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Confidences d'Alex
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  • Chronique de la sexualité du jeune Alex. La sexualité ambigüe de son adolescence, ses inhibitions, ses interrogations, ses rêves, ses fantasmes, ses délires, ses aventures, ses expériences.
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12 août 2008

104 Randonnée ( épisode intégral )

Vêtu d’un pantacourt et d’un sweat, chaussé de ses chaussures d’escalade à semelle Vibram, les pouces accrochés aux sangles du sac à dos, Alex est parti de bon matin chercher l’air de l’altitude.

« Un an. Il y avait un an que nous nous étions rencontrés. Chacun de nos cœurs s’étaient mis à battre un peu plus vite, nos gestes et nos paroles avaient été tout à coup plus saccadés, ou plus nerveux. Et puis nous avions ri quand nous nous étions dit, en même temps, au moment de partir, après avoir fait nos adieux aux autres : « On se revoit quand ? ».
Nous nous étions revus le lendemain. Puis tous les jours suivants. Puis toutes les nuits. Puis tu t’étais installé chez moi et nous vivions ensemble.

─ Aïe ! Cette grosse pierre, tu ne l’avais pas vue ? Tu as failli te casser la gueule !

Tu m’aimais comme un fou, disais-tu. Et je crois bien que moi aussi, même si je ne m’en étais pas aperçu sur le moment.
Tu étais grand, tu avais de larges épaules et une taille fine. Un visage avenant, des cheveux blonds, vraiment blonds, pas décolorés, et des iris de jade qui racontaient tous les merveilleux voyages à venir.
J’avais de la chance. Tu me faisais prendre la vie avec allégresse. Avec toi, je traversais le travail, les ennuis, la fatigue, sans même m’en apercevoir.

─ Espèce de con. Tu n’as pas vu que ce passage était glissant ? Encore un peu t’étais sur le cul !

Pourquoi es-tu si sombre aujourd’hui ? Non, tu ne peux pas être sombre avec tes cheveux blonds, ton teint clair et tes yeux verts. Ce n’est pas le terme qui convient. Pourquoi es-tu si triste aujourd’hui ? T’aurais-je fait de la peine ? Je cherche de quel chagrin je pourrais être la cause. Je passe en revue nos conversations de la soirée d’hier. Je fais défiler les menus faits et gestes qui composent l’ordinaire d’une activité journalière. Je revis la nuit dernière, nos caresses, nos émois, nos ébats. C’est vrai que tu n’étais pas dans la meilleure forme. Je t’ai connu plus ardent, plus impatient, plus avide, plus passionné. Surmenage ? Lassitude passagère ? Je ne t’en veux pas. J’accepte tout de toi, sauf de lire de la mélancolie dans tes beaux yeux.

─ T’es complètement dans la lune. Tu t’es gourré de chemin. Là-bas, c’est à gauche qu’il fallait prendre. Maintenant tu n’as plus qu’à faire une traversée dans cette caillasse pour retrouver le bon sentier.

Je suis allé te chercher à la sortie de ton travail, l’autre jour. Je pensais te faire plaisir. Une fois, exceptionnellement, ça ne peut pas te compromettre auprès de tes collègues. Et puis ça t’évitait d’attendre le bus sous la pluie, et de faire ce long trajet dans la promiscuité et les odeurs que tu supportes si mal. Le cuir et les CD de ma voiture, c’est quand même mieux. Je n’ai pas compris que tu me fasses plus ou moins la gueule toute la soirée. Est-ce que je te surveille ? Evidemment non. J’ai confiance en toi. C’était par pure gentillesse que je suis allé te chercher.
J’ai voulu te raconter des petites anecdotes amusantes de ma vie pour te dérider. J’aime bien raconter. J’ai l’impression que ça t’a irrité un peu plus.
Tu n’as pas voulu que nous prenions notre douche ensemble comme nous en avions maintenant l’habitude le soir. Tu as pris deux cachets d’aspirine pour arrêter un mal de tête naissant, et tu t’es couché en te tournant vers le mur. Je me suis approché de toi. Je me suis plaqué contre toi comme j’aime tant le faire pour m’endormir. Tu m’as laissé faire. Mais je n’ai pas osé glisser mes doigts le long de ton ventre, flatter au passage les poils de ta toison, et poser ma main sur ton sexe, comme un oiseau se pose avec douceur sur son nid.

