122 Vol annulé ( 1re partie )

Il le vit tout vêtu d’alpaga blanc comme s‘il était un ange sculpté dans un nuage. C’est cette image qu’il voulut conserver de lui, car elle était belle et il ne s’y sentait pas impliqué. D’autres belles images de lui, il en avait tout plein, mais elles parlaient de leur amour, de ce temps révolu où ils s’étaient tant aimés. Il évitait de les convoquer, tant la douleur, tapie quelque part sous des tas de souvenirs, étouffée mais point morte, se dressait à nouveau, à la moindre sollicitation, comme un serpent venimeux prêt à la morsure.

Il avait vécu avec lui une passion brûlante mais trop brève.
Dans l’aéroport, lors d’un vol pour Lisbonne annulé par abus de grève d’une catégorie de personnel, ce garçon à peine sorti de la splendeur adolescente était à côté de lui dans la file d’attente pour un vol de remplacement. La conversation s’était engagée tout naturellement. 18, 19 ans, blond, beaux yeux d’une intense et inhabituelle couleur bleue, visage avenant, rieur. Sous les vêtements mal assortis et plutôt mal taillés, un corps se laissait deviner plein de ressources. Sa conversation était plaisante, émaillée de mots d’humour, un peu sur tous les sujets, avec une nette prédilection pour ceux concernant la musique. Un peu musicien lui-même, passionné d’électronique, s’évertuant à obtenir des accords inattendus sur son synthétiseur.
Alex établit très vite avec lui une relation de sympathie, manifestement partagée.
Une navette conduisit les passagers de l’avion immobilisé vers un hébergement en attendant un vol le lendemain. Ils s’installèrent dans leurs chambres d’hôtel.
A peine entré dans sa chambre, Alex entendit frapper à sa porte :

 Entrez

C’était lui, Julien.

 Si tu veux venir prendre un drink dans ma chambre, il y a un bar bien garni.
 OK, mais puisque tu es là, c’est moi qui t’invite. Il y a le même bar.
 Bon, j’veux bien.

Julien se laissa tomber sur le lit tandis qu’Alex apportait un assortiment de boissons.

 Il fait chaud là-dedans, tu n’as pas envie de te mettre à l’aise ?
 Oui, t’as raison. Ils se mirent en t-shirt.
 Tu sais, après ce qu’on a sué dans l’aéroport, j’aimerais me doucher, se risqua à dire Alex, étant à peu près convaincu que son envie de partager une plus grande intimité avec Julien était partagée.
 Oui, moi aussi, je vais te laisser, on se verra demain.
 Si j’osais, dit Alex en se sentant rougir un peu, je te dirais de la prendre ici, avec moi.

Il avait eu le courage de lancer cette invitation sans équivoque. Mais il avait douté aussitôt qu’elle fût bien reçue, et craint d’être rejeté. Il s’était senti attiré par ce garçon dès l’abord, et avait vite perçu que sous ses dehors un peu rigolards, il n’était pas plus hardi que lui. Pourtant c’était lui qui avait fait le premier pas en venant l’inviter dans sa chambre. Alors il s’était jeté à l’eau, au risque d’une rebuffade. Mais son audace fut récompensée, par une réponse teintée d’humour, dans le style cher à son partenaire :

 J’allais justement te le proposer, ta salle de bain est beaucoup mieux que la mienne.

À suivre ...