrons l’anatomie féminine et ses particularités la semaine prochaine.

Y a-t-il une main innocente dans la classe ?

Non ?

Alors je désigne une main au hasard. Jessica, c’est toi qui va tirer au sort notre modèle du jour.

Alex, c’est toi le gagnant, si l’on peut dire !

Tu vas aller dans la réserve et te déshabiller complètement.

  Le slip aussi !?

  Oui, oui. On ne peut pas faire abstraction de parties anatomiques aussi importantes.

Pendant qu’Alex se prépare, vous ouvrez vos classeurs pour prendre des notes et faire les schémas nécessaires.

Je vous rappelle que je ne veux entendre aucun commentaire sur la plastique du modèle. C’est une séance de travail qui ne souffre aucun dérapage.

Ah, le voilà.

Viens ici, que tout le monde voie bien.

Nous allons examiner d’abord la musculature antérieure. Tu vas nous aider, Alex, en essayant de contracter chaque muscle que je vais nommer. Ce n’est pas toujours facile, mais cela te permettra de progresser dans la découverte de ton propre corps. Parfois, je dessinerai sur ton corps pour bien définir le tracé, la position et l’orientation du muscle, ainsi que les points ou les surfaces d’attache. Sois tout à fait rassuré, ces feutres ne sont pas toxiques, et tu pourras aller prendre une bonne douche après la séance.

Commençons par le principal muscle de la tête : le masséter, qui vous permet de mastiquer. Oui, bien Alex, on voit très bien son rôle.

Les muscles du cou : le sterno-cléido-mastoïdien. Fais pivoter la tête à gauche et à droite, Alex. Oui, bien.

Le deltoïde forme l’épaule, c’est un gros muscle qui permet, avec l’aide du biceps brachial et du grand pectoral, qui forme la poitrine des garçons, de soulever des poids très importants.

Si l’on descend, on trouve le grand droit de l’abdomen, celui qui fait les « tablettes de chocolat » chez certains. Remarquons au passage que le pénis n’est pas un muscle mais un cartilage. Nous aurons l’occasion d’y revenir lorsque nous étudierons l’appareil reproducteur.

Pour la cuisse vous avez les adducteurs, si l’on part de l’aine, puis le muscle en diagonale c’est le couturier. On ne le distingue pas très bien. Peux-tu bander un peu, pardon ! Peux-tu contracter un peu les muscles de ta cuisse. Bien. On voit mieux. Mais si tu permets je vais le dessiner sur toi.

Et puis vous avez ici le fameux quadriceps, qui est le muscle le plus puissant de la cuisse.

On se rend beaucoup mieux compte sur un modèle vivant que sur une planche d’anatomie ou les images restent abstraites. J’ai remarqué que cette leçon était toujours très bien sue.

Veux-tu te tourner, Alex, nous allons étudier maintenant la face postérieure.

On retrouve le deltoïde de l’épaule. Maintenant je dessine le grand dorsal. Vous voyez ? Oblique. Comme ça, en éventail. Le grand fessier, je ne le dessine pas, il se voit très bien. Contracte un peu, Alex. C’est le muscle le plus puissant du corps humain.

L’arrière de la cuisse…

 « Mais qu’est-ce que je suis con de fantasmer des trucs pareils !

J’ai honte et en même temps je suis tout excité. A chaque fois c’est pareil, l’idée d’être à poil en public me fout à la fois la honte et la trique. Et ça se termine toujours par une bonne séance de masturbation devant la grande glace de ma salle de bain.

Je me demande si les autres sont comme moi. Si j’ai un ego sexuel surdimensionné. Si ça va continuer comme ça longtemps, même quand je serai amoureux.

J’ai un peu peur que ce soit une pathologie. »


040 Les mauvais mots

 

 Ils prenaient un pot au CDS (Café du Stade pour les non initiés, tout près du lycée) pendant cette heure de liberté inattendue en raison de l’absence du prof de physique chimie. Alex, Marc, son copain de toujours, et Ida, la copine momentanée de Marc. Ils parlaient boulot : le devoir d’anglais à rendre après demain, le dernier cours de maths quasi incompréhensible, etc. Puis Marc se mit à évoquer des souvenirs marrants :

 

  Tu te souviens, Alex, il y a deux ans en seconde, quand a débarquée la remplaçante du prof de français ? Au 2° ou 3° cours, elle se pointe et se stresse aussitôt parce qu’elle nous sent énervés. On vient d’avoir une interro surprise en sciences nat et comme c’était pas prévu, personne n’avait appris sa leçon. Bref, elle nous fait entrer en classe, attend un peu dans le couloir qu’on s’installe et qu’on se calme et se pointe en nous faisant une jolie embardée en se prenant les pieds dans son estrade. Elle arrive presque à plat ventre sur son bureau. Grosses rigolades dans la classe. Vexée, au lieu de rigoler comme nous en sortant une plaisanterie appropriée, elle se cabre et nous dit sèchement, d’une voix haut perchée (On était en train d’étudier le Tartuffe de Molière) :

 

  Taisez-vous, et sortez votre Tartiffe.

 

 Wouha ! cette poilade !! Yavait presque que des garçons dans cette classe, et ça partait de tous les côtés :

 

  M’dam, le mien il est trop gros, j’arrive pas à le sortir.

  M’zell, mon tartiffe est plus gros que le sien.

  Moi je prends mon tartif à pleine main.

  Tartif et tartiflette sont sur un plumard…

  J’sais pas me servir tout seul de mon tartif.

  Page 69 ya des choses à découvrir.

 

 La prof savait plus où se fourrer. Finalement on a été sympa, on s’est calmés de nous-mêmes.

 Elle était pas mal roulée mais elle se foutait toujours des fringues pas possibles, sans doute pour faire sérieux. Elle est plus au bahut maintenant mais elle est toujours par ici. L’autre jour j’étais à côté d’elle à la Maison de la presse

 

  Tu regardais une revue porno, l’interrompt Alex.

  Alex, si t’étais pas mon copain je te dirais que t’es con.

 

 Donc elle était là à un mètre de moi, tee-shirt et jean moulants, Wouha ! J’ai pas osé l’inviter à prendre un pot.

 

  T’aurais du, dit Alex. C’est pas rare qu’un jeune prof sorte avec un de ses élèves. Y’en a même qui s’épousent. C’est souvent avec des profs de philo. Ah les grandes idées qu’on étreint à bras le corps ! Vive la dialectique sous la couette !

 Tartif, oui, c’était bidonnant. Mais l’année dernière c’était pas mal non plus. Vous vous souvenez ? C’est quand la prof de français a rendu le bac blanc. Arrive le tour de Koumé, le seul noir de la classe. Il a 07/20, alors qu’il disait à tout le monde qu’il avait réussi et qu’il allait se payer une super-note. Elle lui explique pourquoi il n’a pas la moyenne, et, devant son air dépité elle lui dit pour le consoler :

 « Allez, Koumé, ce n’est pas grave, c’est un accident, tu peux faire beaucoup mieux,  il ne faut pas broyer du noir »

 Dans la classe y’en a un qui sort :

 « Ah elle est bien bonne celle-là M’dame »

 On s’est un peu marré mais gentiment parce qu’on l’aime bien cette prof.

 

  Moi c’est moins marrant ce que je vais raconter, dit Ida. C’est au conseil de classe, où j’étais déléguée. Les profs disent ce qu’ils pensent du travail et des résultats des élèves. Entre parenthèse on voit tout de suite ceux qui aiment leurs élèves et ceux qui pensent qu’à les casser. On arrive au cas de Elodie : « Moyen  Hum  Se foule pas  Elle fait tout ce qu’elle peut  A du mal mais de la bonne volonté… Le dernier à s’exprimer est le prof d’anglais, toujours en quête d’une ironie de trop. Savez-vous ce qu’il sort ?

 « Oui, bof, fait des efforts, mais c’est une petite cylindrée »

 Ben c’est dégueulasse de parler d’une fille comme ça. Parce que c’est très ambigu comme image, ça évoque autant son vagin que son cerveau. Et qu’est-ce qu’il en connaît, d’abord, de sa cylindrée ? C’est monstrueux de faire allusion à des mensurations intimes en conseil de classe. Et personne n’a bronché. Pas un pour relever le dégueulasse du propos. Qu’est-ce qu’il aurait fallu répondre d’ailleurs ?

 

   Tu aurais pu par exemple, explique Marc, dire que c’était la première fois que tu entendais parler des gabarits intimes d’une élève en conseil de classe et que dans ces conditions il fallait aussi révéler les mensurations du prof. Que peut-être sa gentillesse était proportionnelle à la longueur de sa bite.

 

  Franchement, Alex, tu me vois dire ça ? Répliqua Ida.

 

 ─ Il fallait dire, intervint alors Alex, sur un ton théâtral : « Voilà l’avis de Priape, et ce conseil est une priapée ».

 

  C’est qui Priape ? demande Ida.

 

  Tu connais pas Priape ? C’est une marque de préservatifs. C’est aussi dans la mythologie grecque et romaine le dieu de la fertilité et de la fécondité. Les romains lui ont consacré de nombreuses fêtes orgiaques, appelées priapées, des sortes de festivals de bites gigantesques.

 

  J’ai pas l’impression qu’il soit si bien monté que ça le prof d’anglais, s’esclaffe Ida.

 

  Alors il fallait demander des travaux pratiques, dit Marc en rigolant.

 

  Bon, c’est l’heure, faut y’aller…


 041 Souvenir de lycée : le pique nique

 

« Mention très bien ». Alex était reçu au bac avec mention TB. Il sautillait de joie. Il s’attendait à être reçu étant régulièrement bon élève, mais peut-être pas avec cette mention. Cela allait faciliter son admission dans une bonne classe prépa. Et faire plaisir à ses parents qui étaient très cool avec lui. Alex avait la chance d’être né dans une famille aisée et intelligente. Pourvu qu’il ramenât de bons résultats scolaires, les parents lui laissaient pas mal de liberté. Ils l’encourageaient à acquérir son autonomie. Ils lui octroyaient des mensualités et c’était à lui de s’organiser dans ses dépenses : fringues, pots, ciné, club de sport, etc.

Presque tous les élèves de sa classe de terminale S étaient reçus. Un seul était recalé mais il l’avait bien cherché, deux autres avaient toutes les chances de se rattraper à l’oral.

 

La classe avait décidé de faire un pique nique au bord de l’eau pour fêter l’événement avant de se séparer.

Le jour convenu, ils se retrouvèrent une vingtaine sur la pelouse surplombant la grève. Le soleil couchant était encore chaud, l’eau suffisamment douce après ces quinze jours de canicule pour que certains piquent une tête dès leur arrivée.

La soirée fut très marrante, émaillée d’humour, de gags, d’anecdotes rigolotes sur les profs et d’histoires plus ou moins paillardes.

Evidemment il était logique qu’elle se terminât par un bain de minuit.

L’obscurité aidant, il n’était pas difficile de se foutre à poil au milieu d’une grande excitation et de se jeter à l’eau.

Quelques filles un peu coincées y renoncèrent, malgré, ou peut-être à cause de l’insistance des garçons.

Alex avait eu comme d’habitude un début d’érection à l’idée de se mettre nu en public, mais l’eau qui lui avait paru bien froide, avait rapidement remis les choses en place.

Il adorait nager nu. Il aimait les sensations que lui procurait le glissement de l’eau tout le long de son corps. Il en éprouvait un plaisir quasi sensuel. Il avait l’occasion de nager nu quand il était seul, la piscine de ses parents étant à l’abri de tous les regards.

Il enrageait de ne pas encore parvenir à nager le crawl correctement. Impossible d’expirer efficacement sous l’eau. Aussi pratiquait-il la brasse coulée ou le dos crawlé.

Il nageait ainsi lorsqu’il sentit un corps le heurter. Il se redressa dans l’eau et se trouva face à Delphine qui se rapprocha de lui. Leurs jeunes corps se touchèrent, s’écartèrent, se retrouvèrent plusieurs fois, au gré des mouvements pour se maintenir en flottaison… puis finirent par s’enlacer partiellement. La fille prit un peu peur quand elle sentit contre son ventre la dureté du sexe d’Alex. Elle s’éloigna rapidement et ne revint plus. « Une affaire à suivre » pensa Alex, bien qu’il ne fût pas particulièrement attiré par Delphine qu’il trouvait un peu casse couilles.

Pour l’instant sa libido était très excitée. D’habitude il arrivait assez facilement, en détournant ses pensées, à se mettre au repos. Mais cette fois l’érection se prolongeait anormalement. Impossible de sortir comme cela de l’eau, même dans l’obscurité. Car on distingue très bien ces choses là dans l’obscurité et ce qu’il risquait, c’était ni plus ni moins de se faire porter tout nu en triomphe par les autres. Avec toutes les plaisanteries grivoises accompagnant la procession.

Il avait beau s’appliquer à nager sportivement en rythmant sa respiration, rien n’y faisait. Au contraire les caresses des filets d’eau sur sa tige et ses balancements induits par la nage ne faisaient que l’exciter d’avantage. Dans sa tête c’était un tourbillon d’images de beaux et jeunes corps nus s’enlaçant. Garçons et filles, filles et filles, garçons entre eux. Il faisait des efforts pour refouler ces fantasmes, il s’efforçait de penser « à la reine d’Angleterre ». Statu quo.

Il prit alors le parti de se tenir immobile dans l’eau. Pas en faisant la planche évidemment. Il arrivait, en emplissant ses poumons, à flotter debout dans l’eau sans bouger. Au bout de quelques minutes, il sentit comme prévu le froid l’envahir. Radical ! Le froid c’est radical pour lutter contre les érections intempestives. Ça aurait même une fâcheuse tendance à vous rabougrir vos bijoux de famille et à vous faire paraître sous équipé.

Il attendit encore quelques instants par sécurité et, commençant à grelotter, il regagna la rive.


042 Le stage de voile

 

Son moniteur était un jeune mec sympa au regard direct et franc, au sourire et à la plaisanterie faciles. Alex le trouvait particulièrement beau. Une beauté mâle, à la pilosité virile.

Il se trouva par hasard être le voisin de lit de son moniteur dans le dortoir au confort plutôt rustique qu’on lui avait attribué. Le premier soir il fut un peu surpris lorsque celui-ci revint de la douche (douches rustiques également mais individuelles tout de même). Steph était enroulé dans sa serviette de bain. Il la déroula et l’étendit sur les tubes de la tête de lit. Le boxer noir bien moulant lui marquait nettement la raie des fesses. Tout naturellement il enleva ce boxer qu’il posa sur la chaise servant de table de nuit, alla récupérer une trousse de toilette au pied de son lit, et s’enfila tout nu dans les draps. Alex était subjugué par le corps de ce garçon, et par sa décontraction.  En effet , il le trouvait beau de partout : des épaules larges aux deltoïdes volumineux, des pectoraux bien dessinés, une taille étroite et longiligne, un sexe discret dans l’abondante pilosité noire, des fesses et des cuisses de rêve, idéalement poilues. Alex aurait aimé lui ressembler. Il se trouvait un peu frêle par comparaison. Il y avait du travail à faire pour développer sa musculature ! Il se promettait de se mettre au travail dès son retour après ce stage, sans toutefois en faire une préoccupation obsessionnelle.

Chez lui Alex dormait nu depuis les débuts de sa puberté. Il avait très vite largué tout ce qui pouvait entraver les différents mouvements de son corps. Mais ici, dans la promiscuité de ce dortoir, il gardait un shorty.

La vue de ce garçon à poil tout à côté de lui avait évidemment éveillé sa libido. Pour libérer son pénis comprimé il l’empoigna et le dirigea vers le haut, lui permettant ainsi l’extension maximum. Il avait très envie de jouir mais impossible de s’activer là, dans cette chambrée aux multiples regards sous les lumières encore allumées. Aller aux toilettes ? Mais comment sortir du lit avec une érection pareille sans se faire remarquer ? Il attendit (longtemps) que le calme revînt. Terrassé par l’air marin et les activités de la journée, il finit par s’endormir.

Les jours suivants furent passionnants. Il faisait grand beau temps et le vent s’était levé. Les manœuvres sur le dériveur étaient plus délicates. Les trois équipiers devaient bien se coordonner, l’un au foc, l’autre à la grand voile, le troisième à la barre. Toute erreur de l’un d’eux pouvait entraîner le dessalage. Alex avait mal aux mains à force de tirer sur les écoutes (les gants sont recommandés, mais il avait oublié), mais il se sentait heureux, plein de vitalité. Il avait hâte d’apprendre à utiliser le trapèze pour, au rappel, se tendre complètement hors de la coque, au dessus des vagues.

Leur moniteur suivait de très près, dans un canot à moteur, l’évolution des dériveurs, prêt à intervenir en cas de problème. Quand un voilier chavirait, envoyant son équipage à la baille, il y avait une technique pour redresser le dériveur et remonter à bord.