─ Merde ! Tu n’as pas vu que cette pierre était bancale pour traverser ce torrent ? C’est malin ! Maintenant tu as un pied mouillé.

 

Tu es arrivé en pyjama pour le petit déjeuner. En pyjama ! C’est bien la première fois que je te vois en pyjama. Il ne te va pas du tout d’ailleurs. Tu es tellement mieux sans ! En slip, ou alors nu comme il t’arrive parfois. C’est bien sûr cette dernière tenue que je te préfère. Mais je sais, il ne faut pas en abuser. Il faut garder une certaine rareté à ces moments-là pour ne pas les banaliser, pour que l’accoutumance ne les dévalorise pas.
Tu viens me dire bonjour en m’embrassant sur les deux joues. Puis tu te sers un bol de thé et fait griller quelques toasts. Tu t’assoies et t’installes dans ton mutisme. Pourquoi ne me racontes-tu plus tes rêves ? J’aimais tant que tu inventes pour moi des histoires à dormir debout, avec des anecdotes dont tu savais qu’elles me toucheraient. Car tu les inventais, et j’en étais heureux, parce que je les prenais pour une preuve d’amour.
Hier soir tu lisais. Il ne fallait pas te parler. Ça t’empêchait de comprendre ce que tu lisais. Et moi j’avais envie de te parler. Parce que être là côte à côte avec chacun son bouquin, enfermé dans sa petite sphère étanche, ça me fait penser à ces vieux couples qui n’ont plus rien à se dire.

─ Si tu t’arrêtes toutes les cinq minutes, tu n’es pas prêt d’arriver au sommet. Il y a quand même 1400 m de dénivelé à te foutre dans les pattes !

Tu as éteint ta lampe, m’as dit bonne nuit du bout des lèvres, et t’es tourné de côté, du côté du mur que tu affectionnes tant quand tu veux me fuir. Tu as gardé ton slip pour dormir, toi qui m’as vanté les avantages de dormir nu. Tu sais pourtant que j’aime sentir ta peau tout le long de mon corps. Mon visage sur ta nuque, mes seins contre ton dos, mon ventre plaqué à tes reins, mon sexe dans le creux de tes fesses. Mais tu sembles refuser ce rituel ce soir, et je n’ose pas m’approcher de toi, surtout que tu fais semblant de dormir.
Nous sommes restés l’un à côté de l’autre comme deux étrangers qui doivent fortuitement partager le même lit.
J’ai mis les mains sur mon sexe, stupidement et inutilement dressé, et j’ai gardé longtemps les yeux ouverts dans le noir. Dans le noir.

─ Ouvre bien les yeux, justement. Regarde ta carte si tu n’es pas sûr. Pas question de t’égarer. Tu t’es donné un but. Il faut atteindre ce but. Là-haut tu prendras ta résolution. Pour le moment, grimpe sans réfléchir.

Dis-le moi si tu ne m’aimes plus. Aie ce courage. Ne me laisse pas dans cette incertitude qui me ronge. Le paradoxe, c’est que je m’attache d’autant plus à toi que tu m’échappes.
Moi l’orgueilleux, le passionné qui se targue de toujours tenir ses passions en laisse, je suis en manque de toi.

Tu ne m’as pas appelé aujourd’hui, comme tu le fais d’habitude, à la pause déjeuner. J’ai eu envie de t’appeler, moi. Mais j’ai ma fierté. Ne crois pas que je vais m’accrocher à toi. Je suis capable d’entendre que tu ne m’aimes plus. Mais je veux que tu me le dises en face. Pas que tu emploies ces méthodes fuyantes. Pas que tu sois lâche. J’ai besoin de te garder mon estime, même si je dois te perdre.

─ A propos de perdre, je crois que je me suis écarté de l’itinéraire. Que dit la carte ? Prendre à droite avant d’atteindre le col et contourner l’éperon rocheux qui surplombe un petit lac à demi asséché.
Allez, petite pause grignotage, avant de repartir du bon pied.

 

Si je ferme les yeux, je vois ton visage. Je mets la main dans tes cheveux blonds dont les mèches retombent sur le front. Je passe un doigt sur tes lèvres. Je caresse ta poitrine et j’embrasse tes petits seins. Je descends mon doigt le long de tes abdominaux, décris un petit cercle autour du nombril et continue ma route en effleurant les petits poils presque invisibles qui tapissent la ligne médiane de ton ventre,…

─ Rouvre les yeux, p’tit con. Arrête de rêver. Tu es en montagne. Et tu es tout seul. Il faut être vigilant.

