084 Conversation (suite n° 5)
─ Veux-tu qu’on s’amuse peu, Mathys ?
─ Je suis toujours partant.
─ Que dirais-tu de ce tableau si tu devais le commenter ?
─ Je dirais qu’il représente un ado endormi dans un évidement naturel du sol. Il est jeune, il est beau. C’est un garçon pré pubère avec un corps déjà magnifiquement formé mais un côté androgyne accusé par la pose assez langoureuse et le sexe imberbe curieusement coincé, caché entre les cuisses. Il a un doux visage dont la longue chevelure bouclée accentue la féminité. Les lèvres sont entrouvertes, prêtes à accueillir un baiser, et les yeux sont clos sur un rêve d’amour.
Il s’est endormi après avoir lu une lettre d’amour qu’il tient encore contre son cœur.
C’est très romantique.
─ Tu as tout faux.
Bara, c’est le nom du garçon, est un jeune héros de la Révolution française.
Il a été élevé au niveau d’un mythe par Barere, et le peintre David, instigateur et chantre patriote du néo classicisme, a voulu immortaliser sa légende.
En 1793, un jeune tambour de 14 ans tombe dans une embuscade tendue en Vendée par les troupes royalistes, et meurt héroïquement en pressant la cocarde tricolore sur son cœur.
─ Pourquoi est-il nu, et plutôt ambigu, ni garçon ni fille ?
─ David développait toute une rhétorique pour justifier la nudité des héros, basée sur le retour à l’antique et l’exaltation des vertus républicaines.
─ Lui aussi aimait les garçons ?
─ Je n’en sais rien. Mais sait-on ce qui se cache dans les obscurités du désir ?