Le dernier soir, malgré l’intense activité de la journée, Alex ne parvenait pas à s’endormir. Peut-être aurait-il du boire un peu plus au pot de fin de stage. Les lampes étaient éteintes depuis longtemps et il régnait dans cette chambrée un noir absolu. Alex se tournait et se retournait dans son lit, cherchant le sommeil, qui d’habitude venait presque instantanément.

 

 Alex, tu dors ?

Non, il n’avait pas rêvé. C’était bien Gérémie qui lui posait la question.

 

 Non, pourquoi ?

  Moi non plus…je peux venir avec toi ?

 

Gérémie avait probablement remarqué l’intérêt tout particulier qu’Alex lui portait. Bien que discrets, les regards furtifs, les fortuits (fortuits ?) contacts physiques d’un bras ou d’une cuisse, ne lui avaient pas échappé.

 

  Viens.

 

Le cœur d’Alex se mit à frôler la tachycardie. Il sentit ce corps souple et chaud se glisser contre le sien et fut aussitôt transporté dans un autre monde. C’était la première fois qu’il avait un garçon dans son lit et il ne se sentait même pas gauche et débutant. A peine craignait-il d’être surpris par les autres dans cette situation sans équivoque. Mais les autres semblaient tous plongés dans un profond sommeil. Et puis le désir était tellement violent qu’il neutralisait tout le reste. Il caressait avec avidité ce beau corps offert. Il était en terrain connu avec un corps de garçon. Il savait ce qui faisait vibrer de désir, tout ce qui propulsait aux confins de l’orgasme, enfin…presque tout. Car Alex n’avait pas encore exploré toutes les parties de son corps, rebuté par un dégoût  fondamental de tout ce qu’il estimait relever de la scatologie et une phobie du malodorant.

De la même manière, Gérémie s’activait sur le corps d’Alex, le faisant frissonner de plaisir.

  Enlève ton slip, lui dit-il dans un souffle.

 

Leurs ébats ne durèrent pas bien longtemps. Sous la trop forte pression de l’excitation, les frottements de leurs jeunes corps l’un contre l’autre provoquèrent très vite, (trop vite, beaucoup trop vite), l’explosion finale.

Gérémie rejoignit son plumard non sans avoir au préalable embrassé Alex affectueusement. Ce dernier mit encore un temps fou à s’endormir, tant il voulait revivre par la pensée les instants magiques qu’il venait de vivre.

Le lendemain était le jour du départ. Les adieux à Gérémie ne purent être que publics. Echanges d’adresses, promesse de se revoir. Seule l’intensité des regards en disait long sur la force de leur attirance réciproque.

A ce jour ils ne se sont jamais revus.


043 Champ d’amour

 

 Par une belle matinée de juillet, vers sept heures, Alex enfourna dans son sac à dos quelques provisions, une grande gourde d’eau fraîche et un K-Way. Aujourd’hui il avait envie d’être seul et il n’appela aucun copain pour aller faire une randonnée en montagne. Il se décida pour le Roc de Tavaneuse, un beau sommet haut-savoyard de 2400 mètres, majestueux et assez facilement accessible.

 

 Après environ une heure de route il se trouve au fond de la vallée où s’arrête le chemin carrossable. Il emprunte à gauche un sentier qui s’engage rapidement dans des fourrés d’arbustes, petits hêtres mêlés à d’autres buissons de formes et de couleurs variées, dont il ignore le nom. Le sentier s’approche d’un petit torrent qui chante un air guilleret dans la fraîcheur du matin. La sente devient caillouteuse et s’élève rapidement en lacets en remontant le torrent. De temps en temps des gazouillis d’oiseaux se mêlent harmonieusement aux notes irrégulières des petites cascades. Alex franchit un éboulis rocheux, puis quelques dalles inclinées, et se trouve dans un vaste cirque fleuri entouré de contreforts boisés, au bord d’un petit plan d’eau fermé par un verrou d’alluvions glaciaires laissant échapper les eaux dans le joyeux petit torrent cascade. Tout autour, en arrière plan, une animation de falaises rocheuses et, en couronnement, le sommet resplendissant dans le soleil.

 

 L’air est immobile et le silence absolu. Alex sent une joie immense l’envahir. Un bonheur de vivre dans une communion avec la nature d’une rare intensité. Il enlève son tee-shirt, ses trekkings et ses chaussettes, son short et son boxer, et, complètement nu, s’avance en direction du levant. Il aime sentir l’air pur et doux glisser sur son corps, l’envelopper d’un effleurement caressant, sentir le chaleureux contact des premiers rayons du soleil.

 Il continue à marcher, les bras levés vers le ciel, dans une attitude incantatoire. Puis il s’immobilise, tourné vers le soleil, toutes les parties de son corps en éveil, tels des récepteurs captant la puissante énergie se dégageant de ces rochers et de ce soleil.

 A ce moment il peut presque palper ces flux qui le rechargent, qui l’emplissent d’une vitalité terrassant toute idée d’entropie. L’excitation de ses sens atteint maintenant un sommet. Bien entendu il est soumis à une puissante pulsion érotique. Son sexe vigoureusement dressé a fait lui aussi le plein d’énergie. Mais ce n’est pas d’une bonne petite branlette dans ce cadre dont il a envie. C’est de quelque chose de beaucoup plus fort. Cet extraordinaire sentiment d’empathie avec la nature, avec les éléments, avec l’univers, mérite autre chose. Il se couche à plat ventre dans l’herbe grasse et parfumée, écarte les jambes et les bras pour avoir un contact maximum avec la terre nourricière. Il reste ainsi immobile, totalement immobile car tout mouvement romprait immédiatement ce lien à la fois si puissant et si ténu dont il vient de prendre conscience.

 Alors, dans une jouissance bien au-delà du plaisir habituel, dans une sorte d’extase, il dépose longuement sa semence dans cette terre-mère, jusqu’au plus profond de ses entrailles.

 Une voix inconnue s’éveille en lui, une foi merveilleuse en la naissance d’un homme nouveau, débarrassé de la violence, de la haine, du mensonge, de la jalousie, de l’ambition de dominer : un homme d’amour.


044 La séance d’initiation

 

Superbe journée de début juillet. Alex goûte aux délices d’un farniente bien mérité après son année de terminale, sa brillante réussite au bac, et son admission dans une classe prépa d’un établissement réputé.

Allongé au soleil sur la terrasse au bord de sa piscine, nu comme à son habitude quand il est seul, il se sent merveilleusement bien et loin des difficultés et soucis, petits et grands, de la vie. Il se sent partir, non pas dans le sommeil, mais dans cet univers onirique où éclosent et s’épanouissent les fantasmes les plus délirants.

 L’eau fraîche et bleue dont il voit les reflets brillants, sa nudité dans ce petit coin de nature, le soleil qui lui dore la peau,…l’emmènent en voyage et lui font remonter le temps, très loin, et se retrouver en Grèce, à Athènes, au V° siècle avant J.C.

 Il est un jeune citoyen athénien d’une bonne trentaine d’années qui participe activement à la vie politique en assistant régulièrement à l’Assemblée, c'est-à-dire au gouvernement de sa cité. C’est un citoyen responsable dans cette ville dont la gouvernance relève de la démocratie directe. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, bien qu’il fût un peu trop jeune encore, on lui avait confié l’éducation d’un « païs » de son choix. C’était un grand honneur pour lui et il entendait remplir cette mission avec toute l’attention, la sensibilité et l’intelligence dont il était capable.

 La coutume voulait que les jeunes gens, entre 14 et 18 ans environ, reçoivent d’un aîné adulte une initiation à la citoyenneté et à la sexualité. C’est à sa majorité, à 20 ans, que le garçon accédait au statut de citoyen. De cette citoyenneté les femmes étaient exclues, ainsi que les étrangers, et bien sûr les esclaves. En ce qui concernait l’éducation sexuelle, elle se faisait selon un certain rituel initiatique. L’éthique sexuelle grecque était essentiellement masculine. Les options de partenaires chez les adultes mâles étaient peu importantes. L’homme prenait épouse pour fonder une famille, ce qui était nécessaire à la cité, mais pouvait prendre plaisir indifféremment avec garçons, femmes ou esclaves.

 Il n’était pas question pour Alex de choisir au hasard un « païs ». Remplir le rôle de tuteur en petit fonctionnaire appliqué et consciencieux ne l’intéressait pas du tout. Il voulait absolument qu’entre le garçon et lui il y eût une attirance (pas seulement physique), une confiance, une connivence, une harmonie, une véritable amitié virile. C’est avec un plaisir réciproque que seraient peu à peu étudiées les règles de citoyenneté, les droits et devoirs de l’Athénien. C’est avec un plaisir réciproque, voire un amour réciproque, que se dissolveraient les inhibitions sexuelles et que s’épanouiraient les espaces de volupté.

 Par bonheur Alex rencontra au gymnase un très jeune homme avec qui il sut aussitôt qu’ils pourraient tous les deux nouer des liens très forts. Il avait un peu plus de 16 ans. Physiquement, c’était un garçon aux cheveux noirs bouclés, au visage sympathique et encore juvénile, au corps en pleine croissance avec des flancs sveltes et des cuisses élancées, où les jeunes muscles commençaient à affirmer leur harmonieuse présence. Il était de nature réservée et il y avait dans son franc regard une nuance de crainte et d’incertitude qu’Alex s’était juré de faire disparaître. Ce jeune serait vite conforté par le comportement raisonnablement optimiste, confiant et décidé, sensible et cependant viril de son mentor.

 Alex aimait recevoir le jeune Loukianos dans la belle demeure qu’il venait de se faire construire à une relative proximité de l’Acropole. Le plan de la maison était classique, sauf que depuis la rue on n’entrait pas directement dans la cour intérieure, mais dans un vestibule qui donnait accès à l’andrôn, ou pièce de réception, et au patio. Ce dernier était donc un lieu où l’on pouvait se protéger de toute intrusion non désirée. Cette cour intérieure n’était pas très vaste, mais entourée d’un péristyle couvert qui protégeait du trop ardent soleil. Elle était agrémentée par une abondante végétation de citronniers, de lauriers, d’acanthes et de plantes aromatiques. Mais ce qui la rendait particulièrement attrayante était ce bassin d’eau fraîche alimenté par une source, dans lequel on pouvait se baigner. Des banquettes pour s’allonger étaient disposées le long des murs. C’est là qu’Alex aimait instruire Loukianos et passer de longues heures avec lui.

 L’appartement des femmes était à l’étage, car Alex avait une épouse, qu’il aimait beaucoup, et qui élevait leurs deux jeunes enfants mâles, avec l’aide de quelques esclaves.

 

 Aujourd’hui Loukianos arrive un peu en retard chez Alex, tout essoufflé et transpirant pour avoir couru le long du trajet. En cette fin d’après midi la chaleur est étouffante.

 

 Viens te baigner avec moi Loukianos, j’ai grand besoin aussi de me rafraîchir.

 

Ils enlèvent leur tunique et leur pagne et se trouvent nus l’un devant l’autre pour la première fois. Mais la nudité chez les Grecs est tout à fait naturelle, se pratique couramment et donc ne provoque pas d’émoi particulier. Dans le bassin les deux baigneurs commencent à jouer en s’éclaboussant, puis ils miment le combat de deux monstres marins et cette lutte finit par enlacer amicalement les corps. Ce contact charnel produit les effets escomptés, de part et d’autre semble-t-il. Alex est heureux de constater que Loukianos a une érection déjà bien affirmée. Lui-même évidemment répond avec enthousiasme à cette manifestation de désir. Une légère expression de gêne et de crainte apparaît dans le regard du garçon. Alex s’en aperçoit et pour le conforter le garde dans ses bras, maintenu tout contre lui, et lui caresse doucement le haut du dos et les épaules. Puis il l’entraîne sur une banquette et l’allonge à côté de lui.

A ce moment Alex devient l’erastés (l’amant), et Loukianos l’erόmenos (l’aimé), et peut débuter le rituel d’initiation. On imagine bien qu’il commence par des câlins, des caresses et des bisous sur tout le corps du païs. Celui-ci bien sûr va manifester son plaisir et devra garder un rôle soumis tout au long de son éveil au domaine d’Eros. Cette investigation de tous les territoires du corps, cette révélation de toutes les zones érogènes, qui peuvent être assez différentes selon les individus, cette découverte de la volupté, se font dans le plus grand respect du partenaire, sans la moindre arrière-pensée perverse. Alex ne veut ni heurter ni brusquer celui pour lequel il éprouve une grande affection.

La première séance se termine ainsi. La prochaine fois il se contentera, après les préliminaires, de flatter avec les mains le jeune sexe dressé, jusqu’à ce qu’apparaissent les frémissements et râles de plaisir, jusqu’à l’explosion de jouissance et l’éjection du fluide. Alex sera un peu frustré, mais aux retrouvailles suivantes il invitera son élève à pratiquer la réciprocité.

Le moment le plus délicieux, pour Alex, à chacune des visites de Loukianos, c’est quand il le voit venir vers lui seulement vêtu de sa grâce et d’un sourire.

 

 Loukianos, j’aime te voir comme ça, nu devant moi, souriant et confiant. Tu es beau. Tu me laisses regarder ton corps sans aucune gêne, tu me laisses l’ausculter, le visiter avec plaisir. Tu dis que tu m’es reconnaissant de te conduire vers les sommets de la volupté, et moi je veux te dire que tu me rends heureux. 

 

C’est petit à petit qu’Alex lui fait découvrir la sensualité des lèvres, la puissante stimulation érotique de la langue, la merveilleuse succion de la bouche. La possession, Alex ne la pratiquera pas : il n’est pas question de déflorer ce garçon qui, après son initiation, devra avoir l’entière liberté de choix de ses partenaires et l’entière liberté d’offrir ce qu’il veut de son corps.

Bientôt il ne reste plus à Alex qu’à faire connaître à son jeune protégé l’amour avec une femme. Pour Alex il n’est pas difficile de trouver une belle fille sensuelle et douce, ayant assez d’expérience pour savoir stimuler avec tact le jeune homme et lui enseigner les spécificités de la femme.

 

 Loukianos, j’ai une surprise pour toi aujourd’hui : je te présente Faïna, qui va te gâter un peu, tout le temps que tu voudras.

 

Loukianos prît vite goût à Faïna, se révéla très entreprenant et habile à déclencher les sortilèges de l’amour charnel. Il ne délaissait pas pour autant Alex qui l’accueillait toujours chaleureusement. Mais le rôle d’Alex se terminait, le garçon allait s’émanciper et assumer seul ses envies et ses choix.

La rêverie touchait à sa fin. Alex sentit monter en lui l’immense nostalgie d’une amitié amoureuse en train de se perdre, un profond sentiment de mélancolie, un incommensurable besoin d’amour.


045 Le rosbif

 

1  Souvenir de vacances

 

Il s’était organisé une rando en solo, comme il aimait le faire de temps en temps, moment privilégié pour une introspection qu’il jugeait indispensable.

Il avait soigneusement étudié, sur une carte IGN, un itinéraire dans les landes, où il se trouvait alors, alternant les chemins forestiers et les rencontres avec l’océan. Ces retrouvailles avec une nature encore préservée des outrages de la civilisation, avec les ombres odorantes et mystérieuses de la forêt de pins, avec la puissance indomptée des rouleaux déferlants et des courants océaniques, étaient nécessaires à son équilibre général.

Au débouché de la forêt, immense et ténébreuse, qui avait su garder encore la fraîcheur de l’aube, il traversa les dunes écrasées de soleil, et arriva sur une plage qu’il espérait déserte.

Il perçut le spectacle qui s’offrait à lui comme une insulte à la beauté puissante, grandiose, majestueuse de la nature.

C’était un étalage concentrationnaire de tas de chairs rougeoyantes. Des outres pleines de flatulences. Les enflures de ces outres se terminaient par de multiples plis qu’on devinait chauds et humides, baignés de transpiration, lieux privilégiés d’infections mycosiques. Ces foyers de prolifération des champignons et des bactéries lui inspiraient un profond dégoût. Il croyait percevoir les remugles nauséabonds se dégageant de ces foyers de macération. Ces odeurs, associées aux effluves d’ambre solaire, la brise marine les mélangeait sans vergogne aux fragrances fondatrices et vivifiantes montées des abysses océanes.

L’exposition outrageante des organes dits sexuels, mais qui lui apparaissaient davantage être des organes excréteurs, lui donnait la nausée. Non, ce n’était pas possible que toutes ces vieilles peaux adipeuses, tavelées de plaques incertaines, se soient rassemblées ici dans ce camp naturiste ! Cette mer de viande lui fit aussitôt penser à une vomissure que l’océan avait déposée sur la plage lors de la dernière marée.

