« Comment se fait-il que
j’aie l’impression de connaître aussi bien ce corps ? Cette anatomie
svelte et musclée, cette vigueur des bras et des cuisses, cette fine saillie
des muscles, ce ferme galbe des pectoraux, ces doux vallonnements des abdominaux,
ces athlétiques bombés iliaques, le velouté de la peau,… chaque muscle, chaque
courbe, chaque pli, chaque veine de ce corps me sont familiers. Je peux même
décrire, pour ne rien cacher de l’étendue de ma familiarité, ce qui dans cette
piscine est pudiquement dissimulé aux regards : une dense mais néanmoins
pénétrable forêt noire, un vigoureux appendice ne se laissant jamais aller à
une liquéfiante flaccidité, une peau…
S’ensuit un monologue à deux
voix.
─ C’est une peau de chagrin.
─ C’est la jalousie qui te fait
parler, mon vieil Alex. Je peux t’affirmer qu’il a au contraire, à cet endroit,
un épiderme mordoré à la texture soyeuse, et que cette peau ceint avec une
élégance de haute couture, tout en le laissant deviner, un chaleureux et
généreux fruit rouge nullement défendu.
─ T’en rajoutes pas un peu trop,
là ? Et puis tu peux pas avoir un langage moins ampoulé ?
─ Ce sont encore des propos de
dépit que tu profères, parce que tu es très loin d’être aussi beau que lui, et
tu voudrais entendre que quelque part il a une secrète anomalie, une
défectuosité inavouable, ou une déficience humiliante, pour reprendre sur lui
un avantage qui t’a échappé complètement.
Mais laisse-moi terminer ma
description, et ne compte pas sur moi pour te dire tout bêtement « il a un
beau cul », ou plus vulgairement « il a une bite à faire se damner
tous les anges et archanges de l’empyrée », ou carrément grossièrement…
Non, je ne m’abaisserai pas à des propos orduriers. Donc je continue mon
inventaire des splendeurs de ce garçon, et je dois dire que c’est avec un
plaisir certain que je mets la main dans le sillage de ma plume, douce et
caressante, pour glisser jusqu’aux confins de ses territoires d’ivresse et de
béatitude.
─ Avec tes descriptions à la
noix, je peux te dire que tu ne tiens pas le bon bout.
─ Arrête avec tes jeux de mots,
tu n’es vraiment pas drôle.
─ Je suis sûr que tu vas
maintenant jouer en bourse et surveiller de près la montée des actions.
─ Et toi tu ferais bien de
relever un peu le débat, et d’arrêter ton persiflage.
─ Regarde un peu la perche que je
te tends pour te ramener dans le droit chemin, au lieu de te laisser divaguer
et te perdre dans je ne sais quelle gorge profonde.
─ Il ne suffit pas que tu tournes
sept fois ta langue dans ma bouche pour m’enlever le goût des autres, et de cet
autre en particulier, objet de ma fascination et de mon émoi. Chez lui se
marient la beauté, la virilité, la grâce, et ce qui te manque le plus, la
délicatesse.
─ Si tu le connais si bien,
pourquoi ne vas-tu pas l’aborder ? Et pourquoi t’ignore-t-il ?
C’est que nous avons vécu ensemble un amour
difficile. Laisse-moi te raconter. »
À suivre ...