127 Le banc public (9°partie: Zoran)
« Mais c’est Zoran que j’aperçois ! Non, ce n’est pas possible qu’il soit venu ! Il m’a toujours plus ou moins snobé. »
Zoran, c’est une de mes occasions manquées. Manquée, comme tant d’autres, à cause de ma réserve, de ma timidité, de mes hésitations, de mon orgueil qui me fait toujours craindre une rebuffade, ou pire des sarcasmes.
Je trouvais Zoran particulièrement attirant, particulièrement sexy. Très brun, yeux noirs, peau mate presque foncée, pas très grand mais un corps superbement charpenté, une souplesse d’acrobate. Je le voyais toujours vêtu d’une chemise blanche à col ouvert, un peu trop ample à mon goût, et d’un pantalon gris clair qui faisait une apparaître une jolie bosse suggestive sur le devant. Ce beau ténébreux était serveur au buffet lors des vernissages de la galerie L… auxquels je me faisais toujours un plaisir de me rendre. J’avais appris qu’il était serbe, qu’il avait dix neuf ans et qu’il allait passer son bac dans une section artistique.
La première fois qu’il m’offrit une flûte de champagne, je crus déceler un je ne sais quoi lorsque nos yeux se croisèrent. Hélas je me suis tant de fois trompé que je me demandai aussitôt si ce n’était pas la petite décharge électrique que j’avais reçue qui m’avait fait percevoir cet éclat très bref de son regard noir, un rien trop insistant. Mon imagination est telle, surtout dans une galerie où les œuvres exposées la sollicitent, qu’elle remplace la plate réalité de mes observations par l’imagerie de mes désirs. Je restai donc prudent et me contentai de jeter de temps à autre un regard assez furtif du côté du buffet, tandis que j’affectai de m’intéresser au monologue auto satisfait d’un interlocuteur occasionnel.
Lorsque je retournai au buffet, Zoran était de dos, penché en avant vers ses réserves de champagne. J’eus tout loisir d’admirer la musculature de son dos sous le tissu tendu de la chemise, et la jolie dépression séparant les lobes rebondis de ses fesses. Je sentis monter une érection et j’entrepris de le déshabiller. Mais je n’eus pas le temps d’achever mon œuvre car, sentant une présence derrière lui, Zoran se redressa et se retourna pour me verser une flûte de champagne, qu’il me tendit avec un sourire qui me fit mal tant il me parut de circonstance, un tantinet narquois peut-être, en tout cas sans une once d’encouragement. Déçu, je ne revins plus au buffet de la soirée.
Au vernissage suivant, mon premier regard se coula vers le buffet pour m’assurer de la présence du beau serveur. Zoran était bien là, chemise blanche et pantalon gris comme d’habitude. Comment m’accueillerait-il cette fois ? Avec froideur ? Avec un sourire stéréotypé ? Avec un petit signe imperceptible dans les yeux ? Avec un léger frôlement de main en me tendant le verre ?
« Mon chéri, j’ai tellement envie de te prendre dans mes bras ! »
Ce soir-là je rencontrai Willy, qui affichait ostensiblement son homosexualité, et que je trouvai encore grossi. C’était un garçon un peu bouffi, avec un estomac déjà pas mal dilaté à l’extérieur, et une calvitie précoce. Je ne lui trouvais aucun charme et craignais toujours qu’il m’en trouvât un peu trop. Mais il savait garder ses distances avec moi, et je dois reconnaître que sa conversation était souvent intéressante. Ce soir il me parut tout excité, euphorique, détenteur d’une bonne nouvelle qu’il avait hâte de me communiquer.
Tu vois le serveur au buffet, Alex ?
Oui, bien sûr, je le vois.
Il est beau, non ?
Oui, il est beau.
Eh bien il vient de me filer un rendez-vous.
Mais comment fait-il donc, ce Willy, pour se payer tous ces jolis garçons ? Qu’est-ce qu’ils peuvent bien lui trouver d’irrésistible ?
« Zoran, mon chéri, je verse une larme sur l’amour que tu ne me laisses pas te donner. »
A suivre ...