Sans doute y avait-il, ici et là, quelques spécimens dignes des couvertures de magazines, mais il étaient noyés dans cette masse adipeuse malmenée par les ans.

 

Il tourna brusquement le dos à la laideur, traversé de pensées négatives.

Il fuyait toujours ce qui révulsait son regard, son odorat, son goût. Il fréquentait ce qui était beau, ce qui sentait bon, ce qui titillait ses papilles. Mais ne confondait-il pas le joli et le beau ? Comment se faisait-il que dans toute amitié il lui fallait, sinon une admiration, du moins une satisfaction esthétique ? Pareil dans l’acte d’amour. Pourquoi à contentement esthétique plaisir sensuel ? Ce n’était pas normal de voir seulement la beauté des yeux quand c’est la beauté du regard qu’il aurait fallu remarquer, parce que c’est le révélateur de l’âme. Il attachait trop d’importance à l’enveloppe, à l‘apparence.

Ces intransigeances se retourneraient un jour contre lui-même. Acceptera-t-il que son propre corps soit soumis à des boursouflures, à la disgrâce des bourrelets, des plis, des craquelures et autres flétrissures, aux injures du temps ?

 

Son odorat et son goût n’étaient-ils pas des obstacles ? Déjà ne s’abstenait-il pas de prodiguer certaines caresses qui lui paraissaient relever de la scatologie ? Ne se sentait-il pas hostile à des pratiques sexuelles concernant directement ce domaine ?

 

Mais il chassa ces interrogations :

 

« De ces pensées je fais fi

 J’ai maintenant 18 ans

 Et c’est à pleines dents

 Que je croque la vie. »

 

2 L’exposition de photos

 

C’était assez régulièrement qu’Alex recevait un carton d’invitation pour un vernissage dans cette galerie où il avait un jour longuement parlé d’art contemporain avec la galeriste. Depuis, elle l’invitait à chaque nouvelle exposition, et quand il le pouvait, Alex s’y rendait, avide de découvrir de nouvelles formes d’expressions artistiques, qui la plupart du temps le déconcertaient complètement. Ce samedi, en fin d’après midi, il avait donc décidé d’honorer cette invitation et il avait convaincu son copain Marc de l’accompagner.

Les cimaises étaient occupées par de petites photographies et des vidéos de Greg Valdito, un jeune artiste qui faisait sa première exposition personnelle.

La technique photographique était classique, apparemment sans intervention de Photoshop ou d’un quelconque logiciel de bidouillage numérique, qui d’ailleurs donne parfois des images originales et magnifiques.

C’est le sujet qui était inhabituel. Greg ne photographiait que des fragments de corps ligotés. Ces fragments étaient si petits, et agrandis à un format 20/30, qu’on avait peine à identifier la partie du corps concernée. En fait c’était un peu un inventaire du corps, et en questionnant l’artiste, on s’apercevait que, par le grain de la peau, sa pilosité, son élasticité, sa pigmentation, on parvenait à reconnaître, ici un détail de crâne rasé, là de joue, ou de sein de femme, ou de nombril, etc.

Les séances de ficelage faisaient partie de l’œuvre. Des vidéos passaient des enregistrements des séances de ligotage sur de petits écrans de la dimension des photographies. La technique s’avérait être parfois chirurgicale. Car s’il paraît facile de ficeler comme un saucisson un bras, un ventre, une cuisse, un doigt ou un pénis, il est beaucoup plus difficile et délicat de le faire sur une paupière close ou une lèvre, sans endommager le modèle.

Chaque sujet était décliné en une suite de cinq éléments : d’abord la vidéo, puis la photo de la peau emprisonnée. Venaient ensuite trois clichés qui montraient le retour progressif de la peau à son état d’origine quand on la libérait de ses liens.

 

  Comment trouves-tu ? demanda Marc.

  Je trouve ça super érotique, répondit Alex.

  Toi tu trouves toujours tout érotique.

  C’est pas ça, mais cette chair dont on sent qu’elle durcit sous la pression des liens, et quelle gonfle parce que la circulation sanguine est perturbée, elle me fait penser aux seins d’une nana, à ses lèvres, ou à la bite et aux couilles et aux muscles qui se tendent pour l’amour.

  Moi, l’idée d’être ligoté m’est insupportable. Toi aussi d’ailleurs, qui ne supportes pas les entraves. Tu ne vas pas me dire qu’une bonne séance de bondage te ferait jouir !

  Non, je ne te parle pas de ça. Ces photos s’inscrivent dans mon imaginaire. Et en plus je les trouve esthétiques. Regarde, les fils deviennent des graphismes qui traversent l’image. L’opposition entre cette matière synthétique et fibreuse des liens, et le velouté de la peau parsemée de petits accidents de terrain, c’est super bien rendu.

  En tout cas il passe un temps fou là-dessus, et pour dire quoi ? Tu comprends le message ?

  Mais, Marc, on en a déjà discuté, l’art ne véhicule pas forcément un message. Il peut être beau, il peut être émouvant, il peut n’être ni l’un ni l’autre et te parler quand même. Mais ce n’est pas un langage littéraire, ou scientifique. C’est un autre langage, qui est en toi, mais qui n’est pas codifié.

  Et si je ne ressens rien, c’est l’artiste qui est nul ou c’est moi ?

  Il est possible que l’artiste soit nul. Il est possible aussi que tu n’aies pas l’accès à son univers, ou qu’il n’y ait aucune résonance avec ton être profond.

  Mon être profond ! J’aimerais bien le connaître, celui-là.

  Moi aussi.

  Je sens que tu vas déconner. Allons au buffet.

 

3 Mon meilleur morceau

 

Est-ce le souvenir du camp naturiste dans les landes, ou celui de l’expo de photos de Greg ? Un mix de ces deux souvenirs sans doute. Toujours est-il que la nuit dernière Alex vécut un cauchemar assez inhabituel.

Il était encore un être humain, mais sans tête et sans aucuns membres, sans sexe évidemment, et même sans os et sans peau. Réduit à un morceau de viande bien rouge et bien sanguinolente, de forme à peu près cylindrique, localement emmaillotée dans des lanières de cuir blanc maintenues par une résille aux larges mailles.

Il n’avait mal nulle part et se sentait bien en dehors de sa peau. Il n’enviait pas du tout ceux qui n’avaient que la peau sur les os. Lui se sentait bien en chair, appétissant à souhait. Il disposait de toutes ses facultés mentales et de ses cinq sens, comme s’il avait été doté d’une constitution traditionnelle. C’est ainsi qu’il entendait toutes les conversations autour de sa personne, chez le boucher.

 

  C’est un tendre, celui-là, Madame. Je vous le recommande. Vous ne serez pas déçue. Mais consommez-le tout de suite, parce qu’il se gâte si on le laisse de côté.

 

  Oui Monsieur, c’est du premier choix. Il va vous fondre sous la langue.

 

 ─ Oui, il vaut mieux lui passer un peu d’huile partout avant de l’enfourner.

 

  Oui Monsieur. IL est ferme juste ce qu’il faut à l’extérieur. Tout le tendre est à l’intérieur.

 

  S’il a du goût ? Tenez Monsieur, sentez-le…  

Qu’est-ce que vous en dites ? Rien que l’odeur, ça vous fait saliver.

 

  Je vous garantis que, lorsque vous l’aurez dans la bouche, vous serez au paradis.

 

  Non non, il n’a pas besoin d’être chauffé longtemps.

 

  Légèrement doré partout, c’est comme ça qu’il est le plus appétissant.

 

  Vous avez un four à gaz ? Alors ne laissez pas votre flamme le lécher trop vigoureusement ? Ça endommage le pourtour.

 

  Le déshabiller complètement ? Si ça vous fait plaisir, Madame. Il sera aussi bon. Y-a que l’aspect qui change.

 

  Non Mademoiselle, je ne peux pas lui couper un morceau, il ne serait plus bon à rien.

 

  Il est à vous, Madame. Vous me direz si vous l’avez trouvé à votre goût. Voulez-vous que je vous l’emballe ? Oui, je crois que c’est plus prudent.

 

Quelques instants plus tard.

 

  Aïe aïe aïe !!! Mais qu’est-ce qu’elle fout cette conne à me donner un coup de couteau ? Et voilà qu’elle m’enfonce son doigt comme si elle me mettait un suppo.

Ça piiiiiiiique ! Et puis ça sent l’ail. J’aime pas l’ail, et ça va me donner mauvaise haleine.

 

Aïe aïe, voilà qu’elle recommence ! Mais elle est complètement tarée ! C’est une furie, une harpie ! Son mec l’a quittée, ça ne m’étonne pas. Elle se venge sur moi, parce que je suis docile, parce que je suis trop bon. Faut pas être trop bon avec les femmes, elles en profitent tout le temps pour vous faire souffrir.

 

Aïe aïe, elle s’acharne. Le sang coule, c’est dramatique. J’ai déjà laissé ma peau, qu’est-ce que je peux laisser de plus ?

 

Ça y est, j’y suis… c’est Sharon Stone… elle se rejoue Basic Instinct… c’est du cinéma. Ouaiaiaiais !!! Où sont les caméras ?

Sharon, Sharon, Shaa ron’, Shaaa Ron’,

 

Ron’Ron’Ron’Ron’Ron’Ron’Ron’…

 

Ah, merde ! Non… C’est pas Sharon… C’est mon réveil ! Mais comme il est enroué ce matin ! Qu’est-ce qu’il lui est bien arrivé ? Je crois qu’il n’est pas tout à fait normal.


046 Le sauvetage

 

Il était venu voir sa grand-mère parisienne, qu’il aimait beaucoup et avec qui s’était établie au fil de son adolescence une connivence, une complicité même, propice à certaines confidences qu’il n’aurait jamais faites à ses parents.

Elle habitait, dans une ruelle du VI° arrondissement, proche des quais, un appartement lambrissé avec de hautes fenêtres et de grandes cheminées, des stucs aux plafonds et des parquets mosaïqués, dans un ancien hôtel particulier.

 

Alex adorait, le soir venu, surtout comme aujourd’hui par une belle journée d’un mois de septembre si doux, se promener longuement le long des quais. Pas du tout dans l’espoir de faire une rencontre d’un soir, de vivre des aventures sexuelles plus ou moins ragoûtantes, plus ou moins dépravées, comme il avait vu dans un film autobiographique de Cyril Collard, « Les nuits fauves », qui avait fait sensation à l’époque et créé des polémiques. Il savait bien que ça existait, mais d’abord ce n’était pas le quartier, et ensuite il ne voulait pas manger de ce pain là. Trop indépendant, et trop timide aussi sans doute, pour s’aventurer dans un « milieu », quel qu’il soit d’ailleurs. Non, il se promenait sur les quais pour s’imprégner et jouir de cette beauté de Paris la nuit, avec ces monuments éclairés et ces façades illuminées à chaque passage de bateau-mouche. Il entendait au dessus la rumeur de la ville et il était plongé dans un univers serein et contemplatif. Paris, la nuit, à cet endroit en tout cas, n’avait pas cet aspect précipité, étouffant, oppressant et pollué du Paris de jour.

 

Il jouissait de cette atmosphère lorsque, à l’approche d’un pont, il entendit soudain des cris et des appels au secours, à moitié engloutis par des bruits d’eau chahutée. Son cœur se mit à battre furieusement. Il se dirigea vers la source des bruits, et vit clairement quelqu’un en train de se noyer. Accident ? Suicide ? Crime ? Il ne se posa pas la question. Il se déshabilla complètement à toute vitesse, ne se demandant même pas s’il devait garder son slip, et plongea au secours du malheureux ou de la malheureuse. Il nageait parfaitement, sauf le crawl on le sait, et en quelques brasses il fut auprès de la victime, qu’il ramena non sans peine vers la berge, à un endroit ou par hasard se trouvaient des marches d’escalier descendant dans le fleuve. Un attroupement s’était formé sur le quai et sur le pont. Des gens venus d’on ne sait où car l’instant d’avant il n’y avait personne. Quelques uns s’occupèrent immédiatement de la noyée, la réconfortant et la réchauffant avec les moyens de fortune. Les secours étaient déjà alertés, ils ne tarderaient pas à arriver.

 

Alex était là, debout, presque paralysé par ce qui venait de lui arriver. Il n’était pas peu fier d’être le héros nu de cette aventure, celui qu’on admire pour sa bravoure, son courage, son efficacité…qu’on admire aussi parce qu’il est beau, abandonné nu et sans pudeur aux regards des badauds, suscitant des envies :

 

Envie de lui ressembler parce qu’on n’a jamais eu l’occasion, ou qu’on a raté l’occasion de sauver la vie de quelqu’un, ou simplement de l’aider dans une situation difficile, par lâcheté peut-être aussi…

 

Envie de lui ressembler physiquement parce qu’il a un corps svelte et musclé, au ventre plat et tendu. Un corps comme on n’a jamais eu même dans sa jeunesse. Un corps entraîné au sport comme on aurait dû faire avec le sien quand il en était encore temps. Courbure parfaite des reins, bulbes opulents des fesses, générosité du sexe enchâssé dans un nid de poils denses et noirs, doux rebonds des abdominaux (non, pas ces affectées « tablettes de chocolat » qui révèlent un culte immodéré et nombriliste du corps), saillies musclées des pectoraux mettant en avant des petits tétons durs  sur la brune et précieuse rosace des aréoles.

 

Envie de réchauffer ce corps mouillé en le frictionnant, en le caressant…

 

Envie d’amour.

 

Envie de partir avec ce garçon courageux et généreux, sympathique et sensuel.

 

Envie de refaire une vie qui se révèle banale, ou médiocre, ou bancale, ou ratée, pour vivre avec lui l’aventure, l’intensité, la passion, l’amour fou.

 

Envie de se laisser soulever, emporter, propulser loin de ces miasmes et mesquineries quotidiennes, de cet emprisonnement matériel, de ces petits plaisirs insignifiants…

 

Et de vivre, vivre, vivre enfin…

Avec lui…

 

Et de mourir …

En lui faisant l’amour.


047 Marc for ever

 

Alex va bientôt rejoindre la classe prépa du grand lycée de Lyon dans laquelle il a été admis, tandis que Marc prendra la direction de Toulouse. Pour la première fois, les deux copains de toujours vont être éloignés l’un de l’autre.

 

Après une partie de tennis, ils se détendent dans la chambre de Marc, qui habite tout près des courts, en sirotant un coke bien frais.

 

  Marc, il faut que je te dise quelque chose.

  C’est grave, docteur ?

  J’te l’ai jamais dit, mais tu m’as fait souffrir un max.

  Déconne pas. C’est pas parce qu’on s’est parfois engueulés pour des conneries que…

  Non, non, c’est pas pour ça.

  C’est pourquoi, alors ?

  Tu te souviens quand je suis sorti avec Vanessa ?

  Ouais, ça remonte à loin, ça. On était mômes. En seconde, non ?

  Oui, ça t’a fait quoi ?

  Ben, rien. J’me souviens plus. J’étais content pour toi. On a continué à se voir aussi souvent.

  Et t’as pas remarqué que j’étais plus tendu que d’habitude ?

  Mais qu’est-ce que tu vas chercher ? Comment tu veux que je me souvienne ? Je t’ai tellement vu souvent tendu, mais au bon endroit, si tu vois ce que je veux dire, c’était presque du priapisme.

  Fais pas l’con, c’est pas de ça dont j’te parle.

  Allez, vide ton sac.

  Marc, j’étais fou amoureux de toi.

  T’es barge, ou quoi ?

  Ne dis pas que t’as jamais rien remarqué ?

Tu te souviens d’Andromaque, de Racine, on a bossé ensemble dessus :

 

« L’amour n’est pas un feu

 Qu’on enferme en une âme

 Tout nous trahit, la voix

 Le silence, les yeux ;

 Et les feux mal couverts

 N’en éclatent que mieux. »

 

  Tu me fais marrer avec tes citations. Ce que j’ai remarqué, c’est que tu bandais tout le temps dans les vestiaires. Et je t’enviais d’avoir autant de feu.

  C’est toi qui me faisais bander.

  Tes regards langoureux ? Mais tu les avais avec tout le monde.

  Peut-être, mais avec toi je ne jouais pas.

  Va te faire foutre.

  C’est ce que j’ai fait. Je suis allé vers d’autres. Pour t’oublier. Mais c’est toi que j’aimais. Tu as été l’amour de ma vie.

  Déconne pas. Tu as la vie devant toi. Et puis tu es incorrigible, tu as toujours envie de ce que tu ne peux pas avoir. Etre amis comme on l’était, ça te suffisait pas ? Faire l’amour, ça aurait tout gâché.

  Pour toi, sans doute, mais pour moi, c’était l’apothéose.

