125 La croisière ( 2° partie, fin )

Cette nuit je me levai pour aller aux toilettes, m’efforçant de rendre mon déplacement le plus discret possible. Lorsque je traversai le carré, je remarquai que le drap dans lequel Tarik s’enroulait pour dormir, avait glissé. Un rayon de lune, passant par le hublot, éclairait délicatement sa complète nudité. Il magnifiait les formes et exaltait la sensualité de ce corps harmonieux, délicieusement abandonné au sommeil.
Je restai un moment à l’observer, sentant monter en moi une furieuse envie de ce garçon dont j’ignorais totalement les préférences sexuelles.
Vivant en couple avec Dora, je m’étais jusqu’alors interdit de remarquer que Tarik avait été généreusement doté par la nature, et pourvu de tous les attributs de la séduction. Il n’en usait d’ailleurs pas, ne faisant jamais preuve, dans son joyeux rayonnement, d’attitudes ou de propos séducteurs. A tel point que je me demandais s’il avait un intérêt pour le sexe, et s’il était parfois taraudé par des appétits insatiables.
J’essayai de chasser cette pulsion attentatoire à mon éthique, mais ne pus arracher mon regard des formes pleines et fermes de ce corps ouvert à toutes les promesses de volupté. Je restai ainsi un long moment qui me parut trop court. Finalement, la crainte que Tarik s’éveillât, et qu’il me surprenne à le mater, me remit sur le chemin des toilettes, où je constatai que l’éveil de mes sens était tel qu’il me fallut satisfaire au rituel libérateur.
J’eus alors la douloureuse pensée, lorsque m’apparut en arrière plan l’image évanescente de Dora, d’éprouver un plaisir illicite.
Je revins me coucher, et enlaçai amoureusement Dora, honteux de ma trahison, résolu à chasser les images qui s’étaient cette nuit incrustées dans ma mémoire et qui rongeaient ma conscience comme une armée de piranhas. Arriverai-je un jour à choisir définitivement mon camp ?

Le lendemain, le voilier faisant route au portant, Tarik décida d’envoyer le spi. Après un bref rappel théorique pour nous coordonner dans la manœuvre, et après avoir défini le rôle de chacun, nous passâmes à la pratique. Tout se déroulait dans les meilleures conditions, Lilian à la barre, Tarik sous le vent, à l’écoute de spi, quand tout à coup la drisse d’amure échappa à Dora au moment de la mettre au taquet. Le spi se mit brusquement en travers et le voilier prit un sérieux coup de gîte et partit au lof. Je perdis l’équilibre et fus précipité sur Tarik bras ouverts pour bloquer l’écoute de spi, tête tournée vers le barreur pour lui dire : « reprends le cap ».
Je sentis ma peau frotter sur le buste de Tarek, et mes lèvres se plaquer dans son cou, tandis que ma cuisse s’était plantée entre les siennes. Malgré sa brutalité, je ressentis cet instant comme voluptueux. Mais je n’en laissai rien paraître et me rétablis aussitôt.

─ Excuse-moi, Tarek
─ Pas de mal, va aider Dora à récupérer le point d’amure. Pourquoi c’est pas elle qui est tombée dans mes bras ?

J’appris ainsi à craindre Tarik. Craindre ses lèvres, craindre son sourire, ses yeux malicieux et intelligents, la couleur ambrée de sa peau, ses petites aréoles brunes haut perchées sur la courbure des muscles, son nombril aguicheur, le galbe de ses cuisses, et tout ce que j’avais découvert, la nuit précédente, des sucreries de son anatomie. Ce que je craignais de lui, c’est le trouble qu’il faisait naître en moi, acharné que j’étais à me convaincre que j’aimais d’amour Dora.
Qui donc régit ces sens qui sans cesse me trahissent, m’entraînent au désir de ce que je n’ai pas, et me poussent à renier ce que je voudrais être.