J’aurais aimé t’emmener en montagne. Je t’aurais fait découvrir ces paysages merveilleux que j’aime tant. Je connais des petits sommets faciles d’accès où le panorama est magnifique. Le Mont Blanc, bien sûr. Mais aussi la Verte, les Grandes Jorasses, les aiguilles de Chamonix, les Dents du Midi, le Mont Ruan,… Seulement, il faut le mériter, le panorama. Il faut faire un effort de volonté, un effort physique, transpirer un peu, souffrir un peu parfois. Et ça tu n’aimes pas. Il faut toujours te trimballer en voiture ou en moto, prendre des pots par ci, prendre des pots par là. Sais-tu que la meilleure canette est celle que tu bois bien fraîche dans un petit bistrot au retour d’une belle randonnée par une chaude journée ? Tu n’aimes pas vraiment la nature, sinon tu te pousserais un peu au cul. Tu as vingt deux ans et tu as un corps très flatteur, mais ton indolence va vite l’amollir. Ton petit ventre encore adorable va s’arrondir tout doucement, imperceptiblement d’abord, puis substantiellement, et irrémédiablement. Tu seras un trentenaire bedonnant avec de grasses poignées d’amour, qui se mettra à suivre un régime amincissant par des pilules et des séances de massage, c’est-à-dire sans effort. Et aussi sans résultat.

─ Là il faut prendre directement dans la pente, jusqu’aux rochers là-haut. C’est assez raide. Tiens, on commence à apercevoir de hauts sommets. Je m’arrête un moment pour souffler.

Ton corps. Je n’arrive jamais à me rassasier de ton corps. J’aime regarder ton corps. Tu es là étendu à côté de moi, à moitié endormi. Je pose juste deux doigts au creux de ton aine droite, à la limite des poils bouclés de ta toison dorée, là où je sens battre ton cœur. Tu t’éveilles et me souris. Je retire mes doigts et je te regarde. J’adore ce moment où mon seul regard fait gonfler ton sexe, le fait s’étendre, rouler sur le côté, se redresser, venir s’appuyer contre le ventre, et me faire quelques salutations de bienvenue. C’est le début de nos caresses et de nos enlacements. C’était. Car tu me sembles maintenant plus indifférent à mes regards, et tu me refuses parfois ton corps.

─ Ce cri !
Non, ce n’est pas moi qui ai poussé un cri de désespoir. D’ailleurs ce n’est pas un cri c’est un sifflement. C’est une marmotte qui a repéré l’intrus que je suis et qui sonne l’alerte. Elles sont sauvages ces bestioles. Je n’ai jamais réussi à en voir une. Elles sont déjà toutes dans leur terrier maintenant.

 

Qu’est-ce que j’étais en train de me raconter ? Ah oui, ton corps. Lui aussi m’échappe. Je suppose que tu préfères le réserver à d’autres. Tu me jures tes grands dieux que je me fais des idées, que jamais tu ne me trahiras. Tu me regardes en souriant, tu poses la main sur mon épaule, m’embrasses sur l’oreille : « Je vais nous chercher un whisky, ça nous fera du bien ».Tu cherches à être gentil et prévenant. Pourtant je te sens ailleurs. Où ? Je ne sais pas. Mais pas avec moi en tout cas. Avec les amis ? Ceux que tu m’as présentés ? Ceux que je ne connais pas ?
Sortir, voir des gens, faire des rencontres, t’amuser, te faire remarquer, te faire désirer, voilà ce que tu aimes. Bien sûr un couple n’est pas une prison. Je suis le premier à défendre ma liberté. Je ne transige pas sur mon indépendance. Le corollaire c’est la confiance. J’ai confiance en toi, ou plutôt j’ai eu confiance en toi. Maintenant permets-moi d’avoir des doutes. Je ne demande vraiment si tu n’es pas un franc-tireur.

─ Ça y est, j’ai atteint les rochers. Ils n’ont pas l’air bien méchants. Va pour un peu d’escalade. Mais alors tu fais gaffe à bien choisir tes prises, parce que la roche paraît un peu pourrie. Tu reprendras tes gamberges quand tu auras franchi l’obstacle.