  Tu sais bien que j’ai toujours aimé les filles. J’ai jamais eu envie de coucher avec un mec. Je te dirais, même, que l’idée me répugne.

  Alors, t’as pensé quoi quand t’as compris que je sortais avec un mec ?

  J’ai pensé que t’avais des goûts bizarres. Mais que t’étais d’abord mon copain. Après, le sexe, c’est l’affaire de chacun.

  Tu comprends pas que les deux sont liés ? Le sexe sans l’amour, c’est ce que font les bêtes.

  Mais qu’est-ce que tu t’emmerdes avec ça ? Tu prends ton pied, et puis basta.

  On voit que t’as encore jamais été vraiment amoureux.

  Mais si, p’tit con. Mais ça n’a pas été les périodes les plus heureuses. J’t’en ai parlé d’ailleurs. Au contraire, c’est dans ces moments là que j’ai le plus souffert.

  C’est qu’il y avait pas complète réciprocité, je connais ça. Moi aussi j’ai souffert. Par toi.

  Tu parles au passé. Comment tu t’en es sorti ?

  J’ai essayé la méthode de Baudelaire :

 

« Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides

 Va te purifier dans l’air supérieur,

 Et bois, comme une pure et divine liqueur,

 Le feu clair qui remplit les espaces limpides »

 

  Tu parles de shoot, là ? C’est pas vrai. Tu t’es jamais drogué. Et alors, la poésie, ça t’a aidé ?

  La poésie ment, mais elle le fait si joliment !

J’ai fait comme le phénix. Je me suis laissé dévorer par le feu, et je suis rené de mes cendres.

  T’es vachement littéraire, pour un scientifique !

  J’aime tout ce qui peut m’enrichir. J’aime avec une grande facilité. Mais j’ai appris à maîtriser mes passions.

  Bravo, t’es déjà sur la voix de la sagesse, à dix huit ans… Jusqu’au prochain embrasement, je te connais, et c’est comme ça que j’t’adore.


048 Au théâtre

 

Il n’avait pas souvent le temps de sortir pendant cette première année de classe prépa où il fallait donner le maximum de soi dans les études pour ne pas se laisser distancer par les autres, tous avides de réussite. Il ne rentrait chez ses parents que tous les deux ou trois semaines, pour prendre quelques moments de détente et renouveler son linge. Il passait donc la plupart de ses week-end à travailler, sans d’ailleurs trouver dans cela un sujet de révolte, car il faut bien se donner les moyens de parvenir au but fixé. Il ne portait aucun jugement sur les jean foutres qui rigolaient bien, et qui plus tard pleurnicheraient sur leur sort. D’ailleurs il n’y en avait pas dans sa classe, mais il en connaissait quelques uns parmi ses copains.

 

Il faisait donc une exception ce dimanche après midi en allant voir une pièce de théâtre. Pièce de théâtre un peu particulière, il est vrai, et qui justifiait à ses yeux cette entorse à l’étude. Après avoir provoqué polémiques et scandales à Paris, voilà qu’elle se donnait, pour quelques représentations seulement, dans cette grande ville de province. Elle faisait scandale parce que des acteurs, dont des jeunes gens, y évoluaient complètement nus. A l’époque c’était totalement inhabituel. Alex avait entendu parler d’un spectacle donné à la fin des années 60, au temps des hippies, de Woodstock et du « faites l’amour pas la guerre », où l’espace d’un instant et dans la quasi obscurité, la centaine de figurants ainsi qu’un jeune chanteur inconnu, Julien Clerc, étaient nus sur scène. Il s’agissait de la comédie musicale contestataire, subversive, « Hair ». Depuis plus rien.

Alors l’occasion était trop tentante pour y renoncer. Cette pièce mettait en scène, pour la ixième fois le thème récurrent du Minotaure. Mais la façon d’aborder le mythe était assez révolutionnaire et provocante, s’il fallait croire le « qu’en dira-t-on ». Alex était très excité par la perspective de regarder évoluer, s’exposer des acteurs nus. Pour lui le fantasme de se trouver nu, de gré ou de force, devant des spectateurs vêtus, avait toujours provoqué en lui des émotions vives et contradictoires. Il était écartelé entre ses envies de vivre des circonstances l’amenant à se retrouver nu en public, et la force de ses inhibitions. Il vivait donc des expériences imaginaires, parfois en rêve, mais plus souvent parfaitement conscientes. Et ce vécu virtuel, qui pouvait revêtir de multiples aspects, provoquait immanquablement et instantanément une formidable érection à laquelle il donnait invariablement la suite que l’on sait.

 

Voilà donc Alex installé confortablement à une place d’orchestre (non, pas confortablement. Ces sièges de théâtre sont toujours inconfortables : pas ergonomiques, pas de place pour les jambes, voisins de devant gênant la visibilité, etc.). Il se sent un peu gêné d’être à ce spectacle, mais ici il ne connaît personne et ne risque pas les ragots. Et puis les gens autour de lui sont dans la même situation, ce sont des voyeurs comme lui, avec des fantasmes comme lui. Mais il ne va pas se mettre à imaginer les fantasmes de ses voisins, il a bien assez à faire avec les siens.

 

Alex connaît le mythe grec du Minotaure, fils de Pasiphaé épouse de Minos roi de Crète. Le Minotaure fut enfermé à Cnossos dans le labyrinthe de Dédale. Minos, pour délivrer Athènes d’une épidémie de peste persistante, avait décidé de donner tous les neuf ans en sacrifice au Minotaure, sept jeunes gens et sept jeunes filles, tirés au sort. C’est le jeune éphèbe Thésée, destiné au Minotaure, qui tua le monstre et enleva Ariane, fille de Minos, sa complice pour le délivrer du labyrinthe.

 

Le rideau se lève sur un décor ma-gni-fique : une audacieuse stylisation d’architectures crétoises bousculant tous les poncifs et stéréotypes habituels. De belles couleurs partout, vives parfois, tantôt rehaussées, tantôt atténuées par un jeu de lumières très élaboré. La première scène est relativement classique, configurant la personnalité de Minos et de quelques-uns de ses affidés. Alex est un peu déçu, mais déjà il perçoit une volonté du metteur en scène de restituer les mœurs et les coutumes vestimentaires de la Grèce antique. Ce n’est qu’à la quatrième scène, après un changement de décor pour plonger le spectateur au cœur du labyrinthe, que, provoquant un profond murmure de la salle, apparaît le Minotaure.

Un masque de taureau lui recouvre entièrement la tête, et c’est son seul vêtement. Cependant il n’est pas si nu que ça car son corps est maquillé, peinturluré de telle sorte que n’apparaisse même pas le système pileux. Mais c’est quand même assez excitant. L’acteur est bel homme et son jeu dans cette tenue particulière est parfaitement naturel.

Pour Alex, la plus belle scène fut sans conteste celle où sept garçons, aux superbes yeux soulignés de mascara, aux corps lisses et clairs sur lesquels ressortait la noire toison pubienne, se blottirent craintivement les uns contre les autres, affolés par leur cruel destin. Ils étaient intégralement nus et les faisceaux de projecteurs les nimbaient de couleurs nacrées, irisaient leurs corps juvéniles et ombraient délicatement les volumes de leur musculature naissante. Alex sentit aussitôt une violente compression entre ses cuisses. Presque mal, mais que faire ?

L’autre scène qui mit Alex en grand émoi fut celle du combat entre Thésée et le Minotaure. La lutte de l’homme et de la bête, symboliquement du Bien et du Mal. Mais il y avait un sens sous-jacent plus inattendu : l’enlacement de ces deux corps nus dans une lutte-danse sans merci avait une connotation fortement érotique. La lutte de l’Amour et de la Mort. Eros et Thanatos.

 

Après la représentation Alex se hâta de rentrer dans sa chambre. Assailli par les images du spectacle, le « hard on » ne l’avait pas quitté pendant tout le trajet. Il se mit nu et, s’identifiant au héros, se laissa glisser dans les arcanes de la jouissance.


049 Jean Sébastien Bach

 

 Il écoutait les cantates pour alto solo de Jean Sébastien Bach. Sa préférée était la cantate BWV 35, en particulier la sinfonia et les deux dernières arias, qui le transportaient dans le monde de la spiritualité. Cette voix du contre ténor Andréas Scholl, qui lui rappelait les tessitures des castrats du XVIII°s, le plongeait dans un état second qu’il estimait être de la béatitude. Assez indescriptible ce qu’il ressentait alors. Lui qui n’était pas croyant se trouvait presque en situation de transcendance. Ce pouvoir de la musique ! Et celui de la voix humaine !

 Retombé en ce bas monde, il s’interrogeait sur les textes que cette musique et cette voix portaient à des sommets. Et il était très circonspect : « Gott hat alles wohlgemarcht ! », Dieu a bien fait toute chose, « Ich wünsche nur bei Gott zu leben », mon vœu est de vivre auprès de Dieu. La cantate se termine ainsi, s’adressant à Dieu : fais que ma vie de supplice s’achève bientôt entre tes mains.

 Comment pouvait-on avoir, au début du XVIII°s, une foi telle qu’elle amenait à répudier la vie sur terre et à souhaiter la mort pour accéder à la félicité dans le royaume céleste ?

 Il se disait qu’au moins cette croyance donnait un sens à la vie. Par quoi a-t-elle été remplacée ? Par le désir d’une vie plus facile, plus jouissive aussi, beaucoup mieux protégée, par une aspiration démesurée aux biens matériels, un consumérisme effréné. Mais quel sens donner à cette vie là ?

 Alex se laissait de temps en temps entraîner dans des interrogations métaphysiques. En fait il était agnostique, c'est-à-dire qu’il laissait les portes ouvertes à un absolu, mais qu’il savait inaccessible à l’esprit humain.

 

 Comment des considérations aussi sérieuses ont-elles pu déraper vers de folles déviances sexuelles ? Une montée brutale de testostérone ? Une vision érotique subliminale ? Mystère ! Toujours est-il que les images qui lui apparurent le plongèrent dans un monde effrayant d’idoles archaïques et de rites sexuels symboliques et cabalistiques.

 La première idole qui s’imposa devant lui ne le terrorisa pas trop au début. C’était une forme anthropomorphe qui évoquait un homme dans la position assise, les mains reposant sur les cuisses. Sa tête ronde et aplatie reposait sur un énorme cou. Des tatouages partout, soulignant en particulier les attributs sexuels. Aucune agressivité apparente.

 Alex se tenait pétrifié devant cette apparition.

 D’abord imperceptiblement, puis de plus en plus distinctement, il vit le sexe de l’idole se pointer vers lui comme une arme et commencer à s’allonger jusqu’à atteindre une dimension complètement anormale. Il continua ainsi son élongation vers Alex et l’atteignit au milieu des cuisses. Terrorisé, Alex fit un mouvement de recul, mais il heurta une paroi qui lui barrait toute retraite. Le membre de l’idole, qui demeurait totalement immobile, n’en finissait pas de s’allonger. Il était d’une agilité et d’une dextérité hallucinantes. En rien de temps Alex se trouva déshabillé, livré complètement nu et le poil hérissé par la peur à ce monstre doté de pouvoirs surnaturels.

 C’est alors qu’apparut en arrière plan une farandole d’idoles féminines couvertes de signes symboliques. Alex pensa aussitôt à une horde de furies venues le harceler sexuellement jusqu’à l’épuisement total. Après avoir joué avec son corps, joui de son corps, elles le transformeraient en ectoplasmes médiumniques.

 Mais elles semblaient rester à distance respectable du monstre phallique qui, bien qu’il ne bougeât que son antenne pénienne, s’imposait manifestement comme le gourou.

 Alex sentit le tentacule viril explorer son corps, s’engager sous les aisselles, frôler les tétons, glisser sur ses abdominaux, s’attarder dans les poils de sa touffe pubienne avant de se frotter à sa verge, totalement insensible à ce genre de contact. Elle se faufila entre les cuisses, força les fesses à s’écarter pour flatter sa rosette, avant de s’introduire dans son corps et d’y répandre un liquide aphrodisiaque qui transporta sur le champ Alex au septième ciel.

 Il sentit l’anguille se retirer et il la vit se rétracter avec vivacité comme un œil d’escargot. La statuette repris son aspect primitif et Alex se demanda s’il n’avait pas été le jouet d’une hallucination.

 Mais les taches blanchâtres un peu gluantes, devant lui, sur le sol de marbre noir étaient bien réelles et témoignaient clairement de sa jouissance.

  Alors Alex, persuadé jusqu’alors d’avoir un esprit cartésien, commença à s’interroger sur son aptitude à appréhender la réalité et même sur sa solidité mentale.

 

2° partie

 

 Alex croyait en avoir fini avec cette séance cabalistique. Mais il n’en fut rien. Ce n’était que la première partie du rituel et il allait bientôt être soumis à des épreuves bien plus extravagantes. L’idole en face de lui avait repris son aspect initial, avec un petit zizi apparemment bien inoffensif. Lequel se mit à se rabougrir jusqu’à disparaître complètement et laisser la place à de grandes lèvres caractéristiques d’un sexe de femme.

 A ce moment Alex se rendit compte que l’idole était en train de muter. La tête rougeoyante avait encore des traits masculins mais s’était affublée d’une haute coiffe qui prolongeait l’arête du nez. Les bras s’amenuisaient, les seins s’arrondissaient et les hanches, le ventre et le haut des cuisses enflaient comme des baudruches.

 Entièrement rouge, couverte de signes ésotériques blancs, cette idole n’avait rien d’attirant. Cependant, avec ses petites mains posées sur la naissance du ventre, elle n’avait rien non plus de menaçant.

 Tout d’un coup, Alex se sentit dominé par une force mystérieuse sur laquelle sa volonté n’avait aucune prise, et, malgré lui, il s’avança à la rencontre de cet être magique. Il était prisonnier d’un puissant champ magnétique qui semblait prendre sa source dans l’idole et l’aspirait irrésistiblement vers elle. Il finit par se trouver plaqué contre ce pseudo corps dur et froid. Pendant un certain temps, qui parut infiniment long à Alex, il ne se passa rien d’autre. Puis les furies réapparurent en arrière plan et recommencèrent leur sarabande silencieuse. Il sembla à Alex qu’elles étaient plus nombreuses que la première fois. Et qu’elles étaient aussi plus déchaînées.

 Mais il voyait bien que c’était l’idole contre laquelle il était plaqué qui régissait toute la cérémonie. Elle avait la même taille que lui, c'est-à-dire qu’il avait la bouche au niveau de la sienne, le ventre contre le sien, et le sexe contre ces grosses lèvres qu’il avait aperçues tout à l’heure. Inutile de dire que ce contact n’éveillait en lui aucun désir et que sa verge faisait complètement profil bas. C’est pourtant à ce niveau que l’aspiration se fit plus précise. Il sentit alors son membre viril happé par le sexe de la femelle. Le corps de l’idole restait toujours aussi immobile mais le sexe devenait de plus en plus actif et les contractions du vagin de plus en plus stimulantes. Alex sentit sa biroute grossir et s’allonger malgré son veto. S’allonger, s’allonger toujours, sous l’emprise de cette puissante aspiration. Vampirisation se disait-il. Cette succube me vampirise, non pas en suçant mon sang pour se régénérer mais en aspirant mon sperme avant même que mes génitrices aient eu le temps de le produire.

 Sa verge n’en finissait pas de s’étirer en longueur, victime de l’emprise de cette succion magique. Il eut nettement l’impression qu’elle traversait le corps extérieurement glacé de l’idole mais chaud comme une fournaise à l’intérieur. Non seulement il la traversait mais il pointait à l’extérieur de l’autre côté à tel point qu’Alex sentit un violent courant d’air frais lui balayer l’extrémité. Alors la furie qui était en tête de la farandole vint s’empaler sur cette mâle excroissance et la soumit à de fanatiques va et vient jusqu’à satisfaction de ses appétits. Puis elle céda la place à la suivante, qui mit autant d’ardeur à assouvir ses besoins de nourriture génitale. Et ainsi de suite jusqu’à la dernière furie en queue de cortège.

 Alex se sentait vidé de tous les fluides de son corps. Il savait que cette horde de femelles avait pompé jusqu’à la moelle de ses os.

 

 Tout commença à s’assombrir autour de lui. Le marbre noir envahit tout l’espace, faisant disparaître les visions diaboliques. L’obscurité et le silence étaient absolus, le temps lui-même semblait ne plus exister.

 Alors, presque inaudibles, quelques notes de musique s’inscrivirent dans l’espace de ce tombeau fantastique. Elles devinrent de plus en plus perceptibles et bientôt un filet de voix claire et haut perchée s’insinua dans la mélodie. L’un et l’autre jouèrent ensemble dans l’harmonie la plus totale. C’est là qu’Alex reconnut la voix d’Andréas Scholl et les phrasés musicaux de la dernière aria de la cantate de Jean   Sébastien Bach.  Il était délivré de son hallucination, il était sauvé. 


