064 La carte de géo
« Ce n’était pas un hôtel. Ce n’était pas non plus une colo. Un peu entre les deux.
J’avais, me dit Alex, une chambre pour moi tout seul, mais la salle de bain était commune. On y entait comme dans un moulin, sans frapper, surtout les ouvriers qui venaient installer je ne sais quel système de régulation ou de climatisation.
J’étais venu faire ma toilette. J’avais environ 14 ans, peut-être un peu plus, et j’étais un garçon un peu réservé et timide qui, depuis quelque temps, développait une pudeur exagérée. Ce que je redoutais par-dessus tout était d’avoir à me mettre nu devant les autres. Pourquoi alors avais-je enlevé mon slip ? Pourquoi n’étais-je vêtu que d’un seul petit débardeur ? Sans doute pour me braver moi-même, et peut-être parce que ma pudeur n’était en fait que de l’exhibitionnisme à l’envers. En tout cas, à l’idée que quelqu’un pouvait entrer à tout moment et me surprendre presque entièrement à poil, j’avais la gaule.
Je ne pus résister longtemps à l’envie de m’offrir un petit plaisir et je commençai à m’astiquer le jonc devant la glace du lavabo. C’est alors qu’entra un garçon qui devait avoir à peu près le même âge que moi.
J’aurais dû être effaré, avoir honte, m’interrompre aussitôt pour tenter d’effacer l’obscénité de mon geste. Ce ne sont pas des choses que l’on fait devant des inconnus, ni devant des connus, d’ailleurs ! J’allais droit à la réprobation, au déshonneur, à l’humiliation. Couvert d’opprobres et voué aux turpitudes des censeurs et des moralisateurs, j’allais être l’indigne, l’infâme qu’on a surpris en train de s’adonner à des pratiques indécentes et cochonnes que la bienséance réprouve et qui méritent un châtiment exemplaire. J’aurais dû souhaiter miraculeusement disparaître, me dissoudre dans cet espace clos sans laisser la moindre trace,…
Bizarrement aucune de ces pensées ne me traversa l’esprit.
Au contraire, je laissai le garçon s’approcher de moi, je lui pris la main et la jumelai à la mienne qui continuait à remplir son ardent office. Mon excitation redoubla d’amplitude et ma jouissance atteint un seuil bien plus élevé d’intensité que lors de la pratique en solitaire lorsque j’éjaculai dans le lavabo.
Après, je n’ai aucun souvenir de ce qui s’est passé. Je me remémore très bien, en revanche, mon réveil au milieu de la nuit, et les parcours inquiets de mes mains sur mon drap de lit, au niveau des fesses, à la recherche d’un endroit humide qui confirmerait mes craintes d’un épanchement incontrôlé de mâle fluide. Enfin, mâle, pas vraiment ! Disons les premiers pas augurant une virilité prometteuse.
J’avais entendu dire qu’on appelait ça des cartes de géographie, et que les parents, s’apercevant de l’événement, en parlaient discrètement d’un air entendu et bouffi de contentement, fiers que leur petit garçon soit déjà en train de devenir un homme.
En aucun cas je ne voulais que mes parents soient dans le secret de mes premiers émois sexuels, et je continuai, anxieux, à passer mes mains partout sur le drap de mon lit. Mais il n’y avait rien. Déjà sec peut-être ? J’allumai la lumière, tirai la couverture, et inspectai minutieusement ma couche. Non, il n’y avait aucune trace. Je fus tout à fait rassuré.
Je ne fis d’ailleurs jamais de cartes de géo dans mon lit. Pourtant les rêves érotiques se répétèrent souvent, sous diverses formes. Ils m’amenaient au bord de l’orgasme. Mais le petit Eros qui présidait à ces voluptueuses, sensuelles agapes, me réveilla toujours gentiment à temps pour que je contrôle mes expulsions. »