─ Voilà qui est fait. C’était vraiment facile. Le reste est maintenant de la promenade. Il y a très peu de randonneurs ici, ils sont rebutés par ce passage un peu exposé. Seul. Je veux être seul aujourd’hui.

Franc-tireur. C’est sur ce vilain mot que je t’ai laissé. Sur mes doutes.
Comment ne douterais-je pas ? La soirée chez Cyril avant-hier. Un bon groupe de joyeux lurons. De bons vins. Il avait bien fait les choses. Excellents les petits pâtés en croûte, la tapenade sur ce pain de campagne artisanal, les mini boudins bancs truffés de champignons,…
Toute la soirée j’ai observé vos échanges de regards. Tu ne le regardes pas comme tu regardes les autres. Pas comme tu me regardes. Comment le vois-tu ? Il est mignon, sans plus. Une silhouette avantageuse. Un chouia efféminé dans certains petits mouvements de mains. Je n’aime pas les efféminés. J’aime la virilité, et je commence à trouver que tu n’en as pas assez. Il te plaît, c’est évident. Je ne sais pas encore si tu veux le conquérir par jeu ou si tu te sens des affinités profondes avec lui.
Tu t’es assis à côté de lui, vous avez échangé vos verres pour, soi disant, goûter ce vin-ci, qui est meilleur que ce vin-là. Vous n’êtes pas allés jusqu’à manger un boudin en le prenant chacun par un bout, mais j’ai bien vu que ce n’était pas l’envie qui vous manquait. Non, ce n’est pas le vin qui m’a provoqué des hallucinations. J’ai trop bu, c’est sûr, mais j’avais toute ma lucidité. Ainsi j’ai bien remarqué que tu étais gentil avec moi. Avec moi aussi. J’ai également bien vu qu’à un moment, un très long moment en fait, tes deux mains n’étaient plus sur la table. Ta main gauche était sous la table. Bien sûr qu’elle était posée sur la cuisse de Cyril. Et quand je dis sur la cuisse, je suis certainement à côté de la vérité.

 

Evidemment tu contestes tout ce que je viens de dire. J’affabule. J’étais saoul. La preuve c’est que j’ai été malade en rentrant. J’ai vomi. Moi je sais pourquoi j’ai vomi. Ce n’est pas le trop plein de vin que mon estomac n’a pas supporté, c’est ton comportement qui m’a retourné le cœur.
Quand je pense que c’est moi qui t’ai fait connaître ce garçon ! Tu t’en souviens j’espère. C’était il y a trois semaines. Tu m’avais supplié de t’accompagner dans cette boîte gay où je n’avais pas du tout envie d’aller. Je n’aime pas les « milieux », qu’ils soient gays ou autres. Ils me font toujours penser à des ghettos. Ils sont fermés sur leurs habitudes, sur leurs coutumes, sur leurs entre soi. Le communautarisme, c’est un enfermement. Moi, je me veux un esprit ouvert, je veux élargir ma pensée.
J’ai cédé à tes supplications, et j’ai fait contre mauvaise fortune bon cœur. Après avoir avalé deux ou trois whisky j’étais tout à fait dans l’ambiance et j’ai eu plaisir à danser avec toi.

─ Voilà le sommet. Je le vois enfin. Il est encore loin mais l’approche est sans embûche. C’est une grande pente herbeuse pas très raide, que je prends quand même en lacets.

A un moment Cyril est entré, accompagné d’un fade asiatique qui paraissait très intimidé.
Cyril, je l’avais vu un jour chez des amis communs et il m’avait paru sympa, gentil, plein d’optimisme et de gaieté. Je n’aime pas les rabat-joie, ceux qui sont toujours en train de chercher quel problème ils pourraient bien avoir. Nous nous étions revus une fois ou deux, je ne me souviens plus à quelle occasion. Je ne souhaitais pas avoir des relations plus amicales avec ce garçon espiègle que je soupçonnais de légèreté. Mais le rencontrer m’était agréable parce qu’il mettait toujours de la vivacité et de la bonne humeur dans les conversations.

─ Mais elle n’en finit pas cette pente ! Ou alors c’est le sommet qui recule au fur et à mesure que j’avance. Je finirai bien par l’atteindre. J’ai beaucoup de défauts et j’ai au moins une qualité : je suis tenace et persévérant.