 

050 Les trois jours

 

Cette fois c’était bien vrai : la feuille de convocation tant redoutée était bien là sur son bureau. La date, certes, était encore un peu éloignée, mais il ne faisait maintenant plus aucun doute qu’il aurait à se présenter à ces fameux « trois jours ». Il essayait bien d’oublier la perspective de cette épreuve (car il apparentait tout ce qui avait trait à l’armée à une épreuve), mais des pensées et des images concernant cet épisode obligatoire le hantaient fréquemment. Les lectures qu’il avait pu faire et les différents récits qu’il avait entendus sur le sujet n’étaient pas de nature à le rassurer.

 

Par exemple il avait lu, dans le livre de l’américain Robert F. Gallapher, racontant des épisodes de la deuxième guerre mondiale, un passage relatif aux visites médicales qu’il trouvait édifiant sur la considération de l’armée pour ses futurs soldats ou ses soldats ! Ce temps-là était-il révolu ?

 

La scène se passe à Chicago.

« Le premier ordre de la journée fut pour tout le monde de quitter son caleçon. Nous étions tous dans une grande pièce au deuxième étage d’un building. Il y avait de longues files d’attente ondulantes pour chaque test. Après avoir passé le test, nous allions dans la file du test suivant. La température dans la pièce était de 32° et les odeurs corporelles à certains endroits étaient irrespirables. Il n’y avait pas de climatisation, les fenêtres grandes ouvertes ne laissaient passer que de la chaleur et du bruit. Le building donnait sur la rue Van Buren, l’une des plus animées du quartier de Loop, et le train aérien passait juste devant les fenêtres. Ce « L » faisait un bruit d’enfer, et les passagers pouvaient voir plus de nudités que dans un très fréquenté camp de nudistes.

On nous prit nos empreintes digitales, on préleva notre sang et notre urine. Puis nous fument examinés à fond. On nous demanda de nous mettre dans les plus embarrassantes positions pour être dans la lumière des projecteurs. Nous avions dû abandonner nos caleçons et tout ça se passait complètement nus devant des centaines d’autres. Le procédé était très intimidant. »

 

Un jour son père lui avait raconté comment se passait, au temps de sa jeunesse, le « Conseil de révision » qui décidait de l’affectation des jeunes gens dans les corps d’armée pour effectuer leur service militaire obligatoire.

Dans leur dix huitième année, les garçons étaient un jour convoqués sur le lieu de recrutement. Pour lui ce fut la mairie de son patelin, envahie ce jour là par des gradés de l’armée et un peu de gendarmerie.

Il fallait, dans une salle du premier étage aménagée pour la circonstance, commencer par se déshabiller complètement. Puis, entièrement nu, enfiler des couloirs…Descendre un large escalier de pierre (imaginez le spectacle !)…Entrer dans la grande salle du Conseil…Défiler à poil devant un aréopage de maires et de personnalités du canton (dont certains n’étaient certainement pas insensibles aux charmes de ces jeunes hommes qui leur rappelaient le bon temps des frasques de leur jeunesse)…Se présenter devant le jury de militaires assis derrière une grande table…décliner ses nom, prénom, date de naissance…Rester ainsi les bras ballants et la quéquette à l’air…

C’était le sympathique premier contact avec l’armée !

Qu’inscrivaient-ils sur les grands registres disposés devant eux ? Beau petit spécimen,… grand échalas dégingandé,… petit gros à mettre au régime,… aucune allure à poil,… bien balancé, des pecs et du cul,… ?

Il ne s’agissait pas de faire le mariolle : c’était là qu’était accordé le sursis d’incorporation pour permettre aux étudiants de faire leurs études.

 

2° partie

 

 Et puis il y avait les récits des copains un peu plus âgés qui étaient passés par là et qui ne se privaient pas d’intimider les cadets en leur racontant des épisodes plus scandaleux les uns que les autres.

Néanmoins il se faisait une idée assez claire de la façon dont se déroulait la séquence. Il savait bien qu’après les cases à cocher sur des feuilles entières ou sur des grilles, appelées tests d’aptitude (à quoi donc ?) ou tests psycho-machin, il y aurait la fameuse visite médicale. Il savait que celle-ci commençait par une douche obligatoire et que c’était une mesure d’hygiène indispensable étant donnée l’odeur qui envahissait la salle où se déroulaient les tests dont on vient de parler. Le problème pouvait venir du fait qu’évidemment c’étaient des douches collectives. Alex, qui avait dû abandonner les salles de gym pour cause de travail acharné dans sa classe prépa, en avait un peu perdu l’habitude. Mais il se disait que c’est moins gênant d’être à poil tous ensemble, et qui plus est dans un endroit où chacun est occupé à se laver, que tout seul quand entrent quelques abonnés dans le vestiaire.

 Ce qui l’agaçait était d’avoir à se foutre à poil sur ordre, sur aboiement même, car c’est paraît-il la manière de parler des sous officiers. C’était aussi de se faire mater, lui et les autres, par des mecs en uniforme, satisfaits de pouvoir montrer leur pouvoir sur ces jeunes un peu décontenancés.

Après cela ce serait l’examen médical. Et là Alex flipperait certainement un peu. Pas pour les mensurations, les analyses d’urine, etc., où chacun attend son tour en slip. Mais pour le passage devant le capitaine docteur. Là il paraît qu’on est introduit par dix dans la salle d’examen, toujours en slip, et rangé face au docteur souvent assisté d’un ou deux bidasses. A l’appel de son nom il faut enlever son slip et se présenter complètement nu devant ces examinateurs. Debout de face, puis de profil, puis de dos, pour qu’ils aient un aperçu général de la constitution physique. A poil sous toutes les faces devant ces mecs habillés, qui vous jaugent, qui vous jugent,…Révoltant ! Et à poil devant tous les autres qui, bien qu’intimidés par ce genre de casting, ne se privent pas d’évaluer, de noter, de comparer, peut-être d’admirer ou au contraire de classer irrecevable.

Et ce n’est pas fini : la suite est encore plus humiliante. Il faut, dit-on répondre à des questions très personnelles devant tout le monde, des questions intimes du genre :

 A quel âge avez-vous eu votre premier rapport sexuel ?

 Avez-vous l’habitude de vous masturber ?

─ Avez-vous une attirance pour les garçons ? (Si vous avez le courage de répondre oui devant tout le monde vous avez de grandes chances d’être réformé).

 Avez-vous des difficultés à décalotter ? Nous allons voir ça. Approchez-vous, écartez un peu les jambes,…Apparemment tout va bien de ce côté, tournez-vous à présent et penchez-vous en avant…

 « Lui, il est toubib, passe encore, mais ces deux bidasses qui n’en perdent pas une miette, ils sont là pour quoi ces deux là ? Ils font leur choix ou quoi ? C’est du voyeurisme dégueulasse, et institutionnel qui plus est ! » Pensait Alex.

 « Pourquoi pas des assistantes pendant qu’ils y sont ? Il y en a des femmes dans l’armée. Ce serait encore plus vache pour le pauvre petit mec d’être contraint de se déshabiller complètement et de se présenter à poil à ces jeunes nanas apparemment impassibles mais dissimulant leur plaisir sadique et leur culotte mouillée. »

 « C’est pas vrai qu’un garçon de 18 ans, même content de son physique, soit cool quand on le force à se mettre à poil devant tout le monde. C’est pas vrai qu’il se mette à bander sous la seule action des regards posés sur lui, avant même que des mains médicales palpent les différentes parties de son corps, y compris et surtout les plus intimes. On m’a raconté ça avec fierté et cabotinage, ajoutant une flopée de détails croustillants, j’ai lu ça dans des comptes-rendus vantards et complètement bidon. Un garçon de 18 ans est encore plein de pudeur et d’inhibitions. Un garçon de 18 ans déshabillé de force, s’il n’est pas maladivement exhib, est honteux et humilié, et son petit chéri ne cherche au contraire qu’à se dissimuler dans les poils, à minimiser sa présence au point d’en être ridicule. »

 Paradoxe de la situation : Alex s’aperçoit que ces pensées et ces images ont déclenché une superbe érection et une formidable excitation exigeant sur le champ une action libératrice.

 

 Le jour fatidique arriva. Tendu et stressé, Alex se retrouva mêlé à une foule de jeunes de son âge. Tous affectaient évidemment insouciance et décontraction. Mais les odeurs de transpiration qui arrivaient par effluves en disaient long sur la présence d’une anxiété presque généralisée.

 Rien ne se passa comme Alex l’avait imaginé, sauf peut-être les douches. D’abord les trois jours ne durèrent qu’un jour et demi. Ensuite les militaires, d’habitude si peu enclins au respect, se montrèrent capables de se conformer aux formes ordinaires de la civilité. L’armée faillirait-elle à sa réputation ?

051  L’exécution

 

Il entend un bruit de trousseau de clés. Puis le déclic caractéristique de la serrure de la première grille. Il est habitué à ces cliquetis depuis qu’il est enfermé dans cette cave cellule sinistre et couverte de salpêtre, ils se produisent plusieurs fois par jour, à heures régulières, et à chaque fois le font tressaillir et le plongent dans une angoisse profonde. Mais aujourd’hui l’heure est inhabituelle : horreur ! Ça y est ! Le Jour est arrivé ! Celui où il doit mourir ! Comment va-t-on le faire mourir ?

 

Il avait été condamné lors d’un procès inique, s’appuyant sur de faux témoignages et des pièces à conviction fabriquées. Les dés étaient tous pipés. Ses défenseurs s’étaient heurtés à la Raison d’Etat.

Son crime ? Avoir aimé !

Certes son amour avait des conséquences sur la réputation de la famille aux commandes du pays. Il bousculait l’intransigeance congénitale, l’intolérance viscérale, les dogmes, les convictions et autres certitudes, le sexuellement correct. On l’accusait d’avoir utilisé le magnétisme ou autre moyen maléfique pour séduire le jeune pince et le détourner du droit chemin qui avait jusqu’alors été le sien, pour l’entraîner contre son gré dans le stupre et la fornication.

La partie la plus acharnée contre lui dans ce procès, celle qui aurait du au contraire lui venir en aide si elle était restée fidèle aux textes fondateurs, fut la délégation de l’Eglise. Pensez donc ! Aimer un autre garçon ! Comment peut-on imaginer une chose pareille ? C’est au-delà de l’entendement et c’est incontestablement une manifestation de Satan. Il faut éradiquer ce dévoiement de la nature humaine, cette insulte faite à Dieu lui-même dans sa généreuse création.

Il fallait un exemple retentissant et il en faisait les frais.

 

Les tintements du trousseau de clés se rapprochent…Il perçoit comme un hurlement le léger grincement de la serrure de la deuxième grille, celle qui donne accès à la porte de sa cellule.

« Ils ne vont pas se contenter de m’ôter la vie, ils vont commencer par m’humilier.

Je les vois entrer dans ma geôle avec leurs faces rubicondes et leurs yeux injectés. Ils se précipitent sur moi et me déchirent mes vêtements : les boutons de la chemises sautent comme des puces, les coutures du pantalon craquent de haut en bas sous les tractions latérales, la ceinture élastique du slip résiste un instant et se fait trancher par une lame de couteau, le dernier rempart à ma nudité complète voltige avant de retomber sur le sol humide.

Que leur ai-je fait, à ces trois là, pour qu’ils prennent ainsi tant de plaisir à me foutre brutalement et méchamment à poil ?

Ils m’attachent les poignets à une longe et me tirent rageusement hors de la cellule. L’un d’eux, devant, me tire au bout de la longe, les deux autres sont derrière moi, armés de piques. On franchit ainsi une succession de couloirs voûtés et de grilles. L’air devient plus sec et plus vif…La lumière du jour apparaît…On va sortir de cet antre de sinistre réputation. »

 

Une immense clameur s’élève.

 

« Les salauds ! Ils ont convoqué le peuple ! Quel acharnement à m’humilier ! » La foule pousse des hurlements, est prise de transe en voyant apparaître ce jeune condamné, beau garçon au demeurant, bien balancé et bien monté, entièrement nu, presque à portée de main, livré à sa merci. Les processions et les supplices sont les divertissements préférés du peuple. Les faces, hilares, déformées par les cris, convulsées par les grimaces, sont plus obscènes que ma nudité. Ce ne sont plus des faces humaines, ce sont les masques de la bêtise, de la méchanceté, de la haine. Les masques d’une monstrueuse et dramatique cruauté. James Ensor, le peintre hollandais, a représenté dans des tableaux terrifiants cette monstruosité anonyme de la foule, toujours prête à la violence. »

 

  Qu’on le scalpe, ça le fera jouir !

  Qu’on me le donne, je saurai le faire jouir.

  C’est pitié qu’une queue pareille soit pas pour les femmes !

  Sa queue, il faut lui couper.

  Et les couilles, et les donner aux cochons.

  Empalé, voilà ce qu’il mérite. Un bon pieu dans le cul.

  Ça va le faire bander à mort, ah ah ah.

  Va te faire enculer par Satan, il a un cul d’enfer, hi hi hi.

 

« Mon Dieu ! Quelle horreur ! Ils sont capables de me faire subir les mêmes atrocités qu’à Hugh Le Despenser, cet amant d’Edouard II roi d’Angleterre, qui fut, devant le peuple en délire, attaché nu par les chevilles et les poignets sur une croix de Saint André. Un des bourreaux aiguisa longuement, sur une pierre d’affûtage, une fine lame d’acier et en testa le tranchant en y passant le gras de son pouce. A ces moments là les secondes sont interminables, le temps s’étire indéfiniment. Un autre bourreau s’empara d’une paire de pinces, saisit le sexe du condamné et l’étira comme un élastique. Une horrible clameur hystérique jaillit de la foule et couvrit le terrifiant hurlement de douleur et de désespoir du supplicié quand la lame trancha à la base ce lambeau de chair rendu ridicule, et qu’un flot de sang gicla et recouvrit tout le ventre et les cuisses du garçon.

Serait-ce moins atroce d’être embroché comme le fut, dans sa geôle fortifiée, ce pauvre roi déchu Edouard II ? Ses gardes bourreaux s’étaient cruellement amusés à lui faire deviner la partie diabolique qui allait se jouer à ses dépens. Durand plus d’une heure ils avaient, rigolards et excités, forgé un pieu pour en effiler la pointe, le faisant rougir et blanchir dans le foyer. Quand ils estimèrent que la tension du prisonnier avait atteint son maximum d’intensité, et que celui-ci était au bord de la syncope, ils s’emparèrent de lui, lui déchirèrent ses vêtements, l’immobilisèrent à plat ventre, nu, jambes écartées, et lui enfoncèrent le pieu dans le cul jusqu’au-delà des entrailles. »

 

Au bord de l’évanouissement Alex entend qu’on ouvre sa porte. Il étouffe, il est trempé de sueur, il a la tête en feu. On entre ! On s’approche ! On va s’emparer de lui…Pas du tout ! On va le sauver au contraire. Le médecin, car c’est bien lui à son chevet, va faire tomber cette fièvre de cheval qui le fait délirer. Un traitement de quelques jours et il sera remis sur pieds, avec le désir encore plus intense de profiter de la vie.

052 Le petit douanier

 

C’est un jour de tempête de neige à la frontière suisse dans le Jura. Alex est le passager d’Antoine dans la petite Austin Mini rouge, équipée pour cette traversée montagneuse des indispensables pneus neige. A portée de main, des chaînes au cas où les chasse-neige tarderaient un peu à dégager la route. La Mini n’est pas vraiment une voiture faite pour ces conditions routières, mais ça va, elle s’acquitte fort bien pour l’instant du service qu’on lui demande.

 

Douane française pour sortir de Suisse :

 

  Par ce temps-là on ne risque pas de voir un douanier, dit Antoine. Ils sont tous dedans à buller.

 

Mais contre toute attente un douanier sort à leur arrivée :

 

  Messieurs, contrôle de douane…Veuillez rentrer la voiture dans ce garage.

Antoine effectue la manœuvre et sitôt la voiture à l’intérieur le douanier referme la porte basculante.

 

  Veuillez présenter les papiers de la voiture et vos papiers d’identité…Je vais vous demander de me suivre…

 

Au moins fait-il bien chaud à l’intérieur du poste de douane. Alex et Antoine sont introduits dans une salle anonyme avec quelques chaises et un semblant de bureau qui n’a pas l’air d’être souvent utilisé.

 

  Monsieur Alex D……, veuillez me suivre s’il vous plaît.

 

Alex se retrouve seul, avec un jeune douanier à peine plus âgé que lui, dans une toute petite pièce pratiquement vide.

 

  Je vais vous fouiller. Enlevez votre blouson s’il vous plaît.

