086 Parade militaire ( 5° partie )
C’est toujours l’acte III, qui est plus long que le prologue et que les deux premiers actes, parce que dans la tête du comparse qui fait office de personnage principal, de héros pourrait-on dire, sauf qu’il n’a pas le statut de héros, mais plutôt celui de proie. Bref, nous entrons dans la scène 2 de l’acte III. C’est une scène de nu intégral. Attention, cher lecteur, au dérapage libidineux de la pensée : tous les participants ne sont pas nus ? Dans la suite logique des scènes précédentes, les militaires, hommes et femmes, restent en uniforme. Sinon ce serait une partouze, ce qui est absolument inconcevable dans une enceinte dédiée à la Défense Nationale, n’est-ce pas ? C’est seulement le lampiste qui est nu, le personnage insignifiant qui comparait afin d’être déclaré apte à une fonction militaire complètement étrangère à sa formation et à ses compétences civiles. C’est cette situation de comparse dénudé par des complices dont il est le jouet, qui jette sur cette scène un peu de poil à gratter.
Alex n’eut aucun mal à croire ses oreilles lorsqu’il entendit très distinctement l’ordre auquel il s’attendait, car il confirmait les ouï-dire.
─ Enlevez votre slip. Le médecin va lire le rapport médical.
Quoi de plus naturel que la commission puisse vérifier de visu les constats médicaux et la conformité du sujet au modèle théorique de la Défense Nationale ?
A poil, donc, devant ces dignes représentants du gratin militaire et devant le petit caporal planton.
Un instant, il sentit germer dans tout son être les graines de la rébellion. Mais à quoi bon se révolter quand on est assuré de perdre la face, et en plus d’être ridiculisé ? Il rentra les griffes de l’insoumission et enleva prestement son slip en faisant attention de ne pas prendre l’élastique dans un orteil et de perdre l’équilibre, ce qui serait le comble du grotesque.
Il entendit nettement la rumeur des pensées des participants :
Celle de la face d’iguane était désarmante de vacuité. C’était le sifflement de quelque idée isolée, lancée à toute allure dans le vide.
Celle du médecin était très particulière. C’était un ronron de lassitude d’avoir inspecté professionnellement les orifices les plus secrets d’une multitude de corps réfractaires à ces intrusions.
Celle du jeune lieutenant s’était déplacée vers le centre du corps et faisait tout son possible pour faire le moins de bruit possible en gonflant démesurément. Il se revoyait dans la situation de la victime, quelques années auparavant, et se disait qu’il n’oublierait jamais ces quelques minutes passées là, à poil devant tout le monde, qui lui avaient parues durer une éternité. Le bruit de l’ambiguïté de ce souvenir, où se mêlaient la honte et la jubilation, parvenait très nettement aux oreilles d’Alex. Amoureux de beaux corps virils, il savait bien pourquoi il avait choisi de faire une carrière militaire.
Difficile d’identifier la rumeur provenant du petit caporal. D’une part il était derrière, ce qui rendait difficile de le regarder droit dans les yeux, d’autre part il avait l’habitude de n’exprimer son point de vue qu’à posteriori.
Celle des deux péronnelles relevait de la jacasserie, des désirs inavouables, des convoitises et des tentations contraires à la déontologie hiérarchique.
« Ah, mon anatomie vous intéresse ? Ma zigounette vous fait de l’effet ? Eh bien je vais vous dire ce qu’elle pense de vous, ma bistouquette. Figurez-vous qu’elle vous regarde, elle ne vous quitte pas de l’œil, celui qu’elle a dans le méat. Ses sentiments à votre égard ne sont pas spécialement respectueux, et encore moins distingués. Elle sait ce qu’elle aime et ce n’est pas le genre boudin dont vous faites partie toutes les deux. Elle n’a même pas envie de vous déshabiller, tellement elle craint les affaissements de chairs maintenues par la raideur de l’uniforme. Vous ne risquez pas de me voir bander. Même sous la contrainte. Refus d’obéissance garanti. Le seul ici qui puisse me faire bander c’est le lieutenant. Ou alors moi-même, parce que j’ai toujours eu tendance à raidir en me foutant à poil. »
Rideau.
A suivre...