050 Les trois jours (1re partie)
Cette fois c’était bien vrai : la feuille de convocation tant redoutée était bien là sur son bureau. La date, certes, était encore un peu éloignée, mais il ne faisait maintenant plus aucun doute qu’il aurait à se présenter à ces fameux « trois jours ». Il essayait bien d’oublier la perspective de cette épreuve (car il apparentait tout ce qui avait trait à l’armée à une épreuve), mais des pensées et des images concernant cet épisode obligatoire le hantaient fréquemment. Les lectures qu’il avait pu faire et les différents récits qu’il avait entendus sur le sujet n’étaient pas de nature à le rassurer.
Par exemple il avait lu, dans le livre de l’américain Robert F. Gallapher, racontant des épisodes de la deuxième guerre mondiale, un passage relatif aux visites médicales qu’il trouvait édifiant sur la considération de l’armée pour ses futurs soldats ou ses soldats ! Ce temps-là était-il révolu ?
La scène se passe à Chicago.
« Le premier ordre de la journée fut pour tout le monde de quitter son caleçon. Nous étions tous dans une grande pièce au deuxième étage d’un building. Il y avait de longues files d’attente ondulantes pour chaque test. Après avoir passé le test, nous allions dans la file du test suivant. La température dans la pièce était de 32° et les odeurs corporelles à certains endroits étaient irrespirables. Il n’y avait pas de climatisation, les fenêtres grandes ouvertes ne laissaient passer que de la chaleur et du bruit. Le building donnait sur la rue Van Buren, l’une des plus animées du quartier de Loop, et le train aérien passait juste devant les fenêtres. Ce « L » faisait un bruit d’enfer, et les passagers pouvaient voir plus de nudités que dans un très fréquenté camp de nudistes.
On nous prit nos empreintes digitales, on préleva notre sang et notre urine. Puis nous fument examinés à fond. On nous demanda de nous mettre dans les plus embarrassantes positions pour être dans la lumière des projecteurs. Nous avions dû abandonner nos caleçons et tout ça se passait complètement nus devant des centaines d’autres. Le procédé était très intimidant. »
Un jour son père lui avait raconté comment se passait, au temps de sa jeunesse, le « Conseil de révision » qui décidait de l’affectation des jeunes gens dans les corps d’armée pour effectuer leur service militaire obligatoire.
Dans leur dix huitième année, les garçons étaient un jour convoqués sur le lieu de recrutement. Pour lui ce fut la mairie de son patelin, envahie ce jour là par des gradés de l’armée et un peu de gendarmerie.
Il fallait, dans une salle du premier étage aménagée pour la circonstance, commencer par se déshabiller complètement. Puis, entièrement nu, enfiler des couloirs… Descendre un large escalier de pierre (imaginez le spectacle !)… Entrer dans la grande salle du Conseil… Défiler à poil devant un aréopage de maires et de personnalités du canton (dont certains n’étaient certainement pas insensibles aux charmes de ces jeunes hommes qui leur rappelaient le bon temps des frasques de leur jeunesse)… Se présenter devant le jury de militaires assis derrière une grande table… Décliner ses nom, prénom, date de naissance… Rester ainsi les bras ballants et la quéquette à l’air…
C’était le sympathique premier contact avec l’armée !
Qu’inscrivaient-ils sur les grands registres disposés devant eux ? Beau petit spécimen,… grand échalas dégingandé,… petit gros à mettre au régime,… aucune allure à poil,… bien balancé, des pecs et du cul,… ?
Il ne s’agissait pas de faire le mariolle : c’était là qu’était accordé le sursis d’incorporation pour permettre aux étudiants de faire leurs études.