 

« Ça y est, je vais avoir droit à un déshabillage complet, se dit Alex. Mais c’est pas possible ! Ça n’arrive jamais. Faut que ça tombe sur moi ! Qu’est-ce qu’elle a ma gueule pour éveiller comme ça des soupçons ?

Et puis je ne vais quand même pas me foutre à poil devant ce jeune mec ! Il est trop mignon ! T’as vu ses yeux ? Ça lui va bien l’uniforme. Bien balancé avec ça ! C’est moi qui aimerais le voir à poil. Allez, on renverse les rôles. C’est moi le douanier et tu vas me faire un strip dans les règles. Parce que j’ai très envie de vérifier que tu ne me caches rien, à moi le gardien de l’intégrité des mouvements de marchandises, dans les petits recoins de ton territoire intime. C’est surtout dans ton slip que je dois m’assurer qu’il n’y a rien de dissimulé. Je sais bien que c’est là que les mecs cachent la came.

Allez, vite, à poil, à poil.

Maintenant que tu es complètement nu devant moi, je vais examiner un à un tous tes vêtements, parce que c’est courant les caches dans les doubles poches. Et je vais prendre mon temps parce que ça me plaît bien que tu sois là tout nu, complètement décontenancé, vulnérable, à croquer, tellement tentant !

Oserai-je m’approcher de toi et te demander de te pencher en avant en écartant les jambes ? Oserai-je te regarder le fion ? Pourtant c’est fou ce qu’on peut trouver d’insolite dans ce trou. Oserai-je de ma main gantée aller voir au plus profond si rien n’est dissimulé dans tes entrailles ? Non, je n’oserai pas, parce que je n’en ai pas le droit, parce que je n’en ai pas l’envie surtout, je dois t’avouer que les images de cet orifice voué aux excréments me révulsent, et aussi parce que je ne veux pas t’humilier. Surtout pas t’humilier. Au contraire, je voudrais te prendre dans mes bras, te consoler, te caresser…Je vais me déshabiller moi aussi, comme cela nous serons à égalité, nous serons nus l’un devant l’autre, puis nus l’un contre l’autre, et nous allons nous aimer… »

 

  Excusez-moi, pouvez vous vider vos poches… ? Je vais procéder à une palpation.

 

« Mais je bande à mort, constate Alex. Si ce type me touche, même à travers mes fringues, ça va être encore pire. Il ne peut que s’en apercevoir. Et il va faire semblant de ne rien remarquer, mais il aura un regard méprisant, parce que c’est un hétéro inconditionnel, peut être un homophobe et qu’il m’aura pris pour une pédale. J’ai pas de chance, je tombe toujours sur ce genre de mec. »

La palpation fut plus théorique que pratique, presque virtuelle, et Alex s’en tira donc honorablement.

 

On libéra les deux garçons, qui poursuivirent leur route, un peu interloqués d’avoir ainsi été traités comme des malfrats, mais avec égard et respect toutefois.

Ils apprirent par hasard le lendemain dans la presse locale, qu’à ce poste de douane, trois jeunes avaient été arrêtés en tentant de passer de l’héroïne.

053 La moto

 

C’était convenu avec ses parents : s’il réussissait le concours d’entrée dans cette grande école parisienne, ils lui offriraient la moto qu’il convoitait depuis si longtemps et dont il parlait toujours avec passion.

En ce jour de juin, Alex exultait, car il venait d’apprendre qu’il figurait sur la liste des admis. Il allait fêter ça avec ses copains, et aussi se précipiter chez le concessionnaire pour commander ce modèle de moto qui l’avait tant fait rêver. Décidément l’été s’annonçait pour lui sous les meilleurs auspices.

Il lui fallut beaucoup de patience ─ Non, il fut très impatient au contraire ! ─ pour attendre la livraison du bel engin. Période pendant laquelle il multiplia les projets, inventa des épisodes, tantôt parfaitement vraisemblables, tantôt complètement extravagants.

 

La moto, Alex connaissait. Il avait passé son permis il y a quelques années déjà et il pratiquait, quand il en avait le loisir, sur un bicylindre Suzuki des années 80 qui appartenait à son père. C’est une moto maniable et tranquille, robuste, qui procure déjà de bonnes sensations. Mais la nouvelle, c’est tout autre chose ! Quelle mécanique ! 4 cylindres en ligne, 16 soupapes, double arbre à cames en tête, injection et allumage électroniques,…Un petit bijou de technologie ! Et une fougue olympique ! D’ailleurs cette force, cette puissance, cette dynamique, sont inscrites dans le design de cette machine. Les lignes hyper tendues, projetées vers la roue avant, associées à de voluptueux galbes anatomiques, donnent à elles seules une extraordinaire impression de vitesse et d’énergie contenue.

 

 Ce fut l’euphorie le jour où la moto fut livrée. Alex, malgré ses 20 ans, sautait de joie comme un gamin. Il sautait aussi au cou de ses parents pour les remercier. Sa mère lui fit bien sûr promettre plusieurs fois d’être très prudent, les motards étant tellement vulnérables sur les routes et dans les rues. Son père, plus sobre, lui lança :

 

  Tu fais gaffe Alex. On tient énormément à toi.

 

 Ces parents connaissaient leur fils : Alex était un garçon calme et déterminé, raisonnable, maître de lui. Ce qui les rassurait surtout, c’était que son intelligence semblait gérer tous les actes de sa vie, y compris les excès inhérents à son âge. Et puis la moto, c’était une tradition familiale, même le grand père, à 76 ans sortait encore régulièrement sur sa BMW flat twin.

 

 Les jours suivants Alex fit des tours et des virées sur cette resplendissant Suzuki jaune vif. Seul ou avec un passager, ou une passagère. Seul, il testait la machine, son adhérence à la formidable accélération, la redoutable efficacité de son freinage ABS, l’extraordinaire angulation dans les virages serrés. A son passager il s’appliquait à procurer sans risque les sensations les plus fortes. Bref, des jours heureux !

 

 Ce dimanche il est seul dans la maison. A peine levé il ne peut s’empêcher de descendre au garage voir sa petite merveille. Comme d’habitude il commence par la caresser du regard. Puis il s’approche et commence à la caresser pour de bon. Il passe ses mains sur les creux et les convexités anatomiques de la bête. Il y a une énorme sensualité dans ces formes qui invitent un corps à venir les épouser. Alex ne peut résister à cet appel. Mais il a envie d’un contact plus intime avec cette sculpture presque érotique. En tout cas il est déjà « en pleine forme » c'est-à-dire que son sexe a déjà adopté dans le boxer le format des grands jours. Il commence à se déshabiller, éparpillant dans le garage tee-shirt, baskets, short, slip. Le voilà complètement nu. Il enfourche la moto calée sur sa béquille centrale. Il sent le creux de la selle accueillir ses fesses et le discret éperon les écarter légèrement pour bien les maintenir. Ce premier contact est déjà hyper jouissif. Il serre ses cuisses contre les parois ergonomiques du réservoir, la sensation est voluptueuse ! Il étreint, il possède ! Du bassin naît spontanément un mouvement d’abord timide, puis de plus en plus accentué. Maintenant les coups de reins sont violents et précipités. Les frottements contre les rondeurs de la machine ont porté Alex au maximum de son excitation, il baise sa moto ! Après une vibration de tout son corps il est secoué de spasmes et gicle sa semence sur cette musculature laquée.

 

 Soulagé, il a maintenant cette envie folle de parcourir des routes et chemins bucoliques, nu sur sa moto dans le soleil et dans le vent. Il libère l’engin de sa béquille, démarre le moteur. Ah, cette suave sonorité du quatre cylindres ! Il enclenche une à une les vitesses, monte les tours, et le voilà dans la campagne. Aux champs de blé succèdent ceux de colza, en fleur à cette époque de l’année, les pâturages où paissent de paisibles bovins qui le regardent passer avec indifférence. Puis des bosquets, et des bois qui exhalent un parfum de résine. Il va de colline en colline, sa peau nue fouettée par l’air odorant, d’une douceur inhabituelle. Il fait corps avec sa machine qui répond à la moindre de ses sollicitations. Soudain, au sommet d’une côte, il sent le sol lui échapper, s’effacer sous lui, et bientôt il domine toute cette campagne accueillante et vivante qu’il a toujours aimée. Ce n’est plus de l’acier qu’il a entre les jambes, c’est Pégase dont il sent, le long de ses cuisses, contre son ventre et son sexe, les palpitations et la chaleur des flancs, la douceur caressante du pelage. Il sent à nouveau monter en lui le désir ? Sa queue gonfle et durcit, les reins reprennent leur mouvement de va et vient qui provoque un voluptueux frottement des fesses, des cuisses, du sexe contre le bel étalon volant. Alex est bientôt à nouveau au bord de la jouissance, il ralentit le rythme, le stoppe un instant pour profiter au maximum de cette merveilleuse limite avant l’explosion finale. Il reprend imperceptiblement le mouvement du bassin, mais alors il en perd totalement le contrôle et dans un cri qui passe de l’aigu au rauque il projette à nouveau son sperme sur sa monture.

 

 Maintenant le charme est rompu. L’euphorie hallucinatoire s’est envolée avec son Pégase et il est brutalement retombé sur terre, dans son garage qu’il n’a pas quitté. Il n’a plus qu’à aller se rhabiller !

054 Knossos, nuit d’amour

 

  Que j’aime tes yeux rieurs ! Et je ne pourrais pas me passer de ton sourire quand tu me regardes. Aimable, tu as pour moi un visage toujours aimable, même quand tu râles, même quand tu m’en veux…

 

Il visitait la Crète avec son ami Adrien. Aujourd’hui ils étaient sur le site minoen de Knossos.

Les ruines du palais du légendaire souverain Minos, partiellement reconstruit de façon assez contestable au début du XX° siècle par un archéologue anglais, Evans, permettent d’en imaginer la grandeur et la labyrinthique complexité.

Le jeune guide qui articulait avec beaucoup d’application, et pas mal de charmantes maladresses, quelques mots de français, était d’une beauté à vous couper le souffle. Alex se mit aussitôt à le déshabiller. Il ne fut pas déçu. Le corps de ce garçon n’avait rien à envier aux jeunes athlètes des olympiades. Une parfaite harmonie des proportions, un élancement félin des jambes et des cuisses, lisses et puissamment musclées, des hanches étroites d’où jaillit un buste s’évasant vers de larges épaules, une ligne d’abdominaux palpitants, ponctués par la noire pilosité d’une abondante toison, un petit bijou de sexe, une texture et une couleur de peau à faire pâlir les publicités de cosmétiques masculins.

Sous prétexte de prendre des clichés souvenirs de ces amas de pierres chargées de mythologie et d’histoire, Alex le photographiait sous tous les angles, afin que ces traces témoignent de la réalité de cette apparition.

Car il était impossible qu’une telle beauté stellaire fût humaine. Oui, c’était évident, IL était revenu…

 

 Sur les lieux de ses antiques pas,

 Où, bravant les risques du trépas,

 Il livra un terrible combat

 Contre la bête immonde

 Qui du sang innocent

 Inondait

 Ce dédale de pierre.

 

Oui, c’est Thésée, le fils d’Egée le roi d’Athènes, il vainquit le Minotaure et fut roi lui-même. Puis il devint dieu, et c’est lui que l’on voit aujourd’hui sous les traits d’un jeune homme qui garde cet enclos. Il en a magnifié les formes, le charme et l’élégance, pour en faire ce parangon de beauté.

 

 Le soir, en leur hôtel, revivant la journée,

 Ils larguèrent les amarres et partirent pour Cythère.

 

 (J’ai honte de mes vers à côté de Baudelaire !)

 

 « Île des doux secrets et des fêtes du cœur !

 De l’antique Vénus le superbe fantôme

 Au dessus de tes mers plane comme un arome,

 Et charge les esprits d’amour et de langueur. »

 

Pour Alex, ce fut  le fantôme de Thésée qui nourrit leurs ébats  et emplit son esprit d’un amour indicible, dont Adrien fut le bénéficiaire.

En fut-il de même pour son ami ? Alex avait-il été pour lui le transfuge du mythique Thésée ? Thésée par procuration ? Leurs amours torrides avaient-elles scintillé d’une passion occulte ? Peu importe. Sa nuit d’amour avec Thésée resterait à jamais gravée dans sa mémoire et dans son cœur.


   

055 Zeus

 

Un haut plateau fertile, immense, entouré de hautes montagnes arides aux sommets encore enneigés en cette fin avril débordant de douceur et de ciel pur : c’est le Lassithi, en Crète. On y accède par une route en lacets, aux virages en épingle à cheveux, franchissant plusieurs barrières montagneuses : le plateau du Lassithi se mérite !

Ce n’est pas n’importe quel site, c’est sur les flancs d’une de ses montagnes, le mont Dicti, que Zeus est né. Sa mère, Rhéa, femme de Chronos, et sa sœur en même temps (ces dieux de la mythologie ne s’embarrassaient pas principes ni de morale), est venue accoucher là du petit Zeus, à l’insu de son ogre de mari qui lui dévorait tous ses enfants.

C’est dans une grotte du mont Dicti qu’elle a caché son bébé, puis elle est retournée auprès de Chronos en inventant un stratagème afin que celui-ci ne se doute de rien. Confié à des nymphes, le petit Zeus fut nourri au lait de chèvre et au miel.

 

La montée à la grotte par le chemin pentu aux pierres irrégulières avait été assez pénible à Adrien, lui si sportif d’habitude. Il se plaignait de mal de ventre, lui qui ne se plaint jamais de rien. Pendant la visite de la grotte, Alex le vit deux ou trois fois se plier en deux sous l’assaut d’un spasme. Les lacets serrés de la descente du haut plateau jusqu’à la mer ne firent qu’augmenter les douleurs. Adrien n’avait qu’une hâte, c’était de regagner la confortable chambre d’hôtel, de se coucher, et de dormir d’un long sommeil réparateur.

C’est là qu’Alex prit les choses en main. Il déboutonna la chemise de son copain, allongé sur le lit. Il lui ôta son jean et même son boxer pour qu’aucun élastique ne vienne plus comprimer ce ventre douloureux. Il commença un massage le long des abdominaux, accompagné de palpations pour tenter de localiser les centres de douleur.

C’était la première fois qu’il voyait son copain dans cette innocente nudité. D’habitude, un regard suffisait pour faire monter le désir l’un de l’autre, et avant même le début du déshabillage ils avaient la raideur nécessaire à l’ouvrage. Mais les spasmes annihilaient complètement la libido d’Adrien et les doux massages amicaux ne procuraient qu’un mieux-être, dû à l’affection plus qu’à la thérapie. En revanche, chez Alex, le mécanisme érotique s’était immédiatement enclenché, bien qu’il eût voulu s’en défendre en cette circonstance. Il faisait front à une manifestation, dans son slip, qui revendiquait de l’air et de l’espace.

Mais il concentrait son attention sur le ventre douloureux d’Adrien. Il percevait dans ses doigts les soubresauts intestinaux et imaginait les entrailles de son copain comme ce très vieux tronc d’olivier dont il avait pris une série de photos, ce matin, tant il le trouvait extraordinaire. Les racines semblaient jaillir du sol pour former le tronc, s’entortillant sur elles-mêmes, se nouant, s’écartant avant de se resserrer pour mieux emprisonner le cœur d’une torsion poussant en sens contraire. Sans la fixité, défiant le temps, de ces circonvolutions et de ces entrelacs de bois, on eût évoqué un nœud de vipères. Et c’est bien l’image qui était, pour l’heure, la plus appropriée concernant les boyaux convulsifs de ce pauvre Adrien.

Il couvrit son ami d’une légère couverture pour qu’il ne prît pas froid, et, continuant à lui masser le ventre tout autour du nombril, en décrivant des cercles inégaux frôlant parfois l’épaisse toison du pubis, attendit l’effet de la médication qu’il lui avait fait absorber.

Il le vit peu à peu se détendre, puis s’endormir.

Alors il se déshabilla et se glissa doucement le long de ce corps apaisé et sans défense. Il vibra au contact de ce flanc, de cette hanche, et de cette cuisse abandonnés au sommeil et privés de leur habituelle tonicité. Il réchauffa, par un contact maximum, ce corps alangui, et déposa, sur le cou un peu moite, un doux et affectueux baiser.

Puis il se laissa glisser vers les brumes olympiennes où, déchirant les voiles d’un destin ordinaire, Zeus en personne l’accueillit, et l’entraîna dans une merveilleuse aventure mythologique et humaine à la fois, avec Adrien.

