008 L'esclave
Quelle lecture avait-elle donc pu provoquer ce cauchemar insensé
qui l'avait réveillé vers deux heures du matin, couvert de
transpiration et parcouru de tremblements ? Et en même temps il avait
la gaule comme jamais et ressentait une irrépressible envie de jouir.
Paradoxal, non ?
Il se souvenait de cette lecture, maintenant qu'il
refaisait surface dans le conscient et le rationnel :
c'était un gros livre de Daniel Camus, "Les chevaliers du Royaume". Ce
roman historico légendaire racontait l'aventure d'un moine chevalier.
Aventure qui se passait au XII° siècle, au coeur de cet Orient des
croisades. Saladin, sultan d'Egypte, de Syrie et de Mésopotamie, se fit
le champion de la guerre sainte contre les chrétiens et remporta la
bataille décisive de Hattin contre les Templiers et les Hospitaliers.
Cela lui permit de s'emparer de Jérusalem, ce qui provoqua la troisième
croisade.
La description d'un marché aux esclaves lui
revint en mémoire : "Le Kurde commençait à s'impatienter. Quand Massala
revint, il tenait une laisse de cuir passée au coup d'un jeune esclave
qui avait pour tout vêtement un maigre pagne, et marchait pieds nus".
Quelques lignes plus loin était écrit quelque chose comme : "Vous avez
acheté là un bien beau garçon. Faites-en bon usage. Quel mal y a-t-il à
profiter des charmes d'un jeune homme ?"
Alex
était accroupi, depuis la veille, dans l'arrière boutique d'un
marchand. C'était une boutique mobile, qui se déplaçait de lieu en
lieu. Aujourd'hui on l'avait installée sur la place du marché d'une
petite cité fortifiée. Lors de la mise en place, Alex avait pu
apercevoir les échoppes voisines, ambulantes elles aussi. A gauche, un
homme chenu vendait des reliques. A droite, un couple de harpies,
monstres ailés à visages de femmes et à corps d'oiseaux de proie,
posait immobile devant l'étale. Etres vivants ou statues ? Alex n'avait
pas eu le temps de s'en rendre compte. Il avait entendu des
incantations venant de là, et remarqué l'étalage de racines de
mandragores. La place était noire de monde. Pas noire, en fait,
chamarrée, tant les couleurs des vêtements des femmes, et aussi des
hommes, étaient vives.
Alex était donc accroupi, et il l'était parmi huit hommes d'âges
variés, qui ne parlaient pas le même langage que lui. Il était
enchaîné à eux et ses pieds étaient entravés. Tous étaient vêtus de
guenilles plus ou moins crasseuses. De temps en temps le vieux marchand
venait chercher deux d'entre eux, quelque fois trois, et les emmenait
vers le "salon" de la roulotte. Au bout d'un moment ile
revenaient tous, ou bien il en manquait un. Et le manège recommençait,
et les effectifs diminuaient. Les heures passaient ainsi, dans la
chaleur étouffante de cet enclos exigu, dans la promiscuité des corps
dégageant des odeurs rances de transpiration et d'urine, la gorge
desséchée, la peur au ventre.
Ce fut vers la fin de la
matinée que le vieux manant prognathe vint le chercher. Lui tout seul.
Il l'introduisit dans le "salon", espace de la roulotte tendu de
velours cramoisi, ouvert d'un côté, en podium, vers la foule.
-- Et voilà le clou de ma collection, le plus bel article
du marché, cria le marchand. Venez voir de la belle marchandise, du
beau, du bon, du frais, du pas cher... Approchez, approchez.
La foule s'agglutinait devant la roulotte.
-- Cent pour cent garanti, satisfait ou remboursé. Ici on ne vous cache rien. Ici on vous montre tout...
Déshabille-toi, ordonna-t-il à Alex en agitant sa cravache. Complètement.
Regardez,
mesdames et messieurs, il a du muscle... Vous avez vu ses épaules ? Ses
biceps ? Ses pectoraux ? Et puis côté organes on ne fait pas mieux !!
Fais voir tes fesses et tes cuisses... C'est pas beau ça ?
Approche-toi du bord.
Vous pouvez toucher, mesdames et messieurs, tâtez comme c'est ferme, pensez à tous les usages que vous pourrez en faire...
Aussitôt des mains s'emparèrent des chevilles d'Alex, montèrent
vers les mollets en palpant hardiment, puis vers les genoux, puis les
cuisses... Et alors se produisit un phénomène extraordinaire. Etait-ce
sous l'effet du fumet de mandragore qui se dégageait de l'échoppe
voisine ? Toujours est-il que les mains baladeuses se transformèrent en
serpents qui s'enroulaient autour des membres inférieurs d'Alex. Ils
étaient de plus en plus nombreux et de plus en plus entreprenants.
Franchissant les limites des cuisses, l'un d'entre eux s'enroula autour
du sexe, tandis qu'un autre, s'enfilant entre les fesses, tentait de
s'introduire à l'intérieur de son corps.
Alex était
pétrifié. Il n'osait se défendre de peur de se faire mordre
motellement. Un serpent le pénétra entièrement. Il le sentait ramper et
progresser dans son intimité. Un deuxième le suivit, puis un troisième.
C'est à ce moment qu'il s'évanouit.