Je m’étais fait un plaisir de te le présenter, et j’avais tout de suite compris que tu n’étais pas insensible à sa pétulance. Tu avais beaucoup dansé avec lui, laissant dans l’ombre son empoté d’asiatique, et me laissant aussi à l’écart. Mais tu savais que je n’aime pas m’épuiser longtemps en gesticulations rythmées qui me couvrent de transpiration et ne m’apportent pas le contact et l’échange charnels que j’attends de la danse.

─ Voilà. J’arrive. Plus que quelques centaines de mètres. Le panorama va être magnifique. Mais aujourd’hui je ne suis pas venu pour le panorama.

Tu en as fait un peu trop. Tu avais chaud, c’est sûr, à te démener comme un diable. Ce n’était pas une raison pour débuter un strip en enlevant ton T-shirt. C’est vrai, tu n’étais pas le seul à te mettre torse nu. Quand même c’était un geste de pure séduction. Tu le sais trop que tu as de belles épaules, des pecs bien dessinés, et une taille super fine. Tu fais toujours ton petit effet quand tu dévoiles tout ça, surtout dans ce genre de boîte.
Je ne t’ai fait aucun reproche. J’ai été aimable quand tu es revenu à notre table, tout essoufflé et couvert de sueur. J’ai eu très envie de toi à ce moment là. J’ai eu aussi très peur de te perdre. C’est là que je me suis aperçu que tu m’échappais, et que j’étais attaché à toi.
Attaché jusqu’à quel point ? Au point de perdre ma lucidité ? De perdre mon contrôle ? J’espère que non. Je me décevrais beaucoup dans ce cas. J’ai une conception de l’amour que beaucoup rejettent parce qu’elle n’est pas romantique, pas assez émotionnelle, pas assez passionnée. Cette conception, j’y tiens énormément depuis que j’ai tant souffert, au sortir de mon adolescence, d’un amour non partagé sur lequel je fondais le socle de ma vie. Mais sait-on jamais ? Ai-je sous-estimé ma vulnérabilité ? Faut-il citer la célèbre phrase de Pascal, quitte à faire un contresens sur sa pensée : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas ».

 

─ Je suis au sommet. Impressionnant !
Le versant nord n’a rien de comparable avec son homologue du sud. Il y a bien trois cents mètres d’à-pic là-dessous ! De sacrées falaises ! Qu’on ne voit d’ailleurs pas car le sommet est en surplomb. On pourrait faire un très beau saut à l’élastique d’ici. Et aussi un très beau saut sans élastique. Radical. On ne peut pas se rater.

Je suis venu ici me contraindre à la lucidité.
J’ai trop parlé par la voix du cœur, je voudrais me répondre par celle de la raison.
Fabian, nous avons toujours ensemble de merveilleux moments. Tu me dis des mots si tendres, tu veux tellement me rassurer sur ton amour. Comment pourrais-je en douter ? Comment puis-je être affecté quand tu joues au séducteur ? Tu le fais exprès pour me rendre jaloux. Et puis tu es comme ça, tu as toujours cherché à plaire, tu as toujours voulu tester ton charme. Mais cela reste au plan de l’attitude. Tu ne souhaites pas engager une relation intime, c’est seulement pour te rassurer sur toi-même. Parce que, en réalité,  ce petit jeu n’est que la manifestation de ton inquiétude. Tu n’es pas sûr de toi du tout. En rien. C’est sans doute pour cela que tu es si peu entreprenant. Tu te sens tout mou à l’intérieur alors qu’en apparence tu es un garçon plein de vie dont la morphologie évoque le mouvement. Tu me dis avoir besoin de quelqu’un comme moi pour t’apprendre à avoir confiance en toi, pour t’aider à te structurer et ne plus te laisser guider par des incertitudes.
Non, tu ne joues pas double jeu. Non, tu n’es pas amoureux de Cyril. Tu le trouves amusant, c’est tout. Je ne dois pas du tout le prendre pour un rival. Ce serait une absurdité. Tu m’assures qu’il ne fait pas le poids à côté de moi.

─ Je suis content de te l’entendre dire, Fabian. Il n’empêche que tu lui trouves un beau petit cul.
─ Ne sois pas bête et vulgaire, Alex, ça ne te ressemble pas.