056 Je suis un garçon

 

« Quel est ce trouble qui me traverse à la vue des cuisses aux muscles d’acier, secs et nerveux du sprinter ? A la vue des violentes contractions des fesses gonflées de puissance et gorgées de vitalité du handballeur dans l’action ? Et aussi des épaules larges et généreuses, rythmiquement tendues, du kayakiste ? Du dos du volleyeur ou du basketteur qui tout à coup devient un violent et magnifique champ de forces au moment du lancer ? J’aime regarder bouger ces corps d’athlètes, souples comme ceux des félins, toujours prêts à bondir comme les jaguars, dans un déferlement d’énergie. Tous leurs muscles sont sollicités dans leurs exigeantes disciplines, et se développent en harmonie pour former ce fleuron d’équilibre formel.

En fait ce n’est pas un trouble, c’est un début de transe esthétique.

Cet univers de formes masculines est ce que je connais le mieux puisque je suis un homme, et que je me projette en eux, sentant le muscle qui tremble, atteignant ses limites, la contracture qui guette, le tendon qui s’étire, la douleur anormale telle un signal d’alarme, l’échec du beau travail. Sentant aussi la joie quand l’invisible effort développe le beau geste et assure le succès de la périlleuse entreprise. Alors le corps tout entier reçoit sa récompense.

Ce viril émoi qui s’empare de moi, je le sais, va nourrir mon imaginaire et peupler mes orgasmes de ces beaux athlètes merveilleusement idéalisés.

 

Est-il utile de préciser que j’aime les douches après les efforts sportifs ? La douche en elle-même est une récompense. Mais la proximité de ces corps nus en est une bien plus grande. L’atmosphère y est souvent fraternelle, faite d’intimité virile, mais dépourvue de toute tendresse, et apparemment de toute sensualité. Bannies la tendresse et la sensualité. Et pourtant il y a, perceptible, une tension érotique. Reniée bien sûr !

J’ai pourtant gardé de mon adolescence cette crainte de bander à ce spectacle. Cela m’arrive parfois. Bien sûr les bas-ventres et les fesses de ces mâles ne sont pas toujours un sommet d’harmonie. Mais s’il me plaît, dans la plus grande discrétion, de les observer, c’est pour m’amuser de leur infinie variété. A ce petit jeu il arrive que je sois interpelé par une forme particulièrement stimulante, ou par une pilosité spécialement seyante. Il m’arrive donc de m’exciter, mais comme je tiens à mon statut d’hétéro, je me suis armé pour répondre à la plaisanterie homophobe.

 

 ─ Dis donc, t’aurais pas des tendances, des fois ?

 ─ Dis-moi, Lucas, tu crois que c’est toi qui me fais bander ? Tu connais la chanson de Brassens :

 

« Quand je pense à Fernande

Je bande, je bande.

Quand je pense à Lulu

Je ne bande plus. » ?

 

L’humour, c’est une arme remarquable, qui permet de se tirer de la plupart des situations. Et qui est si peu répandu ! »

 

A suivre…

 

2° partie

 

 

« Je ne leur en veux pas, à ces petits mecs, d’afficher leur homophobie. Je les comprends. C’est une faiblesse. Ils refoulent tout ce qui pourrait attenter à leur mythe de la virilité. Affirmer leurs états d’âme, reconnaître leurs faiblesses, accepter la part d’eux-mêmes qui est à l’inverse de leur construction identitaire, autrement dit accepter leur part de féminité, c’est risquer d’être contaminé par une altérité masculine indésirable, d’être pénétré au lieu d’être le pénétrant. D’être femme.

L’intimité masculine cherche donc, dans la grande majorité des cas, à se structurer avec une enveloppe psychique épaisse et étanche, une sorte de préservatif qui protège le mythe de la virilité.

Lorsqu’on ajoute la construction sociale, et la construction religieuse, l’édifice est tel que tout contact physique entre mâles est prohibé. Les seules tolérances sont la poignée de main, de préférence très ferme, et la tape dans le dos ou sur l’épaule, déjà plus compromettante. Alors cette tape est brève, franche et dure, pour surtout ne pas ressembler à une caresse.

Je remarque pourtant que, lorsqu’elle se lâche, à l’occasion d’un but inespéré et lourd de conséquences, dans un mondial de foot par exemple, la virile mâlitude se laisse aller à des effusions, à des embrassades, à des palpations dignes des plus tendres couples hétéros.

J’aime la tendresse, et je voudrais pouvoir la manifester à un garçon aussi bien qu’à une fille. Avec ou sans public, j’embrasse une amie sur les deux joues, je la prends par le cou, je lui tiens la main. Ça ne veut pas dire que dans cinq minutes ou dans la soirée je vais coucher avec elle. Ni l’un ni l’autre n’en avons probablement envie. Mais ces contacts physiques sont l’expression de rapports humains affectueux. Peut-on imaginer faire la même chose avec un garçon ? Les réactions aussitôt ? Réactions des proches, réactions des copains, réactions des badauds ?

Ce besoin de toucher, cet appel de la peau, cet élan de tendresse, je les ai aussi forts avec un garçon. Mais je m’oblige à résister, et je reste frustré. Pourtant je crois que c’est moi qui suis dans le vrai. « Un homme, un mâle n’est complètement humain que quand il est capable de tendresse. La tendresse n’appartient pas aux femmes, elle appartient à l’humain » dit Elisabeth Badinter.

Loin des gay prides et autres excès ostentatoires et dévalorisants, odieusement récupérés politiquement, j’aimerais affirmer, sans craindre,…

Les chuchotements hostiles,

Les sourires affligés

Les rires offensants

Les regards méprisants

Les yeux dédaigneux

Les airs réprobateurs

Les gestes entendus

Les paroles vexantes

Les propos blessants

Les critiques cinglantes

Les mots injurieux

Les verbes outrageants

Les quolibets méchants

Les railleries malignes

Les menaces humiliantes

Les invectives violentes

Les injures grossières

Les rebuffades odieuses

Les jugements méchants

Les malédictions fougueuses

Les opprobres abjects

Les exécrations fébriles

Les attaques brutales

Les assauts terrifiants

 

Qu’ai-je donc oublié ?

 

J’aimerais donc affirmer, en dépit de cette cohorte armée de couteaux et de poignards,

De piques et de lances

De fourches et de faux

De dagues et d’épées

De sabres et de baïonnettes

De javelots et de flèches

De bowies et de machettes

De glaives et de haches

De tantos et de serpes

De faucilles et de marteaux

 

Où en étais-je ?

 

J’aimerais affirmer, disais-je, que je suis un garçon viril, un mâle qui aime les filles et les garçons. »

057 Le sultanat.

 

Il s’était endormi comme une masse, épuisé par cette journée harassante, cette longue marche dans ce désert de pierres sous un soleil torride. Sans doute faudrait-il marcher après le coucher du soleil les jours suivants, et se reposer le jour, à l’abri des auvents de toile qui servaient de tente.

Au cœur de son sommeil, des mains puissantes l’empoignèrent, le réveillant en sursaut. Quelle ne fut pas sa surprise d’être encadré par deux grands gaillards en habits de gardes, bardés de cuir et armés de coutelas, qui le levèrent sans égard et l’entraînèrent dans la nuit.

Il marchait ainsi, complètement nu, sur ces pierres encore chaudes qui lui meurtrissaient la plante des pieds, et devait faire de grandes enjambées pour suivre le rythme imposé par ces colosses à la poigne d’acier.

Ils se dirigeaient tout droit dans cette obscurité quasi complète vers ce qui lui paraissait être le noir absolu, le néant.

La belle humeur qui l’avait habité jusqu’alors avait fait place à une terrible angoisse. Ce rapt énigmatique et musclé ne laissait rien présager de bon. Qu’espérait-on obtenir ? Une rançon ? Un échange de prisonniers ? Il n’avait jamais entendu dire que cette région fût un repère de brigands, ou de terroristes. Au contraire, elle était réputée sans danger, et c’est pourquoi il ne s’était pas préoccupé de sa sécurité. En tout cas il s’attendait à la douloureuse épreuve de l’emprisonnement, dans des conditions sans doute inhumaines, ou dans un isolement encore plus inhumain, à des sévices peut-être,… à des tortures ? Mais pourquoi ? Comment pouvait-on lui en vouloir, à lui le pacifiste, le défenseur des droits de l’homme, le pourfendeur des intolérances, des intégrismes, des idéologies, de l’obscurantisme, de la bêtise, de la méchanceté, de l’agressivité, de l’hypocrisie,… à lui l’humaniste ?

Certes, en réfléchissant un peu, on pouvait penser que cela suffisait à soulever une armée d’ennemis. Comment avait-il pu imaginer que des positions aussi péremptoires ne provoqueraient pas, un jour ou l’autre, de violentes représailles. Pensons à tous ceux qui, faisant partie de ces catégories, jouiraient de tordre le cou, si possible en le faisant souffrir le plus longtemps possible, à cet empêcheur de tourner en rond.

Il était plongé dans ces pensées funestes quand il vit se dresser devant lui un immense mur d’enceinte en grosses pierres taillées. L’obstacle lui paraissait infranchissable. Mais une étroite ouverture au ras du sol, dans laquelle il fallut ramper, permit d’arriver devant un escalier conduisant à ce qui pouvait être un poste de garde.

L’un des deux hommes sortit une énorme clé de son plastron de cuir et manœuvra la serrure d’une épaisse porte métallique.

Ils enfilèrent un sombre et étroit corridor, franchirent sept portes identiques à la première. La dernière porte donna accès à un très raide escalier en spirale parsemé de meurtrières, qui déboucha sur un chemin de ronde crénelé. Ils longèrent de longues murailles aveugles, s’engagèrent dans un étroit goulet entre deux petites tours, et pénétrèrent dans une pièce carrée couverte d’une coupole sur pendentifs. Les gardes se retirèrent et Alex entendit la lourde porte se refermer et être verrouillée.

 

Partie 2

 

La chambre ne comportait aucun meuble, n’avait aucune fenêtre, et était faiblement éclairée par des lampes à huile. Une autre porte, identique à celle par laquelle il était entré, lui faisait face. Alex s’accroupit dans un angle, en sueur et tremblant, en proie aux pensées les plus funestes.

 

Il resta ainsi prostré pendant des heures interminables. Il était prisonnier, cela ne faisait aucun doute, mais il n’avait pas été jeté dans un sous-sol noir, humide et infesté de rats. Ici il n’y avait pas d’ouvertures mais c’était habitable. Le sol était revêtu d’un carrelage ornemental et les murs et la coupole avaient été soigneusement peints en blanc. Il se prit alors à penser qu’on ne lui voulait pas autant de mal qu’il l’avait cru jusqu’alors. Mais quand même, l’énigme était totale, et stupéfiante ! Car il était manifestement dans un immense palais entouré de gigantesques murailles défensives. Or, sur l’itinéraire qu’il avait longuement élaboré à travers ce désert de pierres, il n’y avait aucun édifice de ce genre qui fût mentionné. Se serait-il égaré ? Impossible. Tous les repères et la boussole correspondaient. Le mystère était total.

Autre question à laquelle il ne trouvait aucune réponse : pourquoi l’avait-on capturé, lui, et pas les autres ? Ceux-ci avaient-ils entendu le bruit de l’enlèvement ? Alex se souvenait de ne pas avoir pu crier au moment d’être emmené par les deux gardes, tellement la surprise lui avait tétanisé les cordes vocales. Mais ses coéquipiers avaient certainement été réveillés et ils s’employaient à donner l’alerte. Il fallait du temps, dans ce désert, pour atteindre un poste de police. Alors, patience, patience, sans aucun doute un commando d’intervention rapide, encagoulé et armé de mitraillettes, viendrait le délivrer.

C’est au moment où naissaient ces espoirs que la lourde porte, qui devait donner sur l’intérieur du palais, s’ouvrit, et qu’apparut une femme encore jeune, à la silhouette fine et élégante, vêtue d’une longue tunique gris pâle serrée à la taille par un ruban de mousseline rouge. Alex resta blotti dans l’angle du mur qu’il n’avait pas quitté depuis son arrivée.

 

─ Lève-toi, lui ordonna-t-elle en anglais, avec un fort accent inhabituel.

 

Alex s’exécuta, gêné d’être nu devant cette étrangère. Il porta machinalement les mains devant son sexe.

 

─ Je suis l’interprète, lui dit la femme. Tu es dans le sultanat de Thara Jell Eroun. Dans cette contrée ce sont les femmes qui fixent les règles. Elles ont tous les pouvoirs : politique, économique, social, sexuel. Les hommes ne sont rien, ils n’ont aucun droit, ils n’ont que des devoirs, ils sont là pour nous servir.

Tous les mâles de ce sultanat doivent être constamment nus, quel que soit leur âge. D’ailleurs il n’y a ici que des jeunes, nous ne gardons pas les vieux, qui ne sont plus assez utiles.

Toute infraction à nos règles est sévèrement punie. Il y a une échelle des châtiments suivant la gravité de la faute. Ils commencent par de simples coups de fouet sur la place publique, dont le nombre varie de 5 à 20. Parallèlement il y a la mise aux fers, dans un cachot insalubre, pour une durée allant de 5 à 30 jours. Dans le cas de trahison nous crevons les yeux. Et s’il s’agit d’un complot dirigé contre notre pouvoir, la sanction consiste à écorcher vif. Nous avons rarement recours à ces extrêmes car les mâles se comportent très généralement comme des agneaux. Tout ceci se fait en vertu d’une sentence de justice rendue par notre tribunal de femmes présidé par Sa Majesté la sultane Thara Jell Eroun, en l’absence de l’accusé qui est, de toute façon, dans son tort.

Tu es affecté au service privé de la sultane. Il conviendra que tu exécutes tous ses souhaits, même les plus extravagants. Tu n’es autorisé à poser aucune question, à prendre aucune initiative, ni à formuler aucune réclamation.

Est-ce bien clair ?

─ Oui.

─ Oui Maîtresse. Ici il n’y a que des maîtresses, et tu dois répondre à leurs questions avec le plus grand respect.

Suis-moi, je vais te conduire dans ta chambre.

 

 

Partie 3

 

La chambre était une pièce voûtée de dimensions modestes, éclairée le jour par des fenestrons en partie haute et le soir par quatre lampes à huile murales. Le mobilier était limité à un lit en bois avec une paillasse et une couverture. Pas de commode, évidemment, puisque tous vêtements étant interdits, il n’y avait pas besoin de place pour leur rangement.

Cette chambre était affublée d’un petit appendice qui faisait office de salle de bain. Il y avait là un wc à la turque, un lavabo en grès et une baignoire en émail blanc remplie d’une eau fumante et parfumée.

« Ça pourrait être pire », se dit Alex, qui essayait de trouver des raisons de reprendre espoir.

 

─ Tu vas prendre un bain, déclara l’interprète. Dans une demi-heure je reviens te chercher pour te présenter à la sultane Thara Jell Eroun.

 

« Comme régime pénitentiaire, on peut tomber plus mal », pensa Alex, que la douceur du bain avait un peu ragaillardi. Il s’allongea sur le lit, sans chercher à couvrir sa nudité car il valait mieux s’adapter le plus vite possible à cette exigence. Il se leva précipitamment quand il entendit l’interprète arriver.

 

─ Cette présentation est très importante pour toi car c’est une séance d’accréditation à son service. Ou bien tu lui conviens et elle te garde, ou bien elle te rejette au rang d’esclave comme la plupart des autres mâles.

Lorsque, escorté par deux caméristes, tu arriveras à quatre mètres du trône de Sa Majesté, tu devras te prosterner, entièrement allongé devant elle, face contre sol, jusqu’à ce qu’elle donne le signal de te mettre debout, les bras le long du corps, et la tête bien droite.

Il est possible que sa Majesté pose quelques questions, auxquelles tu répondras le plus brièvement possible, chaque propos étant terminé par « selon votre volonté, majesté ».

Suis-moi.

 

Précédé de l’interprète, dont il remarqua pour la première fois l’élégance de la démarche, il traversa un nombre incalculable de couloirs et de pièces, pour déboucher dans une très longue salle couverte de boiseries moulurées, peintes de motifs floraux au dessus desquels voletaient des oiseaux multicolores.

A l’entrée l’attendaient deux jeunes filles en tuniques plissées blanches du plus bel effet, qui l’escortèrent le long de l’allée centrale, en direction d’un trône monumental et richement ouvragé, sur lequel était assis un personnage somptueusement vêtu de pourpre et d’or. Il se tenait rigoureusement immobile. Les mains, posées à plat sur les accoudoirs du trône, étaient gantées de noir. La tête était enturbannée d’une soie blanche brodée d’or et d’argent. Seul le visage était découvert. Les yeux, immenses et soulignés de fards les mettant savamment en valeur, détournaient heureusement l’attention d’uns structure osseuse ingrate recouverte d’une peau qui en soulignait toutes les aspérités. Cette face paraissait décharnée, presque maladive, malgré les carnations artificielles. Une rigidité minérale affectait l’ensemble du corps.

Alex se sentait affreusement gêné de sa nudité dans de telles circonstances. Il avait pourtant fantasmé de nombreuses fois d’avoir à se dévêtir entièrement sous la contrainte et d’être exposé nu aux regards inquisiteurs et avides, voire aux palpations plus ou moins indécentes. A chaque fois il était gratifié d’une magnifique érection, qu’il ne pouvait calmer qu’en rendant un vibrant hommage à Priape. Mais ici, le stress, la peur, l’anxiété, annihilaient totalement sa libido. Seule restait la honte, l’humiliation, un peu aussi la rage, d’avoir à soumettre à l’évaluation, par des femmes, sa complexion générale et les composants les plus intimes de son anatomie.

 

 

Partie 4

 

Sur un signe impératif des deux escortes, il se prosterna en s’allongeant de tout son long, bras en avant, face contre terre, devant cette idole, comme on le lui avait indiqué. Il resta ainsi un long moment sans que rien ne se passât. Il sentait la froidure du sol de marbre envahir son corps, ses membres s’engourdir, son cœur tambouriner dans sa poitrine.

Mais que pouvaient bien vouloir ces femmes en le laissant ainsi étalé nu à leurs pieds comme un tapis ? N’était-il pas assez humilié qu’il fallût encore lui infliger cet outrage ? Lui donner tout le temps de bien s’imprégner de son insignifiance ?

Cependant, ce temps qui lui était consacré n’était-il pas révélateur de l’importance qu’on lui accordait ? Ces femmes attendaient manifestement quelque chose de lui. Quelque chose qui leur était indispensable et qui semblait contrarier leur intégrisme matriarcal.

 

─ Lève-toi, s’entendit-il ordonner par l’interprète.

 

Il se mit debout, face à la sultane, les bras le long du corps comme exigé.

Que ces minutes lui parurent longues dans cette immobilité générale et cet oppressant silence ! Il lui sembla que le temps s’était tout à coup arrêté, et que tous les protagonistes de cette scène s’étaient figés pour l’éternité, transformés en statues par la magie de la puissance mystérieuse qui opérait en ces lieux. Pourtant il sentait la vie poursuivre son œuvre à l’intérieur de lui-même, et un léger tremblement incontrôlé vint le rappeler à la réalité de sa situation.

Il vit remuer les lèvres de cet étrange personnage, figé comme une momie égyptienne, sans que le reste du visage ne bougeât d’un iota, et il entendit des sons bizarres qui ne paraissaient pas être ceux d’un langage. Quelque chose d’à la fois guttural et sifflant. Des tessitures inhabituelles dans la voix humaine. Il s’agissait bien d’un langage, puisque l’interprète traduisit immédiatement en anglais.

 

─ Sa Majesté demande si tu es capable d’être un bon amant ?

─ Oui, je crois. Selon votre volonté, Majesté.

─ Il ne suffit pas de croire, il faut en être sûr.

─ Oui, j’en suis sûr, majesté.

─ Comment commences-tu une séance amoureuse ?

─ Par des caresses, selon votre volonté, Majesté.

─ Quel genre de caresses ?

─ Tous les genres, Majesté.

─ Utilises-tu la langue ?

─ Bien entendu je caresse aussi avec la langue, selon votre volonté, Majesté.

─ Es-tu capable, pendant le coït, de te contrôler jusqu’à ce que ta partenaire parvienne à l’orgasme ?

─ Oui Majesté, à condition qu’elle ne soit pas frigide.

─ Combien de fois es-tu capable d’honorer ta partenaire en une seule nuit ?

─ Cela dépend de la partenaire, Majesté.

─ Une réponse précise.

─ Une seule fois, je ne suis pas un étalon, Majesté.

─ Sa Majesté pense que tu es honnête. Sa Majesté va te prendre à l’essai. Pour la quitter tu ne dois jamais tourner le dos à Sa Majesté. Tu vas te prosterner à nouveau, puis au signal tu regagneras la sortie à reculons avec ton escorte. Ensuite, je te conduirai dans ta nouvelle chambre.

─ Pourrais-je vous poser une question, Maîtresse ?

─ Je t’ai déjà dit qu’un mâle n’était pas autorisé à poser des questions.

 

 

Partie 5

 

La nouvelle chambre était identique à la précédente, à la différence essentielle qu’elle avait deux grandes fenêtres, occultées par des claustras en bois rouge, de l’acajou peut-être, savamment découpé en arabesques et spirales du plus bel effet décoratif. Ces claires-voies laissaient apparaître un beau jardin d’orangers et de bougainvillées, soigneusement entretenu. Le mobilier était plus complet, puisqu’il y avait aussi une table et une chaise.

 

─ On va t’apporter une collation, lui dit l’interprète, avant de s’en aller.

 

« Hé, mon ordinaire s’améliore » pensa Alex, avec une très timide remontée de son humour.

 

Quelques instants plus tard, effectivement, il entendit, oh surprise ! frapper à sa porte restée ouverte, et vit entrer un jeune homme à peu près de son âge, portant un plateau fumant qui répandit aussitôt de douces odeurs dans la pièce. Conformément aux règles édictées par ces femelles intégristes et revanchardes, le garçon était complètement nu. Alex remarqua sa sveltesse, son système pileux développé sur les avant-bras le ventre et les jambes, et surtout son agréable visage qui contrastait avec les airs renfrognés des bonnes femmes qu’il avait côtoyées dans cet antre du féminisme exacerbé. Le serveur prononça quelques paroles incompréhensibles mais dont les différents sons harmoniques parurent à Alex tout empreints d’affabilité, d’autant plus que le jeune homme accompagna cette musique d’un large sourire.

Ce fut un grand réconfort pour Alex de rencontrer un congénère et de retrouver instantanément cette proximité virile, cette empathie spontanée, cette connivence entre mâles. Il retrouva un peu de sa fierté habituelle d’être un homme.

Il rendit son sourire à ce garçon et se rendit compte avec satisfaction que sa libido endormie commençait à se réveiller. Alex regarda partir ce garçon à la fois viril et gracieux, et remarqua avec intérêt la plastique avantageuse de son dos et de ses fesses.

Puis il engloutit littéralement le bol de riz parfumé au jasmin, le thé vert à la menthe, le gingembre confit et les dattes qui lui avaient été servis. Ensuite il s’assit sur son lit, dans l’attente du retour du jeune homme pour desservir. Peut-être ce beau brun avait-il été désigné pour lui apporter ses repas et entretenir sa chambre, auquel cas il aurait le plaisir de le voir plusieurs fois par jour. Sans doute parviendrait-il à communiquer avec lui. Encore faudrait-il employer le langage des gestes, et celui des regards.

Il fut bien déçu en voyant apparaître un grand type dégingandé et maigre comme un clou, au dos voûté et à la poitrine creuse, qui reprit le plateau en émettant quelques sons dont Alex ne put évaluer le degré d’aménité.

La journée se déroula sans que rien d’autre ne se passât que les allées et venues des serveurs de repas. Que les heures furent longues à regarder à travers les claustras des fenêtres, le jardin et le ciel, et à écouter le chant inconnu d’oiseaux invisibles dans les branches d’orangers !

Le beau brun ne réapparut que le soir, avec la même musicalité dans la voix et le même sourire prometteur.

C’est avec cette vision rassurante, qui avait beaucoup de mal à dissimuler toutes les images inquiétantes qui peuplaient son esprit, qu’il voulut s’endormir le soir. Sans s’en rendre compte, ce serveur avenant lui avait donné un viatique pour le pays des songes. Et c’est dans la foulée de ce départ que l’inconscient prit le relai pour lui offrir des rêves très agréables, presque féeriques, dans lesquels l’acteur principal, fantasque, imprévisible, était la tendresse.

 

Au petit matin il se réveilla comme d’habitude avec une trique d’enfer. Il s’interrogea un instant pour savoir s’il devait ou non honorer cette tentante invitation. Mais, crainte d’être surpris, et probablement puni selon le droit pénal matriarcal, de coups de fouet ou autre torture, ou crainte d’avoir, comme le laissait aisément deviner son interrogatoire, à rendre dans l’immédiat de virils honneurs à quelque femelle en mal de sensations clitoridiennes et vaginales, il décida de ne pas donner suite.

Il sursauta quand il entendit frapper à sa porte. C’était deux hommes qui apportaient des chaudrons d’eau chaude pour son bain.

 

 

Partie 6

 

 A peine avait-il terminé son petit déjeuner qu’arriva l’interprète.

 

 ─ Suis-moi, lui dit-elle.

 

 Elle lui fit longer le couloir sur lequel ouvrait sa chambre et l’introduisit, après avoir manœuvré une serrure impressionnante, dans une sorte d’antichambre somptueuse.

 

 ─ Attends ici. Une camériste va t’introduire auprès de la sultane. Sa Majesté n’a pas besoin d’interprète pour le dialogue des mains, des bouches, et la conversation des corps qu’elle veut établir avec toi. Dans ton intérêt, je te conseille de te soumettre à toutes ses volontés, et d’être le plus attentif possible à la satisfaction de ses sens.

 

 Il n’eut pas à attendre longtemps la venue d’une jeune fille vêtue de la même tunique blanche plissée que celle portée par les caméristes le jour de sa présentation à la sultane. D’un geste elle enjoignit à Alex de la suivre, lui fit franchir un sas fermé par deux double portes verrouillées, et disparut dans une coulisse de cet immense octogone dans lequel elle l’avait introduit. Cet espace théâtral était décoré avec un luxe et un raffinement qui confinait à la préciosité affectée. Du sommet de la coupole, retenu par un gros cabochon turquoise en émail ouvragé, retombait en corolle un plissé de soie de même couleur qui s’ancrait en haut des murs et se tendait devant les murs et les fenêtres, dont il tamisait et colorait la lumière. Le sol était une marqueterie de bois précieux de différentes couleurs dessinant des arabesques végétales et spirales, leitmotiv décoratif de ce palais. Face à Alex se dressait, sur un podium de velours bleu outremer, un énorme lit à baldaquin d’ébène retenant de légers voiles de taffetas atténuant encore la lumière filtrée par la soierie turquoise. Assise au bord du lit, raide comme un pantin de bois, dans un déshabillé de batiste bleue pâle brodée de fils d’or, la sultane !

 Alors qu’Alex amorce une prosternation à plat ventre comme la première fois, la statue vivante l’arrête d’un mouvement de la main droite, et cette même main lui fait signe d’approcher. Dés lors, Alex sait que le programme qui lui a été annoncé va commencer maintenant et il panique à l’idée de perdre ses moyens et de se révéler incapable de faire l’amour à cette créature dénuée de tout sex-appeal.

L’invitation à venir tout contre elle est impérative. La poitrine d’Alex vient effleurer son visage. Elle enserre sa taille de ses deux bras et l’attire contre son corps.

 Sans aucun doute le temps est venu pour lui de prendre des initiatives.

 « Il faut y aller, il faut absolument y aller » se dit-il.

Il l’enserre dans ses bras et la câline affectueusement en passant délicatement sa joue sur sa chevelure et en y déposant de tendres petits baisers.

 « Elle ne va pas se contenter de ces prémices, il faut passer à plus de coquineries »

 Il caresse son dos, ses épaules, et entreprend de délier le déshabillé qui était noué à la base du cou. Il le fait glisser vers l’arrière, dénudant les épaules, puis le buste tout entier. Elle desserre son étreinte pour laisser le fin tissu libérer ses avant-bras. Alors Alex, mettant un genou sur le lit pour prendre appui, passe doucement les bras sous ce corps, et le soulève et le porte sur la couche où il l’allonge dans toute sa nudité.

 Aussitôt il ferme les yeux. Ce qu’il vient de voir confirme ses craintes. Cette femme est affreusement maigre. Comme ils le font sur son visage, les os saillent partout sur son corps et sont revêtus d’une peau parcheminée grisâtre dont la souplesse semble s’être évanouie avec la jeunesse.

 Elle n’est pas vieille encore, et aucun pli ne vient signaler un fatidique affaissement des chairs. Au contraire la peau est partout tendue entre les reliefs osseux, formant des aplats où habituellement on rencontre de savoureuses plénitudes. Les seins sont minuscules, mais semblent encore relativement fermes. Le pubis rehausse un peu le paysage avec une toison dense et taillée avec soin. L’ensemble a un aspect maladif et Alex se sent dans la situation d’un carabin examinant une patiente.

 Alors il ferme les yeux pour se lancer en aveugle dans cette extravagante aventure amoureuse.

 

Partie 7

 

 Il aurait bien voulu pouvoir aussi occulter ses narines, car les effluves parfumées, suaves et capiteuses, qui lui parvenaient, achevaient de le mettre mal à l’aise et accentuaient sa nausée. Il était dans les meilleures conditions pour rater complètement sa prestation, avec toutes les conséquences néfastes et douloureuses dont il ne pouvait empêcher le film de se dérouler dans sa tête.

 Rien ne se passait, évidemment, au niveau de l’organe qui était censé être au cœur de l’action. Faire une prière pour solliciter son éveil n’était manifestement pas la solution dont il fallait attendre des miracles. Il fallait pourtant trouver quelque chose, et vite !

 Alors Alex partit faire un long voyage dans ses souvenirs et dans son imaginaire.

 Il commença par appeler à son secours les images les plus proches dans sa mémoire. C’étaient celles du beau serveur qui lui avait redonné un début de confiance en lui par un sourire plein de chaleur. Il caressa du regard ce corps séduisant en s’attardant sur les particularités alléchantes qu’il avait remarquées. Il s’attacha tout spécialement aux zones dont il attendait qu’elles jouent pleinement leur rôle érogène. Il aurait bien aimé explorer les autres qualités de ce garçon. Il se doutait bien que la musicalité de la voix et la gentillesse du sourire ne faisaient qu’exporter la générosité du cœur.

 Quand il eut épuisé les ressources de ce jeune homme, qui lui avait déjà redonné un semblant de vigueur et une timide ardeur manipulatrice, il alla chercher, à l’autre bout de ses souvenirs, ses premiers émois érotiques. Il revit ce jeune lycéen latino, Angelo, qu’il connut pendant ce court laps de temps où il fut interne. Il revécut avec délices ces instants somme toute assez inoffensifs mais qui avaient, en plus des jouissances réciproques qu’ils procuraient, la saveur de la découverte et le goût de l’interdit.

 A cette évocation il sentit revenir son impétuosité virile, mais il se garda bien de rouvrir les yeux, de crainte que sa véhémence ne retombât. Il zappa la vidéo de Marc, qui s’était subrepticement imbriquée dans celle d’Angelo, parce que la seule évocation de cette passion douloureuse pouvait anéantir tous les efforts entrepris jusqu’alors. Il convoqua la première fille à qui il fit l’amour. Un souvenir inoubliable, car…

 

« Jamais de la vie

 On ne l’oubliera

 La première fille qu’on a prise dans ses bras.

 On a beau faire le brave,

 Quand elle s’est mise nue

 Mon cœur t’en souviens-tu

 On n’en menait pas large. » Georges Brassens

 

Curieusement, Delphine s’estompa pour céder la place, non pas à un épisode vécu avec particulièrement d’intensité, mais à une rêverie amoureuse qui avait laissé ses sortilèges dans son cortex. Il revit Loukianos, ce jeune « païs » athénien qu’il avait instruit des pratiques de l’amour. Il était d’ailleurs, dans la confusion du songe, tantôt l’initiateur, tantôt Loukianos lui-même, l’initié.

 Cette évocation eut de très heureux effets sur son organe copulateur. Et les réactions en retour confirmèrent la bonne marche des opérations.

 

Mais le clou du voyage imaginaire, le nec plus ultra de ses souvenirs, celui qu’il gardait en extrême recours, celui qu’il allait utiliser aujourd’hui dans ce cas désespéré, était le fantôme de Thésée à Knossos, réincarné dans ce superbe jeune guide crétois, seulement approché et photographié le temps de la visite des vestiges du palais de Minos, dont le corps ferme et doux d’Adrien, aux parfums épicés er musqués, était la substitution.

 

Alex allait exploser. Il ne perçut pas la main qui se posait sur son épaule. D’autres mains parcouraient et labouraient son dos, ses hanches et ses fesses. Mais il entendit une voix qui ne lui était pas étrangère. C’était aussi une langue qui ne lui était pas étrangère. Et c’est bien lui qui était interpellé.

 

─ Alex ! Qu’est-ce qui t’arrive ? Ça fait un moment que tu t’agites comme un diable.

 

Il reconnut alors la voix d’Adrien, à côté de qui il dormait.

 

─ Je reviens de loin tu sais. C’est toi qui es venu me délivrer. Approche. Approche-toi plus près… j’ai besoin de toi, j’ai besoin de ta tendresse.

 


La suite arrive, pas d'impatience !

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