Je n’ose pas te demander si tu as couché avec lui. De toute façon tu me répondras par la négative, en jurant une fois de plus que tu ne me trahiras jamais, que tu n’es pas un lâche, que tu aurais le courage de me dire la vérité. Que tout simplement je fais une crise de jalousie injustifiée et que tu en es très meurtri.
Sur le moment j’accepte tes allégations avec un lâche soulagement. Et c’est moi que je condamne : j’ai sur toi un regard trop possessif. Je te veux à moi et rien qu’à moi, et ce n’est pas cela aimer vraiment. J’exige de toi ce que je n’aimerais pas que l’on exige de moi. Il est vrai que je n’ai pas le même comportement que toi. Je ne drague pas, je ne cherche pas à séduire, je sais ce que je veux, c’est la fidélité. Galvaudé peut-être, ce mot. Tombé en désuétude. Pas pour moi.

  -  Je suis venu ici pour prendre une décision.
Que dois-je faire pour faire taire mes interrogations et dissiper mes états d’âme ?
Que dois-je faire pour, il faut bien le dire, mettre un terme à ma souffrance ?
Que dois-je faire ?
Sauter du haut de ces vertigineuses falaises ?

Y a-t-il des gens qui se sont suicidé de ce sommet ? Je n’en ai pas entendu parler. Quelquefois on dit accident de montagne, mais en réalité c’est un accident volontaire. Le véritable accident mortel n’est d’ailleurs pas un drame épouvantable pour celui qui meurt. Pour ceux qui restent, oui. Mais mourir en se livrant à un plaisir, ce n’est pas mal. C’est bien aussi de mourir en faisant l’amour. Mourir pendant un instant de bonheur, c’est quand même mieux que dans la souffrance, la déchéance, la détresse.
Le suicide par chagrin d’amour ne m’a jamais ému énormément. Je l’ai toujours trouvé un peu ridicule. Cela ne m’a pas empêché de pleurer comme une madeleine à l’enterrement d’un jeune de dix sept ans que je connaissais et qui s’est foutu en l’air parce que sa copine l’avait quitté. J’ai pleuré la vie perdue de ce beau garçon qui avait un brillant avenir. Une vie perdue inutilement, et tant de détresse pour ceux qui ont été impuissants à adoucir sa désespérance.

Je n’ai aucune raison d’appliquer à moi-même ce que je condamne chez les autres. Et puis ce serait mourir dans la peine. C’est contraire à mon espérance de réussir ma mort.
J’élimine cette première solution.

Il y en a deux autres.

J’accepte Fabian comme il est. Un peu volage sans doute, assez lunatique, peu mature, mais occupant tellement mes sens et mes pensées. Peu fiable, volontiers menteur et manquant de courage, mais tellement chaleureux quand il veut se donner. Lymphatique et même quelque peu paresseux, mais si inventif dans les jeux de l’amour. Désordonné et un peu profiteur, mais tellement savoureux dans les ébats intimes.
J’ai besoin de lui. J’ai besoin de son corps. Je ne veux pas le perdre. Je ferai tout pour le garder, dussé-je accepter ses incartades, lui accorder toute la liberté dont il a besoin, me sacrifier parfois pour le rendre heureux. Il me faut supporter d’être affligé parfois, mais aussi aspirer à ces moments de bonheur quand nous nous retrouvons entièrement, quand il se jette dans mes bras pour me dire qu’il m’aime, quand, pour se faire pardonner, il est le plus tendre des garçons.
Je l’éveillerai aux plus belles choses de la vie. Je lui donnerai le goût de l’art et du refuge de l’imagination. Je lui donnerai toutes les raisons de légitimer l’admiration qu’il a pour moi.

Combien de temps pourrai-je supporter ses faiblesses, sa mollesse, son avachissement, son abandon aux impulsions les plus désordonnées ? Un gamin. A vingt deux ans il se comporte comme un ado. Pourrai-je longtemps jouer le rôle du grand frère raisonnable et rabat joie ? N’aurai-je pas l’impression d’une liaison incestueuse ? Serai-je capable de rester attaché à lui en le suspectant toujours de jouer plusieurs rôles ? Sans confiance, est-il un amour qui puisse durer ?
S’il faut souffrir d’aimer, autant que ce soit bref. Que la mort d’un amour ne soit pas une longue agonie. Un brutal chagrin vaut mieux que des douleurs sans cesse renouvelées,…

Fabian, mon chéri, je te quitte. »

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